Home Bénin Exposition vernissage Aguinnin: Entre gestes et marrées, une mémoire fragile

Exposition vernissage Aguinnin: Entre gestes et marrées, une mémoire fragile

0

Ce vendre 11 juillet 2025, Laboratorio Arts Contemporains consacre une exposition rare, à un regard photographique qui conjugue rigueur plastique et puissance critique. Justin Abadjayé Sodogandji propose avec cette nouvelle série inédite, une traversée sensible du littoral méridional béninois, en particulier le village de Togbin Daho, enclave de pêche artisanale dont les modes de vie, de travail et de transmission se trouvent aujourd’hui en tension.

Accueilli en laboratoire au Loft Cre@lab, l’exposition se déploie comme une méditation visuelle questionnant l’effacement progressif des mondes côtiers, pris dans les reconfigurations contemporaines du territoire : avancée inexorable de l’érosion, mutations climatiques, injonctions touristiques globalisées, et politiques d’aménagement souvent sourdes aux mémoires vernaculaires.

AGUINNIN porte à la lumière les gestes quotidiens qui lient l’homme à la mer, dans une économie du corps et de la foi, quand la barque devient sanctuaire mobile, et le filet, prolongement du souffle des ancêtres.

L’image ici est opératoire, elle capte des gestes rituels, enregistre des présences, mais surtout, elle trace une esthétique de la disparition, où le visible interroge ce qui s’efface, et où chaque plan devient un acte de soin porté à un monde en retrait. Les photographies dialoguent ici avec des fragments filmiques et des installations sobres, dans une composition volontairement dénuée d’exotisme, qui récuse toute tentation “folkloriasante”.

Ce qui se joue dans cette exposition, c’est la mise en scène d’une mémoire incarnée, menacée par une double violence : la violence environnementale, qui déplace les rivages, altère les flux, assèche les ressources ; et la violence symbolique, qui “invisibilise” les communautés en les assignant à une marge non dite du développement. Les projets de tourisme balnéaire, les concessions industrielles, les politiques de gestion du littoral sans concertation, participent de cette dynamique d’effacement où les corps des pêcheurs, leurs gestes, leurs chants, leurs temporalités propres, sont évacués du champ social.

Avec Abadjayé, l’acte photographique devient un contre-geste. Il fige non pas pour figer, mais pour transmettre dans l’urgence. Il est l’outil d’une contre-archive, une esthétique de l’endurance qui replace les acteurs locaux des bords de mer au centre du récit.

À rebours de toute esthétisation misérabiliste, l’artiste fait le choix du détail, du silence, de la répétition, pour restituer une vérité : celle d’un territoire où la pêche n’est pas qu’économique, mais cosmologie vivante, théâtre d’un lien à l’invisible, à la mer comme matrice, à l’horizon comme promesse et comme perte.

AGUINNIN, en ce sens, s’inscrit dans une filiation d’œuvres critiques qui entendent penser la photographie depuis une autre perspective, non plus comme regard captif, mais comme puissance de liaison, au service d’une mémoire réinventée.

Cette exposition est aussi un acte de résonance avec les débats contemporains sur la justice environnementale, la souveraineté narrative, et la reconquête des regards sur soi dans le champ de l’image.

 Lylly Houngnihin

Historienne de l’art

Directrice Exécutive

Laboratorio Arts Contemporains

NO COMMENTS

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Quitter la version mobile