De l’échec de la proposition de révision constitutionnelle au vote du nouveau code électoral qui vient d’être promulgué par le président de la République après validation par la Cour constitutionnelle, on a eu droit à des passes d’armes qui annoncent la cartographie des acteurs ayant rendez-vous en 2026 et même bien avant, aux phases préparatoires à cette échéance. Mais il faudrait avoir don de voyance pour se réjouir ou pleurer de ce que nul ne peut encore prévoir aujourd’hui : l’effet des dynamiques affectives de l’électorat sur la classe politique.

La majorité présidentielle peut se réjouir d’une double-victoire : celle de n’avoir pas laissé dans l’opinion nationale, l’opposition moissonner seule les lauriers du rejet de la proposition de révision constitutionnelle de l’He Assan Seibou ; et celle d’avoir voté à l’unanimité de ses députés pour la modification du code proposée par l’He Aké Natondé. L’opposition quant à elle, aura beau jeu de se vanter de son harmonie retrouvée par l’unanimité constante de ses rejets qui a fait oublier l’échappée solitaire osée en décembre par l’He Basile Ahossi, en accord avec le vote des députés de la majorité présidentielle, pour le projet de Loi de finances exercice 2024.

C’est donc de colère légitime que le chef de file des députés Ld, l’He Eric Houndété fulminait, au terme de la validation du code électoral par la Cour, que le régime Talon tombera en 2026. Ce que tout le monde, le chef de l’Etat y compris, sait depuis. Mais ce dont nul ne peut jurer, c’est à qui profitera l’assortiment de corrections apportées au texte de 2019. Par surenchère ou non, une certaine presse s’est fait écho des discussions de couvent de la majorité réunie autour du président Talon pour préparer son vote unanime en faveur du nouveau code.

Un gerrymandering contre la vague des suscitations ?

Aurait-ce été l’occasion de faire le procès des suscitations de candidatures et en particulier celles en faveur d’Olivier Boko ? Si aucune mention n’a été faite de celles visant le conseiller spécial Johannes Dagnon ou l’argentier national Romuald Wadagni, c’est bien parce la première commençait à faire impact sur le terrain et à l’intérieur des partis politiques. Or, en réponse aux invitations des entrepreneurs politiques pour qu’il se prononce sur des sujets d’actualité nationale ; et aux supposées récriminations qui lui auraient été adressées par le chef de l’Etat au regard des incidences desdites suscitations sur la performance du système partisan, Olivier Boko n’a toujours opposé qu’un silence de marbre. Pourtant, on n’a pas tardé à crier victoire dans le camp des inconsolables révisionnistes.

Indexant de « nouveaux opposants à Talon » à savoir les ex-ministres Sévérin Quenum et Oswald Homeky et les députés Lazare Sèhouéto, Malik Gomina et Eustache Akpovi. Ils les accusent d’être des soutiens fantaisistes ayant compromis l’avenir politique d’Olivier Boko ou qu’ils l’auraient lâché. La loi proposée et promue par d’aucuns, est devenue suite à sa promulgation par le chef de l’Etat, la même pour tous – pro ou anti – et il s’agira de se déterminer à la lumière de ses nouveaux contours. On a relevé le nombre de parrains à obtenir par tout candidat et le pourcentage des suffrages à obtenir par un parti pour être éligible à l’attribution des sièges et le tout, appliqué à un pourcentage obligatoire de circonscriptions électorales à couvrir. Mais bien malin est celui qui pourra jurer aujourd’hui de ce que sera l’output de tous ces redimensionnements qui rappellent le découpage électoral partisan implémenté par Elbridge Gerry en 1811 aux Usa pour favoriser son camp.

En effet, au fur et à mesure qu’on s’approchera de 2026 et en fonction de l’évolution de l’état de l’opinion nationale – prenons date – rien ne pourra garantir que les mêmes députés de la même 9ème législature en exercice, ne se convaincront de la dangerosité de la salamandre qu’ils ont confectionnée en mars 2024. Comme toute action politique appelle réaction politique dans les limites de ce qui est autorisé par la Loi et que personne ne peut prédire ni ce que fera Olivier Boko dont le rôle au service des partis de la majorité depuis 2018 est indéniable ; ni les choix qui seront ceux de Ld désormais condamnés à jouer toutes les cartes pour revenir à la gouvernance du pays, les concepteurs de ce gerrymandering à la béninoise restent exposés au risque de constater qu’ils s’étaient trop tôt tiré plusieurs balles dans les pieds.

Les surprises en perspective

Face à cet écran d’incertitudes, les acteurs politiques seront confronté à la dure réalité des tendances affectives des électeurs qui échappent à toute rationalité, notamment celle des bilans économiques qui laissent le social à la traîne. A l’orée du quinquennat 2026-2031, le chef de la Rupture aura-t-il le même contrôle sur sa majorité ou cette dernière sera-t-elle en rupture de ban avec lui ? Il est apparu lors de l’examen des deux propositions de lois, que c’est plus du côté de la mouvance que sont apparus les premiers schismes. Si pour les soutiens du chef de l’Etat, deux ans c’est bien trop long pour oser une rébellion, ils savent combien il sait avoir la main lourde quand il s’agit de représailles.

Ils n’ont donc pas tort de se méfier. Contrairement à son habitude de prompte exécution de ses promesses, celle de la nomination de ses futurs ministres-conseillers se fait toujours attendre. On a noté que dans la perspective de l’examen des propositions de lois, beaucoup au sein de l’Upr et du Br se sont employés en prepaid à cet appétissant rôle de Mc, ces maîtres de cérémonies qui animeront la vie politique en défendant l’action du gouvernement. Mais passée la distribution des ces sucettes, que restera-t-il à quelques semaines de la fin du règne du berger pour maintenir la discipline au sein de ses brebis, si déjà certains de ses anciens ministres ont pris des positions adverses qui leur valent d’être désignés comme opposants ?

Dans ce contexte où chacun “avisera”, on devrait se préparer à un repositionnement des acteurs politiques qui ne prendront pas le risque de laisser s’abattre sur eux, l’épée de Damoclès des interdictions prévues par le régime des accords de gouvernance entre partis. Les mouvements de suscitations n’arrêteront donc pas leurs activités sur le terrain mais redoubleront d’ardeur, convaincus qu’aucun choix au sein de l’Upr ou du Br ne sera suffisamment rassembleur pour rassurer d’une alternative acceptée de tous, surtout que tous n’auront pas vécu la décennie Talon dans les mêmes grâces.

A défaut de s’inscrire dans la perspective impossible de sa réélection, le nouveau code qu’il vient de promulguer consacre la légalisation de sa volonté de tenir tout le monde à travers ses deux partis, afin d’imposer un duo face à la vague de suscitations qui le dérange. Car, comme il a su bien le dire : « Dans les petits pays comme les nôtres, ce qui permet à un président en exercice d’être réélu, c’est sa capacité à soumettre tout le monde. Quand tous les députés sont à sa solde ; quand tous les maires sont à sa solde ; quand tous les élus locaux sont à sa solde ; quand tous les commerçants le craignent et sont à sa solde ; quand tous les partis politiques sont affaiblis et sont à sa solde, sa réélection est facile… Ce qui permet à un président d’être réélu avec assurance …

Ce n’est pas son mandat, ce n’est pas sa performance, ce n’est pas son résultat. C’est la manière dont il tient les grands électeurs ; c’est la manière dont il tient tout le monde, c’est la manière dont personne n’est capable de lui tenir tête, d’être compétiteur contre lui. Quand vous n’avez pas de compétiteur, vous avez beau être mauvais, vous serez réélu ! ». La proposition de reporter le droit de parrainer sur les élus de 2026 ayant échoué, l’opposition incarnée par Ld n’hésitera pas à s’allier à une masse critique de partenaires de taille et de poids dans le camp d’en-face, si elle veut se redonner la moindre chance de participer à la gestion du pays. Et ce sera pour la beauté du jeu.

Angéla IDOSSOU

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