(Le Capam entre un défi spirituel et l’extension nationale)
Le quartier de Zongo, notamment autour de sa mosquée centrale, est depuis longtemps un point de convergence pour les personnes en situation de mendicité. Cependant, l’impulsion du gouvernement à « assainir » la capitale économique et à libérer les espaces publics, couplée à la création du Capam, a profondément modifié le paysage et le quotidien de ces populations vulnérables.
Un haut lieu de la mendicité historique. La zone autour de la grande mosquée de Zongo, l’une des plus importantes du Bénin, a toujours été un lieu privilégié pour la pratique de l’aumône. Historiquement, les mendiants, souvent des personnes handicapées, des talibés (enfants confiés à un maître coranique) ou des ressortissants de pays voisins (notamment du Niger), s’y installaient, bénéficiant de la générosité des fidèles, surtout les vendredis et lors des fêtes religieuses. Cette présence toujours palpable bien qu’inscrite dans une tradition de solidarité, contribue aux préoccupations d’hygiène publique et de sécurité soulevées par le gouvernement du Bénin dans le cadre de sa politique d’urbanisme.
De l’opération « Zéro mendiant dans les rues » au Capam
Depuis un certain temps et de manière intensifiée, les autorités mènent des opérations de déguerpissement pour libérer les trottoirs et les espaces publics. La création récente du Centre d’assistance psychiatrique et d’accompagnement des personnes en situation de mendicité (Capam), situé à Kpomassè, est la réponse structurelle du gouvernement à cette problématique. Ce centre vise à offrir une solution durable aux personnes retirées des rues, en leur proposant : des soins psychiatriques pour les malades mentaux ; l’assistance sociale : hébergement, nourriture et accompagnement et la réinsertion qui passe par la formation professionnelle pour les personnes aptes, afin de leur permettre de retrouver leur autonomie et leur dignité. Ainsi, l’objectif affiché n’est plus seulement de chasser, mais de prendre en charge. Toutefois, l’efficacité et la capacité du Capam à absorber l’intégralité des mendiants, y compris ceux de la zone de Zongo, seront déterminantes pour pérenniser l’assainissement de la ville. Si les mendiants de Zongo ne sont plus aussi visibles qu’avant, le phénomène social, lui, persiste. L’avenir de ces personnes repose désormais sur la réussite de la politique d’assistance sociale et de réinsertion portée par le Capam et les structures d’encadrement partenaires.
Une atteinte à une tradition béninoise d’offrande et de miséricorde ?
La raréfaction des mendiants dans les rues de Cotonou, particulièrement aux abords des voies, dans les feux tricolores soulève par contre, une question délicate qui touche à la fibre sociale et religieuse béninoise. Pour de nombreux fidèles, quelle que soit leur obédience (chrétienne, musulmane ou traditionnelle), l’offrande à un démuni est un acte central de la pratique religieuse. C’est un moyen direct d’obtenir la miséricorde divine ; un acte de charité qui purifierait l’âme et les biens et aussi de se voir exaucer ses prières. Le mendiant est perçu comme un intercesseur potentiel, dont la prière en faveur du donateur est censée être plus facilement acceptée.
Aujourd’hui, il est devenu de plus en plus difficile de rencontrer un mendiant visible dans les grandes artères de Cotonou. Cette « disparition » forcée, si elle répond à un impératif d’ordre public, prive de nombreux citoyens d’une opportunité quotidienne d’exercer cette piété et cette solidarité directe qui cimentent une partie du lien social traditionnel béninois. La question posée est donc de savoir si la prise en charge institutionnelle du Capam peut pleinement remplacer l’impact spirituel et moral de l’aumône spontanée ou quelle possibilité offre le Capam pour que cette fibre religieuse soit maintenue.
Une Initiative nationale pour un défi national
L’autre pan de cette initiative qui mérite d’être souligné concerne la portée géographique du dispositif. Le Centre d’assistance psychiatrique et d’accompagnement des personnes en situation de mendicité est, pour l’instant, et selon les informations, centré sur le traitement des personnes retirées principalement des rues de Cotonou et, dans une certaine mesure, de Porto-Novo. Or, le Bénin est plus grand que Cotonou. Les réalités sociales et les besoins en matière d’assistance psychiatrique et de prise en charge des mendiants existent dans toutes les grandes et moyennes villes du territoire : Parakou, Djougou, Abomey, Ouidah, etc.
Pour que l’initiative gouvernementale soit considérée comme une véritable politique de justice sociale et de cohésion nationale, elle doit s’étendre. Les malades mentaux et les mendiants des autres régions, souvent plus isolés et moins visibles médiatiquement, ont également un besoin impérieux de soutien, de soins et de réinsertion. Une extension du modèle du Capam, via la création d’antennes régionales ou de structures d’accueil temporaires, permettrait de garantir que la dignité et l’assistance offertes ne soient pas un privilège réservé aux populations des grandes métropoles du Sud. Le succès du Capam ne se mesurera pas seulement à la propreté des rues de Cotonou, mais à sa capacité à répondre à un défi social et sanitaire sur l’ensemble du territoire béninois, assurant une prise en charge équitable pour tous les citoyens dans le besoin.
Fifonsi Cyrience KOUGNANDE
