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Entretien avec S. Ami Touré: « Je danse pour exister, créer et transmettre »

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À la croisée des traditions béninoises et des écritures contemporaines, Sahadatou Ami Touré inscrit son corps dans une quête d’émancipation et de transmission. Danseuse et chorégraphe engagée, elle fait de la scène un espace d’expression des silences, notamment autour de la condition féminine, comme en témoigne sa pièce Barika. Formée à l’École des sables et au Centre La Termitière, respectivement au Sénégal et au Burkina-Faso, passée par Walô, elle fonde sa propre voix chorégraphique à travers la Cie AMI TOURÉ. Dans cet entretien, elle évoque son parcours, son rapport à l’enseignement de la danse et son désir de faire de la danse un outil de transformation individuelle et collective.

Pouvez-vous retracer les grandes étapes de votre parcours en danse, du Bénin à l’international ?

 J’ai commencé la danse à Kandi, ma ville natale, dans le nord du Bénin, sans école de danse, sans structure, juste avec la passion, l’énergie brute. Ensuite, je me suis investie dans plusieurs formations et festivals nationaux, jusqu’à ce que la ville de Parakou devienne un véritable terrain de création pour moi. C’est là que j’ai commencé à initier des formations structurées et à encadrer de jeunes danseur.ses. Mon passage par l’École des Sables au Sénégal a été un tournant majeur. Il a renforcé mes bases, ouvert mon regard et m’a connectée à une communauté internationale. J’ai eu également la chance de participer à Dancing Pina, une expérience marquante qui m’a menée dans plusieurs pays du monde, et depuis, je multiplie les projets entre le Bénin, la Suisse – où je réside aujourd’hui –  et d’autres pays d’Europe.

Danser, puis chorégraphier, qu’est-ce qui a déclenché en vous ce besoin ?

Danser m’a permis de me reconnecter à moi-même. Chorégraphier, c’était la suite naturelle : j’avais besoin de raconter, d’exprimer ce que je vivais en tant que femme, en tant qu’artiste, en tant qu’africaine dans un monde en transformation. La danse est devenue un outil de narration, de résistance, de sensibilisation. Chorégraphier, c’est pour moi un acte de prise de parole.

Vous avez évoqué, un peu plus haut, votre passage à l’Ecole des Sables, école de référence en Afrique. Comment a-t-elle façonné votre approche de la danse?

L’École des Sables m’a enseigné l’humilité, la rigueur et l’ancrage. On y apprend à déconstruire pour reconstruire. J’y ai rencontré des maîtres, des traditions, mais aussi des langages contemporains. Cela m’a permis d’assumer pleinement mon identité, à la croisée de mes racines africaines et des influences mondiales. Ce fut une école de vie autant que de danse.

Parlant de rencontre, quel.les artiste.s, maîtres ou communautés ont marqué votre trajectoire, des premiers pas de danse à aujourd’hui ?

Il y en a plusieurs. Les jeunes de Kandi m’ont offert mes premières scènes improvisées. Ensuite, à Cotonou où j’ai rencontré la directrice de la compagnie Walô Rachelle AGBOSSOU. À Parakou, les danseurs.ses  que je forme m’inspirent chaque jour. Sur le plan professionnel, l’approche de Germaine Acogny m’a bouleversée. Travailler avec des chorégraphes internationaux, ou encore le contact avec l’univers de Pina Bausch à travers Le Sacre du Printemps, m’ont profondément influencée. Sans oublier des collègues béninois comme NIEDJO Guillaume, Doegamou ATROKPO, Bonaventure SOSSOU, Tito Ulrich ou Carmelita Siwa, avec qui j’ai noué des liens solides.

Humainement et artistiquement, qu’est-ce que votre participation au documentaire « Dancing Pina » vous a appris, alors que vous y avez revisité, avec d’autres danseurs, la chorégraphie de Pina Bausch sur Le Sacre du printemps ?

Ce projet a été un choc. Revisiter Le Sacre du printemps de Pina Bausch, c’est plonger dans un langage brut, viscéral, collectif. J’y ai appris la discipline du corps et la vérité du geste. Ce documentaire m’a offert une place dans une histoire chorégraphique mondiale, tout en m’invitant à m’affirmer. Il m’a aussi rendue plus exigeante, plus à l’écoute, plus engagée dans ma manière de danser et d’enseigner.

Et votre collaboration avec la Cie Davar sur le spectacle Changer d’Amour, dans le cadre du programme Inspiration Bénin de l’Institut français?

Ce fut une expérience enrichissante. Le spectacle questionnait les formes d’amour dans nos sociétés. Travailler avec la Cie Davar, c’était accepter de sortir de mes cadres habituels, d’écouter d’autres langages, d’éprouver la scène autrement. Et cela m’a aussi permis de me connecter davantage avec le public béninois autour de thématiques sensibles.

Vous êtes désormais très impliquée dans la formation d’autres jeunes danseur.ses, notamment à Parakou. Que signifie pour vous transmettre, en danse ?

Transmettre, c’est d’abord un devoir. C’est laisser des traces, ouvrir des portes. La danse m’a sauvée, m’a construite, et je veux qu’elle fasse de même pour d’autres. Transmettre, c’est aussi apprendre à chaque fois. À Parakou, j’ai vu des jeunes se transformer, prendre confiance, rêver plus grand. C’est ce qui me donne de l’énergie.

Et quels sont les défis et les satisfactions que vous rencontrez dans votre rôle de pédagogue ?

Le principal défi, c’est l’absence de structures et de moyens. Former dans un contexte où la danse n’est pas toujours reconnue comme un métier, c’est dur. Mais la satisfaction vient des visages, des progrès, de l’impact sur les communautés. Quand une jeune fille me dit qu’elle ose enfin prendre la parole grâce à un atelier de danse, je sais pourquoi je fais ça.

Parlons de vos projets, lesquels mobilisent actuellement votre énergie ?

Actuellement, je travaille sur plusieurs projets : Il y a BAMBATA, un projet de formation dans les quartiers de Parakou ; le Kid’s Dance Challenge, un concours dans les écoles pour éveiller les enfants par la danse ; le KOBOUROU School Dance Challenge, une compétition de danse thématique entre les lycées et collèges de la ville de Parakou et qui est à sa 4ème édition ; sans oublier Parakou Danse, en prélude de la journée internationale de la Danse. Je développe aussi des projets de création de spectacle dont BARIKA, le crie à la Poussière, terre de vie. Ce sont des projets de résidence, de création, mais aussi de sensibilisation.

A quoi rêvez-vous pour votre compagnie et pour la danse au Bénin dans les années à venir ?

Je rêve d’un centre chorégraphique professionnel à Parakou, d’un lieu qui forme, qui crée, qui rayonne. Je rêve que les jeunes artistes puissent vivre dignement de leur art. Je rêve aussi que la danse au Bénin soit reconnue dans sa diversité, qu’elle circule, qu’elle dialogue avec le monde tout en valorisant nos héritages.

Si vous deviez définir votre univers artistique en trois mots, lesquels choisiriez-vous ? : Un mot pour celle et ceux qui hésitent à s’engager dans une carrière chorégraphique

N’attendez pas que tout soit parfait pour commencer. Si la danse vous appelle profondément, si elle vous traverse, alors osez. Ce ne sera pas un chemin facile. Il y aura des doutes, des manques, des remises en question mais chaque pas que vous feriez vous rapprochera de ce que vous êtes vraiment. La chorégraphie, ce n’est pas seulement créer des mouvements : c’est créer du sens, du lien, du vivant. Engagez-vous avec sincérité, et le reste suivra.

Entretien réalisé par Roland Kovenon(Coll.)

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