Les journalistes de plus en plus menacés au Burkina Faso. Alors que des voix s’élèvent pour dénoncer le kidnapping d’un journaliste, Reporter sans Frontières évoque l’enrôlement forcé d’un journaliste revendiqué par le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte militaire au pouvoir. Reporter sans Frontières dénonce une étape supplémentaire dans la répression des médias au Burkina Faso…
Dans une déclaration hallucinante, le capitaine Ibrahim Traoré, à la tête du pouvoir au Burkina, a assumé la responsabilité d’avoir enrôlé de force un journaliste en raison de son travail, à l’heure où un journaliste et deux chroniqueurs sont portés disparus. Reporters sans frontières (RSF) urge les autorités à cesser ces pratiques infâmes qui portent atteinte au droit des Burkinabés à l’information. “Il y a un journaliste qui a été enrôlé dernièrement parce que depuis 2023, il a passé le temps à mentir », a déclaré le capitaine Ibrahim Traoré, peu après son discours devant les “forces vives” de la nation, ce 11 juillet.
La déclaration du chef de la junte, sonne à la fois comme une mise en garde à l’encontre des journalistes et une confirmation de l’enrôlement dans l’armée d’un journaliste qui pourrait être le directeur de publication de l’Événement, Atiana Serge Oulon, qui a été enlevé par des membres présumés de l’Agence nationale de renseignements (ANR) le 24 juin. Le chef d’État a également indiqué que le journaliste en question “a été convoqué par la gendarmerie, par l’ASCE-LC (Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption) par toutes les structures pour apporter les preuves de ce qu’il dit”.
Une série de convocations faisant écho à celles vécues par Serge Oulon après une enquête publiée en décembre 2022. Contacté pour plus de précisions, un proche de la Présidence a estimé que RSF devait “s’en tenir aux propos du Président”. Quelques jours plus tôt, cette même source avait pourtant indiqué auprès de RSF que “Serge était en sécurité”…. A la suite de la déclaration de Traoré, plusieurs journalistes du pays, qui souhaitent garder l’anonymat, indiquent à RSF qu’il est “maintenant clair que Serge est au front”, “enrôlé comme Volontaires pour la défense de la patrie (VDP)”.
De fait, il est désormais commun que des personnes critiques du pouvoir soient ainsi mobilisées de force, et généralement envoyées dans le camp militaire de Kaya pour y suivre une formation, avant d’être intégrées à une unité“ lit-on dans le communiqué de Reporter sans Frontières. A en croire Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF, à l’écoute des propos publics du capitaine Ibrahim Traoré, RSF a toutes les raisons de penser que le journaliste enrôlé de force dans l’armée est Atiana Serge Oulon. “Cette répression revendiquée de professionnels de l’information est une fuite en avant du leader de la junte vers un régime de plus en plus autoritaire où les journalistes sont de moins en moins en sécurité. RSF urge les autorités à rompre avec cette politique de réduction au silence des journalistes, qui, in fine, s’en prend aux citoyens et à leur droit à une information libre, indépendante et plurielle”, a-t-il déclaré dans ledit communiqué.
Journalistes en danger au Burkina…
Pour Reporter sans Frontières, le journaliste concerné est sans doute perçu comme une personne qui dérange. “En décembre 2022, Atiana Serge Oulon a révélé des soupçons de détournement de 400 millions de francs CFA (environ 609 000 euros) destinés aux VDP par un officier supérieur de l’armée. Quelques semaines plus tard, le directeur de publication de L’Événement était auditionné par les autorités militaires, qui ont tenté de lui soutirer des informations sur sa source. Le journaliste a également été convoqué par l’ASCE-LC courant 2023. Deux chroniqueurs de la télévision privée BF1, Kalifara Séré et Adama Bayala, sont également portés disparus depuis les 19 et 28 juin“ informe Reporter sans frontières.
La Cenozo et autres organisations professionnelles montent au créneau…
Dans une déclaration conjointe, la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo) et plusieurs organisations professionnelles des médias ont haussé le ton suite à l’enlèvement du journaliste. “Depuis le lundi 24 juin 2024, les Organisations professionnelles de médias sont consternées par l’enlèvement de Atiana Serge Oulon, Directeur de publication du journal L’Evénement. En effet, selon des témoins, des individus à bord de deux véhicules se sont présentés à son domicile autour de 5H du matin et à force de menaces y ont eu accès.
Ils l’ont alors kidnappé devant les membres de sa famille et l’ont amené vers une destination, jusque-là, inconnue. Quelques heures plus tard, ils ont mis la pression sur son épouse pour avoir ses téléphones et son ordinateur portable. Deux agents se sont à nouveau rendus à son domicile pour récupérer les appareils. Sur insistance de son épouse, ils se sont présentés comme étant des policiers de l’Agence nationale de renseignement (ANR).
L’enlèvement du journaliste Atiana Serge Oulon a eu lieu quatre jours après la suspension de L’Evénement par le Conseil supérieur de la Communication (CSC) et le même jour que la reprise du procès intenté par L’Evènement contre l’écrivain Adama Siguiré“ lit-on. Selon la déclaration, il s’agit d’un enlèvement qui intervient dans un contexte marqué par une succession d’actes liberticides et anti-presse. “En effet, le journal en ligne Lefaso.net a reçu une mise en demeure au sujet de son forum des internautes entre autres. La télévision BF1 a vu son émission 7Infos suspendue pour deux semaines par le CSC sur le fondement d’informations jugées fausses tenues par leur chroniqueur habituel, Kalifara Séré. Dans la même foulée, M. Séré, qui a été entendu par le CSC et le Service régional de la Police judiciaire, sise à Wemtenga, est porté disparu depuis le 20 juin 2024.
Il faut également noter que le 12 juin 2024, un incident de tir à la roquette est survenu dans l’enceinte de la RTB télé qui a occasionné de nombreux dégâts matériels et mis en danger la vie des travailleurs de ce média public. Ces évènements successifs, entre autres, sont la preuve que la presse au Burkina fait l’objet de harcèlements, d’intimidations et de tracasseries, en violation flagrante des lois“ dénoncent les organisations professionnelles des médias. Ces dernières condamnent des actes attentatoires à la liberté d’expression et de la presse ainsi qu’au droit du public à l’information, des pratiques inacceptables dans un Etat de droit et appellent à la libération sans délai du journaliste Atiana Serge Oulon.
A.B