Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Patrice Talon en 2016, le Bénin est le théâtre d’une série de tentatives de révision constitutionnelle aux fortunes diverses. L’annonce d’une nouvelle proposition de révision, en absence de tout débat préalable sur sa nécessité et son opportunité, engendre de vives inquiétudes au sein de l’opinion publique.
Le Bénin de Patrice Talon est synonyme de réformes. L’une des premières tentatives de réforme majeure, souhaitée par le Président peu après son élection en 2016, visait à instaurer un mandat présidentiel unique. Bien qu’elle ait été initialement rejetée par le Parlement en 2017, un camouflet notable pour le chef de l’État, l’idée d’une réécriture du pacte fondamental n’a jamais vraiment disparu. Car une réforme constitutionnelle a été adoptée en 2019, avec un parlement monocolore, qui a introduit des changements majeurs, notamment la création d’une Cour des Comptes, de la Vice-présidence ou encore des dispositions sur la discrimination positive pour les femmes. Cependant, ces réformes ont été critiquées à juste titre pour leur adoption dans un contexte politique tendu, marqué par l’absence d’une opposition au Parlement et une précipitation qui a court-circuité un dialogue national inclusif, auquel Patrice Talon et son pouvoir n’ont d’ailleurs jamais adhéré. En mars 2024, une autre proposition de révision émanant de députés de la mouvance présidentielle a agité la scène politique avant d’échouer au parlement. Le Président Patrice Talon affirmera après publiquement ne pas en être demandeur. Un an plus tard, alors que l’opinion publique se concentre sur les élections générales de 2026, la majorité parlementaire initie curieusement, une nouvelle révision en plein processus électoral, prenant les Béninois de court. L’idée principale est la création d’un Sénat avec des membres potentiellement non élus et presque à vie, réduisant ainsi les pouvoirs exécutifs et législatifs. De plus, les débats politiques qui s’opposent aux idées de la mouvance, selon ce projet, seront alternés et mis en veille pendant quatre ans sur les cinq d’un mandat présidentiel au Bénin. Véritable instrument de contrôle, l’idée de ce Sénat, déjà perçu comme un Conseil d’administration pour les autres pouvoirs, n’a fait l’objet d’aucun consensus ou débat public préalable. Les réformes, notamment le Code électoral avec son lot de contraintes, telles que le parrainage et le seuil de 20% de suffrages exprimés par circonscription électorale pour toute éligibilité au parlement, sont vues comme des obstacles qui étouffent davantage l’opposition absente au rendez-vous présidentiel à venir et compliquent l’animation de la vie politique par celle-ci.
Un jeu de rôle troublant
Ce jeu de rôle troublant entre l’Exécutif et la majorité parlementaire est de plus en plus perçu par beaucoup comme une stratégie visant à exercer une pression continue sur la Constitution. Chaque nouvelle initiative, qu’elle réussisse ou échoue, installe le doute sur la stabilité et la sacralité de la loi suprême. L’aspect le plus frappant et le plus nuisible de ces épisodes constitutionnels répétés est le manque de transparence qui entoure le processus. Les Béninois, attachés à leur héritage démocratique, ont du mal à saisir les véritables motivations derrière ces tentatives incessantes de modification de la Loi fondamentale. Contrairement à l’esprit de la Conférence Nationale de 1990 qui avait donné naissance à la Constitution fondatrice, les révisions actuelles sont perçues comme des décisions techniques et politiques prises dans un cercle restreint. Il manque un débat serein, éducatif et véritablement national sur la pertinence et la nécessité de ces changements pour le bien commun. L’argument officiel avance souvent des corrections d’erreurs matérielles ou des améliorations pour la gouvernance. Cependant, ces arguments ne suffisent pas à dissiper les doutes sur une volonté d’adapter l’instrument juridique aux stratégies politiques du pouvoir en place en muselant les acquis démocratiques. La Rupture devra accepter que ces manœuvres sapent la confiance des citoyens. Lorsque la Constitution, censée être le fondement intangible de la République, peut être modifiée à un rythme soutenu, elle perd de sa légitimité et devient un simple outil aux mains de la majorité politique du moment. L’instrumentalisation de la révision constitutionnelle est un signe d’une démocratie en déclin. Que le pouvoir en place ne l’ignore pas !
M.M
