Offrant une double protection notamment contre les infections sexuellement transmissibles dont le Vih/Sida et les grossesses précoces ou encore non désirées, le préservatif revêt une importance capitale en matière de santé sexuelle et reproductive. Seulement, plusieurs jeunes et adolescents béninois n’y accèdent pas facilement bien que la disponibilité ne pose pas problème. En cause, ce regard qui continue de déranger…
Hamid, jeune garçon de 17 ans, vient de passer une dizaine de minutes devant une boutique sans se plaindre de la longue attente. A la demande d’un client de passer se faire servir pour son tour, il lança “faites-vous servir seulement, je ne suis point pressé“. Alors que l’affluence semblait diminuer, Hamid s’approcha et demanda qu’on lui serve du “biscuit“. La gérante de la boutique sourit et lui tendit un paquet de préservatifs. “Tout le monde n’a pas le courage de s’en procurer en public“, a laissé entendre la dame, après le départ du jeune Hamid.
“J’avais l’habitude de m’acheter des préservatifs auprès d’une dame dans mon quartier. Ma présence seule suffit pour qu’elle comprenne ce dont j’ai besoin et elle me sert sans que je ne sois obligé d’attirer l’attention de tout le monde“, confie Wenceslas Z, jeune étudiant résidant à Agblangandan dans la commune de Sèmè-Podji. Mais depuis quelques semaines désormais, ce dernier se trouve contraint de s’en procurer ailleurs. Selon ses confidences, la dame serait devenue une amie proche de sa tutrice.
Marie-José Djondo est agent de vente dans l’une des grandes pharmacies de Cotonou. Elle confie que cette réalité s’observe malheureusement dans les officines de pharmacie également. “Un jour, un monsieur était venu à la pharmacie et quand on l’appelle pour lui dire « monsieur, c’est votre tour », il dit non, vous pouvez servir les autres. Et finalement, il se rapproche pour dire : vous voulez que je dise cela pour que tous les regards soient dirigés vers moi ?“, a-t-elle confié avant d’estimer avoir pris quelques minutes pour expliquer au client qu’il n’y avait aucune honte à se procurer du préservatif.
Alors qu’il y en a qui ne trouvent aucun gêne à exprimer leur besoin d’acheter du préservatif, beaucoup hésitent encore et trouvent des astuces pour se faire servir. « Il y en a d’autres quand ils viennent, ils peuvent dire “je veux acheter du paracétamol“ et en voulant lui servir le paracétamol, il te dit “où se trouve les rayons des préservatifs“…Ce n’est qu’à cet instant que nous comprenons qu’il veut du préservatif et non du paracétamol“, témoigne Marie-José.
Agent de vente et caissière dans une pharmacie dans l’arrondissement d’Agblangandan, Manzidath B estime qu’en dehors du fait que beaucoup attendent que l’affluence diminue, il n’est pas rare de constater que certains paniquent en voulant se procurer du préservatif à la pharmacie. “Quand ils parlent, on sent la peur dans leur voix, le stress alors que certains vous disent qu’ils veulent du chewing-gum ou bonbons“ a-t-elle confié avant d’affirmer qu’à plusieurs reprises, certaines personnes ont renoncé finalement à acheter le préservatif.
Si selon Barakath Coles, ancien agent de vente en pharmacie, plusieurs jeunes, une fois arrivés à la pharmacie, préfèrent pointer du doigt le préservatif pour se faire servir, Pauline Dossou admet que l’achat du préservatif à la pharmacie reste un moment de stress pour certains. A en croire cette dernière, ce sont souvent les femmes qui sont réticentes. “Elles passent du temps à attendre et parfois, elles n’en prennent plus. Un jour, j’étais à la pharmacie, la dame, elle était venue acheter mais je lui ai demandé ce qu’elle voulait mais elle ne disait rien. Ce n’est qu’après que j’ai su ce qu’elle voulait car elle a dû se faire servir par une autre personne à l’abri des regards“ a-t-elle laissé entendre.
En effet, c’est une évidence que les jeunes éprouvent une certaine honte à se procurer du préservatif aussi bien en pharmacie qu’au niveau d’autres points de vente. Bien qu’ils soient conscients de l’importance de l’usage du préservatif sur la santé sexuelle et reproductive, ils y accèdent presque difficilement.
Pour Nourou Adjibadé, Directeur exécutif de Ceradis-Ong, le préservatif reste un moyen efficace de se protéger contre les infections sexuellement transmissibles y compris celles entraînant la stérilité, le Vih/Sida, les grossesses non désirées et/ou précoces.
Selon la cinquième Enquête démographique et de santé au Bénin (EDSB V 2017-2018), l’âge du premier rapport sexuel est souvent précoce soit avant l’âge de 15 ans pour certains. Selon l’enquête, près de la moitié des adolescentes (48 %) sont sexuellement actives et l’indice synthétique de fécondité est de 5,7 enfants par femme. Parmi les adolescents de 15-19 ans, 12 % des femmes et 6 % des hommes ont eu leurs premiers rapports sexuels avant l’âge de 15 ans tandis qu’avant d’atteindre 18 ans, 59 % des femmes âgées de 25-49 ans avaient déjà eu leurs premiers rapports sexuels contre 39 % chez les hommes du même groupe d’âges. L’âge médian aux premiers rapports sexuels est estimé à 17,3 ans chez les femmes de 20-49 ans et à 18,7 ans chez les hommes de la même tranche d’âges.
Alors que la connaissance des méthodes contraceptives dont le préservatif est relativement élevée au Bénin (90 % chez les femmes et 93 % chez les hommes sont informés du condom masculin selon l’EDSB V), le taux d’accès au préservatif semble encore loin d’être rassurant. En cause, ce regard dans un environnement plein de préjugés et dans lequel le caractère tabou entoure toujours la question de sexualité.
Ce regard qui dérange…
Alors qu’il est préconisé une utilisation constante et correcte du préservatif dans l’optique de l’efficacité de la prévention de la grossesse et de la transmission du VIH, il faut reconnaitre que beaucoup n’y accèdent pas facilement. De la difficulté à exprimer le besoin d’achat en public à cette image sociale dégradante qu’on pourrait vous coller dans la communauté, il y a ce regard qui semble “accusateur“ et qui repousse.
Dans une publication de l’OBS dans sa rubrique “Lettre des requêtes“, une dame accusait un hypermarché de ne pas offrir des conditions pour s’acheter discrètement des préservatifs et ce, malgré son importance et la forte demande. Pour elle, il n’est pas question que tout le monde sache que vous allez avoir un rapport sexuel.
En effet, nombreux sont ces jeunes béninois qui ne supportent pas ces regards ou ces yeux rivés sur eux dès qu’ils laissent entendre qu’ils veulent se procurer du préservatif. “Dans une pharmacie à Akpakpa, lorsque j’ai voulu acheter du préservatif, l’agent qui m’a servi a d’abord pouffé de rire. Mais j’avais également du mal à quitter la pharmacie car tous les regards étaient braqués sur moi. Depuis ce jour, je n’achète même plus de médicaments dans cette pharmacie“ déplore Benoit Zanclan, jeune vitrier.
Pour un autre jeune qui a requis l’anonymat, ce n’est pas qu’à la pharmacie que ce regard vous repousse. Selon ses confidences, il lui est arrivé d’acheter deux fois dans la même journée, du préservatif auprès d’une vendeuse dans son quartier. “Lorsque je suis arrivé acheter pour la deuxième fois, elle s’est mise à me faire la morale en me disant que je risque de me faire tuer en tenant à un tel rythme, des rapports sexuels. Je me suis retiré sans pouvoir me procurer du préservatif auprès d’elle mais ailleurs“, a-t-il déploré avant d’estimer qu’il n’était pas déjà facile de supporter ces regards lorsque vous voulez acheter le préservatif.
Directeur exécutif de Ceradis-Ong, Nourou Adjibadé pointe du doigt le caractère tabou entourant le sexe au Bénin, la religion, l’éducation sociale. Toute chose qui fait que l’on voit, selon lui, tout acheteur de préservatif comme un dépravé. “Que ce soit en pharmacie ou ailleurs, lorsque vous dites que vous voulez acheter du préservatif, il y a ce regard stigmatisant qui ne dit pas son nom“, admet-il, fort de ses expériences en matière santé sexuelle et reproductive.
A l’en croire, il importe de mettre en place un dispositif permettant aux cibles de s’offrir les préservatifs en toute discrétion tout en œuvrant à combattre la stigmatisation en lien avec l’accès au préservatif. A titre illustratif, il évoque un dispositif du Centre Intégré de Prise en Charge (CIPEC) des victimes de Violences Basées sur le Genre (VBG) d’Abomey. De ses explications, il ressort que le dispositif est positionné dans un couloir du bâtiment et il suffit d’appuyer sur un bouton et le préservatif vous tombe entre les mains et ce, à l’abri des regards.
Kpote Kiosque, une solution innovante à l’abandon…
Présentée comme une expérience innovante pour combler les attentes des jeunes en matière d’informations et de services en lien avec la santé sexuelle et reproductive, le Kpote Kiosque (lire capote kiosque), mis en place par Ceradis-Ong, se veut un espace de détente et d’échanges entre jeunes sur la santé de reproduction. Entre autres activités développées dans ledit centre, des échanges entre jeunes, sensibilisation sur la prévention du VIH/Sida, la promotion du dépistage, l’orientation vers des structures sanitaires.
Ici, les jeunes et adolescents peuvent se procurer en toute discrétion, du préservatif. Et ceci, gratuitement. En effet, les préservatifs sont disposés dans des calebasses, déposées dans les toilettes ainsi que dans des paniers accrochés à plusieurs endroits. Il suffit juste de se rendre aux toilettes ou de s’orienter vers lesdits paniers pour s’en procurer sans que personne ne s’en aperçoive.
La mise en place du Kpote kiosque vient, en réalité, en réponse à ces difficultés d’accès au préservatif. A en croire Nourou Adjibadé, l’objectif visé est de rapprocher davantage le préservatif de ses utilisateurs potentiels. Et de préciser qu’environ une demi-douzaine de Kpote kiosque a été mise en place par Ceradis-Ong.
Mais la quasi-totalité desdits centres sont désormais abandonnés et ne sont plus fonctionnels, faute de moyens financiers pour assurer la pérennisation de l’initiative. Selon le Directeur exécutif de Ceradis-Ong, après la clôture du projet ayant facilité leur mise en place, des ressources ont été mobilisées pour assurer leur fonctionnement durant près d’une décennie.
Plusieurs centres de jeunes connaissent le même sort, déplore-t-il avant d’exhorter les conseils communaux à s’approprier cette stratégie pour pérenniser ces initiatives en faveur des jeunes à travers la création d’une ligne budgétaire qui permettra de financer le fonctionnement desdits centres.
Selon une déclaration commune de l’Onusida, de l’Oms et de l’Unfpa, les préservatifs sont considérés comme une composante essentielle d’une stratégie complète et durable de prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles (IST) et sont efficaces pour éviter les grossesses non désirées.
Aziz BADAROU