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Marcel Zounon : « Le Fâ est un levier de développement et un patrimoine à transmettre »

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Dans le cadre de notre enquête autour du Prix Cultura Afrique francophone 2025, nous poursuivons la publication de la série d’entretiens effectuée à cet effet. Après l’éclairage apporté dans la précédente publication par Judith Danhouègnon sur son rapport personnel et spirituel au Fâ, nous donnons aujourd’hui la parole à Marcel Zounon, expert international du patrimoine culturel immatériel, ancien directeur de l’Ensemble artistique national du Bénin et infatigable promoteur des traditions vivantes.

Au fil de cet entretien, Marcel Zounon revient sur l’histoire de l’inscription du Fâ au patrimoine mondial de l’UNESCO, ses multiples dimensions et son rôle incontournable dans la sauvegarde de l’identité africaine. Avec une parole ferme mais nuancée, il met en évidence les défis liés à la transmission, l’éducation et la reconnaissance institutionnelle de cette pratique millénaire.

Le Fâ, ou Ifa chez les Yorubas, est bien plus qu’une pratique divinatoire. Pour Marcel Zounon, il s’agit d’un véritable système de savoir, une « encyclopédie » africaine qui met en dialogue la nature, l’homme et le sacré. « Dans le Fâ, la flore, la faune, le sable, l’eau, tous les éléments de la nature sont revisités », explique-t-il avec conviction. Le Fâ rassemble ainsi récits, chants, musiques, rituels et savoir-faire qui constituent un socle d’identité pour des millions d’Africains. Cette dimension a été reconnue sur la scène internationale en 2008 lorsque l’UNESCO a inscrit le Fâ/Ifa sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. « Ce projet d’inscription est porté par le Nigeria », rappelle-t-il, précisant que le Bénin, malgré son rôle fondateur dans la pratique du Fâ, est resté en marge du processus. Un paradoxe qui souligne l’urgence de se réapproprier ce patrimoine.

La transmission, entre oralité et éducation

Pour Marcel Zounon, la force du Fâ réside dans sa transmission intergénérationnelle. « Tous ceux qui participent aux pratiques du Fâ, ou tous ceux qui ont le Fâ, sont aussi des cocons en gestation. Par l’imitation, par la connaissance des vertus, les gens arrivent à valoriser cette pratique et à la transmettre de génération en génération. » Mais cette transmission repose encore principalement sur l’oralité. Quelques tentatives d’écriture existent, mais elles restent limitées. Or, selon lui, le défi actuel est de transformer ce savoir oral en un outil moderne de connaissance, capable d’entrer dans les espaces éducatifs formels. « Le gros problème que nous avons, c’est l’absence de nos valeurs dans le système éducatif. Les programmes ne prennent pas en compte toutes ces richesses culturelles et scientifiques. Or, le Fâ les incarne », déplore-t-il.

Une implication timide des pouvoirs publics

Si les fêtes du Vodoun au Bénin offrent parfois une visibilité au Fâ, cela reste insuffisant. Marcel Zounon critique une implication trop timide des autorités publiques. Pour lui, la sauvegarde et la valorisation du Fâ nécessitent une volonté politique claire et durable. « Les politiques culturelles doivent répondre aux problèmes contemporains en prenant appui sur nos traditions », insiste-t-il, appelant à l’intégration du Fâ dans les curricula scolaires, la création d’écoles spécialisées et la formation de nouvelles générations de gardiens de savoirs.

Tradition et modernité : un équilibre possible

Certains considèrent le Fâ comme une pratique figée dans le passé. Marcel Zounon s’y oppose fermement : « Le Fâ est une pratique ancienne. Mais aujourd’hui, est-ce qu’en l’utilisant, il peut permettre à l’homme de régler ses problèmes du moment ? Je pense que oui. » Pour lui, tradition et modernité ne s’opposent pas : elles se complètent. Le Fâ, avec ses codes et ses récits, peut inspirer la gouvernance culturelle, la recherche scientifique et même les approches contemporaines du développement. Il peut aussi devenir un outil de cohésion sociale dans un monde traversé par les crises identitaires et spirituelles.

Entre foi et stigmatisation, le Fâ à l’épreuve du Bénin contemporain Vers une valorisation éducative et touristique

Le potentiel éducatif et touristique du Fâ est immense. Pour Marcel Zounon, il est urgent de vulgariser cette pratique dans les programmes scolaires afin de « former un autre type d’Africain, prêt à amorcer le développement du continent à partir de ses réalités culturelles et patrimoniales ». Sur le plan touristique, il voit dans le Fâ un levier stratégique pour le Bénin, comparable au rôle du shintoïsme au Japon ou des temples en Inde. « Toutes les pratiques vodoun sont basées en amont comme en aval sur le Fâ. Comme le Shinto ou les grandes traditions asiatiques, le Fâ pourrait devenir un repère identitaire et un moteur de développement économique et social. »

Une invitation à la réflexion collective

À travers son regard d’expert, Marcel Zounon rappelle que le Fâ n’est pas seulement une pratique religieuse ou spirituelle, mais un patrimoine global, une matrice de savoirs et d’expériences qui interpelle toute l’Afrique contemporaine. Sa voix s’ajoute à celle de Judith Danhouègnon pour souligner l’urgence de sauvegarder et transmettre ce trésor immatériel.

Mais notre enquête ne s’arrête pas là. Dans notre prochain article, c’est une voix différente, venue du monde chrétien, qui apportera son regard sur notre thématique. Le pasteur Sylvain Atindekoun on partagera avec vous l’analyse de ce dernier. Un point de vue qui s’annonce passionnante et qui, à n’en pas douter, viendra nourrir le débat.

 

Bérénice C. G. (Coll.)

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