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Au Niger, en voulant s’enrichir, la junte prend le risque d’offrir: du yellow cake aux djihadistes

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Albert Camus disait qu’un homme, ça s’empêche. Autrement dit, un homme doit être raisonnable, ses actes uniquement guidés par la mesure et le bon sens. Manifestement, la junte militaire au pouvoir à Niamey, issue du coup d’État du 26 juillet 2023, semble n’avoir jamais entendu la recommandation de l’écrivain français. Elle qui est prête à tout pour remplir ses caisses, y compris à braver les interdits internationaux et à flirter avec le chaos terroriste.

Selon toute vraisemblance, un accord secret a été conclu entre les putschistes de Niamey et le géant russe du nucléaire, Rosatom, pour la vente de 1 000 tonnes de yellow cake – uranium concentré – pour un montant de 170 millions de dollars. Au-delà de l’illégalité de la transaction, on est face à des risques sécuritaires et des manœuvres occultes impliquant des pays aussi troubles que l’Iran des mollahs.

Butin de guerre

Faut-il le rappeler, le 23 septembre dernier, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), instance arbitrale dépendant de la Banque mondiale, a rendu une décision sans ambiguïté. Dans un arbitrage opposant l’État nigérien à la société française Orano (ex-Areva), le CIRDI a ordonné à Niamey de « ne pas vendre, ni céder ni même faciliter le transfert à des tiers » de l’uranium produit par Orano à Arlit et confisqué par la junte. Cette mesure conservatoire vise explicitement les stocks de yellow cake entreposés sur le site minier de Somaïr, filiale locale d’Orano. Pourtant, malgré cette injonction claire, la junte persiste et signe : elle s’apprête à écouler 1 000 tonnes de cette matière dangereuse vers la Russie, au mépris total du droit international.

Il convient d’indiquer que depuis 1971, Orano exploite les gisements d’Arlit et d’Imouraren, faisant du Niger le deuxième producteur africain d’uranium derrière la Namibie. La société française, à travers sa filiale locale, Somaïr, a investi des milliards et formé des générations de techniciens nigériens. Mais le putsch du général Abdourahamane Tiani a tout bouleversé. Accusant Paris de néocolonialisme, la junte a expulsé les troupes françaises de la base de Niamey, rompu les accords de défense et, cerise sur le gâteau radioactif, révoqué les licences minières d’Orano en juin 2024. Obligée de plier bagage, la multinationale a dû cesser ses activités du jour au lendemain. Conséquence directe, elle a perdu le contrôle opérationnel sur ses installations et, surtout, sur son stock de 1 400 tonnes de yellow cake toujours entreposé à Arlit.

Évaluée à quelque 250 millions de dollars sur le marché spot – où le prix de la livre d’U3O8 oscille autour de 80 dollars ces derniers mois –, cette réserve représente un trésor que la junte considère comme un butin de guerre. Selon la décision du CIRDI, le Niger ne peut en aucun cas revendiquer la propriété de ce stock. Produit sous les auspices d’Orano, financé par des investissements français et soumis à des contrats de concession valide jusqu’en 2040, cet uranium appartient légalement à la société tricolore.

La confiscation opérée par Niamey n’est rien d’autre qu’une expropriation, ce qui est contraire au principe des affaires et condamnée par toutes les règles du commerce international. Pourtant, les militaires au pouvoir, pressés par une économie exsangue marquée par une inflation galopante, la chute des recettes douanières après la fermeture des frontières avec le Bénin, voient dans ces 1 400 tonnes une manne providentielle. En sachant que les 1 000 tonnes promises à Rosatom ne sont que la partie émergée de l’iceberg : les 400 restantes pourraient suivre, si l’on en croit des fuites au sein du ministère nigérien des Mines.

 Trajet de tous les dangers

Mais l’illégalité n’est que le premier volet de cette affaire nauséabonde. Le deuxième problème, et de loin le plus grave, concerne le trajet infernal que devra emprunter cette cargaison radioactive. Les 1 000 tonnes de yellow cake chargées dans des camions vont traverser des centaines de kilomètres de pistes sahéliennes. Le plan des putschistes est de faire partir les chargements d’Arlit, au nord du Niger, pour les acheminer vers le sud, en passant par le Burkina Faso voisin, avant d’atteindre le port de Lomé au Togo. Sauf que le nord et l’est du Burkina Faso sont des fiefs incontestés des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et à l’Organisation État islamique au Grand Sahara (EIGS).

Depuis 2015, le Burkina est devenu un cimetière pour les forces de l’ordre et les civils. Les attaques se multiplient ainsi que les embuscades sur les axes routiers truqués de mines artisanales et les enlèvements. En 2024, selon un rapport de l’ONU sur le Sahel, plus de 40 % du territoire burkinabè échappe au contrôle de l’État. Les zones frontalières avec le Niger, autour de Tillabéri et de la boucle du Mouhoun, sont particulièrement infestées. Des convois humanitaires y sont régulièrement pillés. On n’ose pas imaginer ce qui pourrait arriver à ces camions transportant une matière aussi stratégique et dangereuse que le yellow cake. Une attaque terroriste et voilà des tonnes d’uranium concentré entre les mains de terroristes capables de le revendre au plus offrant sur le marché noir nucléaire.

Car le yellow cake est la base de la chaîne d’enrichissement d’uranium : avec les centrifugeuses adéquates, on passe de l’U3O8 à l’hexafluorure d’uranium, puis à l’uranium enrichi à 20 % ou plus. Un détournement au Sahel pourrait alimenter des programmes clandestins, de la Corée du Nord au Pakistan. Or, la junte n’a même pas les moyens de sécuriser le trajet. Les forces armées nigériennes, déjà débordées par les djihadistes à l’est et les rebelles touaregs au nord ne peuvent même plus faire illusion. Une source militaire locale confie son effroi : « C’est de la folie pure. Un convoi comme ça, c’est une cible ambulante. »

Le double jeu russe

Pire encore, le troisième danger est directement lié à la roublardise de la Russie, qui ne serait finalement qu’un intermédiaire de façade dans cette transaction. Selon des sources bien informées, les véritables acheteurs finaux ne sont pas à Moscou, mais à Téhéran. L’Iran des mollahs, sous embargo nucléaire depuis des décennies, cherche désespérément à renouveler ses stocks d’uranium concentré après les frappes israéliennes et américaines sur ses installations de Natanz et Fordow. Inutile d’indiquer qu’en octobre 2024, des raids de Tsahal ont détruit ses centrifugeuses.  Résultat : Téhéran a besoin de yellow cake frais pour relancer son programme, officiellement civil, mais soupçonné par l’Occident d’être militaire.

Le schéma est simple : la société russe Rosatom, sous sanctions occidentales mais active en Afrique grâce à des accords opaques, achète le yellow cake nigérien à bas prix – 170 dollars la tonne, contre 180-200 dollars sur le marché international. Puis, sous couvert d’exportations vers la centrale de Bushehr ou d’autres sites russes, une partie est envoyée en Iran par des routes maritimes ou aériennes. Des précédents existent : en 2022, des cargaisons soudanaises ont transité par la Syrie avant d’atteindre la République islamique. Nos sources affirment que des négociateurs iraniens ont été vus à Niamey ces derniers mois. C’est dire qu’en échange de devises sonnantes et trébuchantes, la junte est prête à tout, y compris au pire. Après tout, Niamey a déjà signé des accords militaires avec Wagner (désormais Africa Corps), et Moscou promet des armes, des formations et une protection pour les putschistes.

Cette triangulation russo-iranienne n’est pas nouvelle. Vladimir Poutine, maître du jeu d’échecs nucléaire, utilise l’Afrique comme son arrière-cour pour contourner l’isolement occidental. Au Mali, en Centrafrique, en Libye. Partout, la Russie avance ses pions. Mais au Niger, le jeu est plus dangereux. Quand on sait que le monde entier s’inquiète de la possession par l’Iran de l’arme nucléaire – rapports de l’AIEA sur des enrichissements à 60 %, proches du seuil militaire de 90 % –, il faut s’interroger sur les motivations de ce régime de Niamey.

La communauté internationale doit réagir parce que l’ultime question est celle-ci : doit-on laisser des gens aussi irresponsables menacer la sécurité internationale ? On le voit, la junte de Niamey, en quête d’enrichissement rapide, joue avec le feu nucléaire. Au Sahel, où chaque convoi peut être le dernier, transporter du yellow cake à travers des zones djihadistes n’est pas une opération commerciale. C’est une bombe à retardement. Et le monde, trop occupé par l’Ukraine ou Gaza, risque de ne se réveiller que quand il sera trop tard.

M.M

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