Son ascension réussie au palais de la Marina en 2016, Patrice Talon l’a engagée à partir de sa prise de position ouverte contre la révision de la Constitution, ainsi qu’il en a lui-même fait la confidence, rapportant dans une interview à Rfi en 2014, son refus d’accéder au rêve de Boni Yayi, de le voir “télécommander” le tripatouillage de la Loi fondamentale pour perpétuer le pouvoir du changement. C’est donc en toute cohérence que, devenu chef de l’Etat, il a régulièrement affirmé et réaffirmé ses distances à l’égard d’une telle démarche. Quelle est alors la motivation des députés de sa majorité qui ont choisi de manger son totem ?
A 17 voix pour et 6 contre, la Commission des Lois de l’Assemblée que préside l’He Orden Alladatin a voté pour la poursuite en plénière de l’examen de la proposition de révision de la Constitution, par-delà des requêtes de la Cour constitutionnelle aux députés, dans sa décision du 4 janvier 2024. Si ce score sans appel a plongé les antirévisionnistes dans un effroi, il cache mal les non-dits de la composition de cette commission elle-même, taillée sur mesure. C’est donc sans surprise que les dix-sept députés proches du chef de l’Etat se sont faits plus royalistes que le roi, laissant à leurs six collègues de l’opposition Ld, le soin d’être par leur vote, plus en phase avec le refus du président Talon de toucher à une virgule de la Loi fondamentale qui avait déjà subi une opération chirurgicale nocturne en novembre 2019.
Anguille sous roche
Si la révision contre laquelle l’actuel locataire de la Marina s’est opposée avant son accession au pouvoir visait un 3ème mandat ; et si les défenseurs de la révision actuelle jurent par tous les saints du monde qu’ils sont contre une prolongation du pouvoir de Talon après 2026, c’est qu’il y a une cause cachée dans l’emballage qui sera défait lors des débats en plénière au Parlement.
S’agit-il d’une simple réorganisation des dates des scrutins afin d’habiliter les prochains élus à parrainer les candidats à la présidentielle de 2026 ou plutôt d’une autre anguille qui sortira bientôt du dessous d’une roche ? En attendant que les débats parlementaires nous en dévoilent le secret, la volonté farouche des membres de la commission des lois de recoudre la Constitution après l’avoir raccommodée en 2019 laisse pantois. Le président Talon en assortissant son opposition à la révision d’un certain souci de légitimité des parrains, non visé par la Cour, a transformé ledit souci accessoire mais non pertinent, en préoccupation majeure justifiant finalement la révision qu’il ne voulait pas. Ce prétexte de légitimité sorti de nulle part, sonne trop faux pour être pris au sérieux.
Il cache mal des intentions anticipées par rapport à 2026 visant des députés de la majorité dont on redoute la rébellion aux instructions de l’Upr et du Br, en représailles à leur éjection à la “Souwi” des listes pour les élections qui se tiendront dans moins de deux ans.
Comment d’ailleurs justifier juridiquement un tel souci de légitimité pour les députés non-astreints à des mandats impératifs ? Est-ce le fait d’avoir gouverné pendant bientôt dix ans avec pour une fois depuis 1990, un parlement contrôlé à cent-pour-cent par le chef de l’Etat, qui fait croire qu’il s’agit non plus d’une exception à la règle, mais désormais d’un principe à observer pour configurer l’assemblée nationale ? Pourquoi rechercher la parfaite harmonie entre le parlement et le président de la République là où le rôle constitutionnel du premier se résume au contrôle de l’action gouvernementale dont répond le second ?
La danse des députés zélés
On tombe bien des nues quand on s’imagine des députés béninois devenus si désintéressés par leur longévité politique au point de renoncer par eux-mêmes au privilège qui leur est dévolu par la Constitution révisée de 2019, celui de parrainer les candidats à la présidentielle. Il est difficile de croire qu’ils s’y aventureraient, s’ils n’avaient déjà aujourd’hui, aucune garantie de figurer sur les listes électorales de 2026, alors que l’expérience de la confection des listes électorales de 2019 et 2023 pour les législatives et celles de 2020 pour les communales a montré comment cela fonctionne.
C’est en effet désormais un secret de Polichinelle que ces listes ont été et seront confectionnées sous la direction “éclairée” du chef de l’Etat pour ce qui est de l’Upr et du Br, tout comme celles des Ld le seront sous la houlette de Boni Yayi. Mais c’est beaucoup plus à la mouvance présidentielle qu’à l’opposition que, par excès de zèle, certains députés se sont approprié le souci du président Talon de décréter que les élus de 2026 seraient plus légitimes que ceux actuellement en exercice, loin de la seule instruction de la Cour relative au rétablissement de l’égalité de pouvoir entre les élus.
Toutes choses étant égales par ailleurs, devrait- on considérer que le président Talon, au terme de son second et dernier mandat, ne serait plus légitime pour intervenir dans la confection des listes de candidature des deux partis Upr et Br aux législatives et aux communales ? Dans la surprenante affirmative, qui accepterait dès lors de laisser son sort politique entre les mains d’un Joseph Djogbénou à l’Upr ou d’un Abdoulaye Bio Tchané ? Qu’on ne s’y trompe pas, cet argument magique de la légitimité vise à régler leurs comptes à ces élus qui ne suivraient pas, comme l’a fait l’honorable Souwi en 2021, les mots d’ordre de ces partis présidentiels.
Il apparaît donc que c’est plutôt l’ombre de l’option Olivier Boko plane sur ce faux prétexte de légitimité, sauf que celui-ci, sans doute par loyauté, n’a jamais pris la décision de faire ce que fit Talon en 2014 contre Yayi à savoir, s’engager dans un combat frontal contre le président sortant sur le sujet qui fâche : la révision de la Constitution.