Cet homme a du talent. Personne ne l’avait vu venir dans la fonction présidentielle. Il est vrai que, depuis longtemps, il roulait sa bosse dans les coulisses du pouvoir. C’était un homme d’affaires bien connu. Et en homme d’affaires africain, les coulisses politiques sont des arcanes sécurisés pour faire des affaires juteuses et, apparemment, Patrice Talon ne s’en est pas privé. Il n’eut aucun scrupule à le confesser au début de son mandat.
Qu’est-ce qui a pu le décider à entrer dans l’arène politique ? Il faut se le demander. Mais on n’est pas loin de constater qu’il fut, en politique, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il y est entré à pas feutrés. Sans crier gare. Chacun l’observait du coin de l’œil, l’attendant au carrefour. Certains souhaitant le voir réussir. D’autres prédisant sa chute. Entré en politique en catimini, l’homme y est allé à pas de charge. Les réformes sont passées par là, fermes, rudes, difficiles, mais salutaires, pour le bonheur des uns et le malheur des autres. Et, au final, pour l’approbation du plus grand nombre. Qui peut faire l’unanimité en cette vie? Même Dieu le Père n’y arrive pas. Les chamailles politiciennes n’ont pas manqué tout au long du parcours.
Puis vint ce qui ne devrait jamais arriver chez nous. Beaucoup évoquent, pour l’élever au rang de sanctuaire à ne pas toucher, la Conférence Nationale qui a refondé notre pays. Sauf qu’on oublie de reconnaître que cette même Conférence Nationale a prohibé à jamais la prise de pouvoir par la force. Le serment fut violemment rompu un funeste dimanche de décembre 2025. Un ancien Chef d’Etat Major Général des armées, le Colonel Vincent Guézodjè, s’en retournerait dans sa tombe. Or, le 7 décembre 2025, les armes ont tonné. Violentes et mortelles. Faisant justement des morts. Juste pour dire leurs frustrations et leur mécontentement. Rien que ça? La démocratie en a pris un coup. L’image du pays s’est trouvée subitement floutée. Notre fierté s’en est trouvée écornée. Nos réformes, nos succès, notre joie dont nous nous gaussions volontiers ont pris de l’eau. Oui, de l’eau est entrée dans le gaz.
Comment parler de tout ceci devant une presse qui attendait Patrice Talon au carrefour? Quelle posture adopterait-il? Disons-le net: Patrice Talon a gagné le pari de la réussite.
Tout l’arsenal des grands jours était au-rendez-vous dans cet exercice périlleux: une conférence de presse à laquelle fut conviée la crème de la presse nationale et internationale . On reproche souvent au Chef de l’Etat de privilégier la presse étrangère au détriment de la presse locale. Les journalistes béninois devraient se sentir fiers et enfin exaucés dans leurs vœux.
Et ils avaient du répondant en face d’eux : le brillant orateur Patrice Talon.
Le dramatique de la situation aurait pu le dissuader d’aller dans les détails. Que nenni! Ce n’était pas la posture de Patrice Talon. L’homme ne fait rien à moitié. Elégant, fringant, fier, droit dans ses bottes comme toujours, il l’était, malgré tout: cravate violette, sur une chemise immaculée recouverte d’une veste bleue nuit assortie au pantalon. Emu, oui, il l’était aussi. Surtout quand il répondait à Inès Facia qui lui transmettait des questions sur sa santé et son état d’esprit de la part des enfants dont elle dirige l’émission. Humain, également au point de reconnaître qu’il a pris un coup au moral ». En effet, Patrice Talon n’est pas un dieu. Non, pas du tout. Ceux qui, admiratifs, le déifiaient, en sont pour leurs frais. Ceux qui, par contre, pleins de fiel, l’envoyaient en enfer, peuvent ranger leur haine au placard.
Patrice Talon n’a éludé aucune question, tour à tour grave, souriant, ironisant sur l’amateurisme des putschistes, déplorant avec sérieux leur acte de voyous et de mécréants, et sincère lorsqu’il reconnut avoir fait appel à l’aide militaire extérieure pour « finir le job ».
Je m’amusai à scruter la mine des journalistes, hommes et femmes présents, face à lui, Patrice Talon: attentifs, souriants, graves, émus, tristes, tendus et certainement convaincus par un homme qui, il y a une semaine à peine, était face aux balles assassines d’une horde de putschistes et qui, maintenant, sort de sa réserve et se présente comme le Chef d’Etat et le chef des armées qu’il n’a jamais cessé d’être.
Le drame du 7 décembre 2025 a donné l’impression de lui faire davantage prendre conscience de ses hautes et lourdes responsabilités. A quelques encablures de la fin de son mandat! Son successeur est prévenu. La tâche ne sera pas facile. C’est pourquoi, j’ose respectueusement une doléance : la grâce pour tout ou partie des prisonniers politiques. Mais là, c’est une autre affaire. Avec ou sans TALON.
JEROME BIBILARY
