S’ils migrent au Bénin pour y suivre une éducation coranique, une initiation pratique à la vie et acquérir le sens de l’humilité, ils deviennent un fonds de commerce pour les maîtres coraniques. Le phénomène des “Talibés“ se métamorphose à une allure inquiétante dans la partie septentrionale du Bénin où son contrôle semble échapper aux gouvernants. De Kandi à Malanville, la réalité est saisissante… Intrusion dans un univers fertile à l’endoctrinement religieux et aux crimes.
Les yeux hagards, une boite de tomate concentrée ou de beurre Margarine liée par une ficelle au dos, surtout sales et habillés en guenilles, les enfants talibés à peine quatre (04) ans révolus pour les plus jeunes et dix-sept (17) voire dix-huit (18) ans pour les plus âgés, pullulent dans les auto-gars, restaurants, marchés et rues de Kandi, commune située à environ 640 kilomètres de Cotonou. Ce sont des talibés. Ils mendient pour manger à leur faim, mais ils sont condamnés à ramener un quota quotidien à leur maître. Un quota qui varie entre 200 et 300 francs Cfa par enfant chaque jour à l’exception du vendredi où chaque talibé devra ramener au maître au moins 500 francs Cfa, selon une source proche de Dedras-Ong. Ils sont, pour la plupart, des enfants venus du Niger, du Nigéria et du Burkina Faso, et placés chez des maîtres coraniques pour recevoir un enseignement islamique à l’école coranique. En saison pluvieuse, ils errent moins dans les rues car retenus par les travaux champêtres dans les champs de leurs maîtres ou alfa. Au centre de la ville de Malanville, bien qu’ils y soient nombreux, la réalité est toute autre. Ici, certains commercialisent de l’eau en sachet “pure water“ et des bonbons pour leurs maîtres pendant que d’autres, accompagnés de l’épouse du maître coranique, vendent des beignets. Rencontré dans la belle demeure qu’il s’est construite récemment, El Hadj Mohamed Hamissou, un maître coranique à Kandi, refuse d’évoquer la question. Il lâche, toutefois, laconiquement que les talibés qu’il héberge « ne mendient que lorsqu’ils ne veulent pas se contenter de ce qu’il leur donne à manger ». Devant sa mosquée, les talibés qu’on y rencontre ont les joues dévorées par la faim et leurs peaux sont grisées par la poussière. Des traits similaires à ceux qui font la ronde au centre-ville de Kandi. Dans le village de Bodjecali à Malanville, à l’ombre d’un hangar, non loin de la mosquée, un enfant attire l’attention parmi un lot de talibés. C’est un garçon bien habillé et joufflu, les cheveux soigneusement coiffés et peignés. Lui, il ne mendie pas. C’est le fils du maître coranique, l’imam Abdul Ahmed. Il a, sous sa responsabilité, une dizaine d’enfants talibés. « Si les talibés sont nombreux et que je ne peux les nourrir tous, ils ne peuvent qu’aller chercher l’aumône », se défend-il pour justifier les randonnées des talibés expliquant ne recevoir aucun centime des parents pour l’éducation de leurs progénitures. L’imam central de Kandi, Sabi Gado Idrissou, reconnaît qu’en contrepartie, ces enfants mendient pour apporter de la rente au maître.
Pour justifier la pratique, les maîtres coraniques s’appuient sur des recommandations qui seraient inscrites dans le saint coran. Une exploitation de l’enfant visiblement acceptée socialement et que le deuxième adjoint au maire de Malanville, Moussa Sambo, relativise. « Il est difficile d’appréhender la question dans le sens de l’exploitation des mineurs étant donné qu’elle est d’ordre religieux », analyse-t-il. L’imam Djelil Yessoufou, secrétaire général de l’Union islamique du Bénin, n’est pas de cet avis. Il estime que l’Islam n’a jamais recommandé que des enfants soient responsabilisés pour la collecte de l’aumône. Un point de vue apprécié et renforcé par Salifou Bouraïma, sage et membre du Conseil supérieur de l’Union islamique. « Si c’était prescrit, pourquoi ne se soumettent-ils pas en laissant aussi leurs propres enfants aller mendier ? », interpelle-t-il. Le président du cadre de dialogue “Coexister“, Bouraïma Abdul Karimou, déplore « un détournement d’objectifs de départ et une certaine indifférence face au sort de ces enfants ». « Dans ces conditions, ces talibés ne peuvent pas apprendre la religion et réussir dans la vie », dénonce-t-il. Mais de peur d’offusquer la communauté musulmane, les autorités n’agissent pas convenablement. Le commissaire central de Kandi juge prudente, une intervention stratégique.
Terreau fertile en faveur de la
criminalité et de la radicalisation
Malgré l’impressionnant arsenal juridique dont s’est doté le Bénin et qui réprime la mendicité des enfants et protège les enfants, les talibés tels des exclus de la société sont abandonnés à leur sort. S’il est presqu’impossible d’avancer un chiffre approximatif, le Chef du Centre de promotion sociale de Kandi, Christian Faton, évoque un chiffre variant entre 800 et 1000 enfants en situation de mendicité qui sont livrés à eux-mêmes. Leur survie se retrouve dans la rue. En permanence dans un état crasseux et avec des traits de misère endémique, ils sont à la quête des restes des repas, demandant la charité pour ne pas mourir de faim. Ils vivent comme des rejetés dans la société. Une condition de vie qu’ils n’acceptent pas toujours. Pour le président du cadre de dialogue “Coexister“, Bouraïma Abdul Karimou, « ces talibés, souvent rejetés et accablés d’injures, frustrés, et n’ayant pas reçu de l’amour, ne peuvent en donner ». « Ils deviennent des proies faciles pour les réseaux criminels à la merci de vices comme le vol, la drogue et la prostitution », ajoute-t-il.
En effet, l’école coranique dans sa forme actuelle offre peu d’opportunités aux talibés à la fin de leur parcours. Bouraïma Abdul Karimou en parle : « Aucun avenir réel n’est façonné pour ces enfants car n’ayant ni fréquenté une école formelle ni été initiés à un métier, ils ne savent rien faire. Leur parcours à l’école coranique n’est même pas sanctionné par un diplôme. Même si certains deviennent des maîtres religieux à leur tour, la délinquance et les réseaux criminels et extrémistes récupèrent le grand nombre ». Selon l’imam Ibrahim Sabirou, la majorité des talibés finissent “coupeurs de route“ et en prison. L’Etat hésite à prendre ses responsabilités en matière de mise en place des mécanismes fiables et efficaces de protection des enfants et de régulation et d’encadrement de l’enseignement islamique. Si dans le contexte de l’Education pour tous (Ept), il est envisagé une diversification de l’offre éducative comme c’est le cas de l’école islamique qui apparaît comme un atout pour faciliter l’accès de tous à l’éducation, le gouvernement ne semble point s’intéresser à ces offres éducatives alternatives. Les curricula, les méthodes d’enseignement et d’apprentissage, le dispositif pédagogique, tout lui échappe.
Caritas à la rescousse
Ce 27 août 2019, dans l’après-midi, à la maison des prêtres à Kandifô, localité située à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Kandi, Caritas organise un camp dénommé “boite à mémoire“ pour des enfants talibés bénéficiaires du Projet de réinsertion des enfants en situation de mendicité à Kandi et Djougou. Cinquante (50) talibés de Kandi et cinquante-trois (53) de Djougou sont sélectionnés sur des critères basés sur des grilles de vulnérabilité. Selon les explications de Fidèle Koukponou, coordonnateur du projet, les plus jeunes de 7 à 10 ans ont été inscrits à l’école formelle, ceux de 11 à 14 ans sont inscrits au Programme de cours accélérés (Pca). Dans trois ans, ils pourront prendre part à l’examen du Certificat d’études primaires (Cep). Par contre, ceux qui ont plus de 15 ans, en plus de suivre des cours accélérés, sont inscrits dans des ateliers de formation au métier de leur choix. En plus de ces kits scolaires et d’apprentissage, ils perçoivent tous les matins des tickets de 150 francs CFA pour le petit déjeuner. Ils apportent aussi une contribution aux cantines scolaires pour s’offrir le repas de midi. Chaque enfant reçoit, par le truchement de son tuteur, la somme de 9000francs Cfa par mois. Enrôlés pour la plupart au Ravip, ils sont inscrits dans un centre de santé pour leur prise en charge sanitaire. Des maîtres coraniques sont recrutés pour donner des enseignements islamiques à ces enfants. Les premiers résultats forcent l’admiration. Déjà neuf (09) enfants talibés sont titulaires du Cep dont une fille qui poursuit ses études secondaires. Il est prévu aussi des kits d’installation pour ceux qui sont en apprentissage.
Aziz BADAROU avec la collaboration
de Ayouba ADAMOU (Kandi FM)