LETTRE OUVERTE DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS DU BENIN AUX HONORABLES DEPUTES A L’ASSEMBLEE NATIONALE DU BENIN
Cotonou, le 06 novembre 2025
Les Secrétaires Généraux de :
-la Confédération des Syndicats Autonomes du Bénin (CSA-Bénin),
– a Confédération Générale des Travailleurs du Bénin (CGTB),
-l’Union Nationale des Syndicats de
Travailleurs du Bénin (UNSTB)
Aux
Honorables députés à l’Assemblée Nationale du Bénin
Objet : Position des organisations syndicales sur la proposition de loi portant révision de la Constitution déposée le 31 octobre 2025
Honorables Députés,
Les travailleuses et travailleurs du Bénin, réunis au sein de la Confédération des Syndicats Autonomes du Bénin (CSA-Bénin), de la Confédération Générale des Travailleurs du Bénin (CGTB) et de l’Union Nationale des Syndicats de Travailleurs du Bénin (UNSTB), ont l’honneur de vous adresser la présente correspondance afin de vous faire part de leur vive préoccupation relative à la proposition de loi introduite par les députés AKE Natondé et ASSAN Seïbou, visant à réviser la Constitution dans le but d’instituer un Sénat au sein de l’architecture institutionnelle de notre République.
Il nous est parvenu, par voie médiatique, que ladite proposition a été déposée le vendredi 31 octobre 2025, à l’initiative des deux blocs parlementaires de la majorité présidentielle. Selon ses initiateurs, cette réforme aurait pour finalité de moderniser la démocratie et de rééquilibrer les pouvoirs entre les institutions de la République.
Toutefois, une analyse approfondie de cette initiative révèle des préoccupations majeures tant sur le plan formel que sur le fond.
Sur le plan procédural, l’introduction de cette proposition sans consultation préalable, sans débat public, et à la veille « de la fin de règne » d’un régime ayant exercé le pouvoir durant une décennie, suscite des inquiétudes légitimes. Le projet de révision constitutionnelle, en ce qu’il modifie substantiellement et subtilement le régime politique choisi par le peuple souverain en 1990 et l’équilibre des pouvoirs, devrait impérativement faire l’objet d’un référendum. Il est donc légitime de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les initiateurs ont choisi de contourner cette voie démocratique, en évitant tout débat national préalable, ce qui, à notre avis, s’apparente à une confiscation du pouvoir appartenant au peuple souverain.
Les travailleuses et travailleurs du Bénin tiennent à rappeler avec insistance et gravité qu’une réforme d’une telle ampleur échappe à la compétence du mandataire du peuple qu’est l’Assemblée Nationale. Le projet doit impérativement être soumis à l’approbation du mandant qu’est le peuple souverain, seul détenteur de la légitimité constitutionnelle en la matière, à travers un référendum.
Par ailleurs, il convient de souligner que les préoccupations premières des citoyens, et en particulier des travailleuses et travailleurs, résident dans la sécurité humaine, l’amélioration de leurs conditions de vie, la lutte contre la pauvreté, l’accès à des services sociaux de qualité, et la garantie d’un emploi décent. Dans un contexte marqué par une précarité croissante, une inflation persistante, et une détérioration du pouvoir d’achat, il est pour le moins paradoxal que l’attention des représentants du peuple se porte sur une réforme superfétatoire, coûteuse, clivante, déconsolidante et inconséquente, plutôt que sur des politiques publiques mélioratives susceptibles de répondre aux besoins urgents et vitaux des populations.
Un régime qui va solliciter dans quelques mois le suffrage du peuple comme c’est le cas, devrait en toute logique, faire de la justice sociale et du mieux-être des citoyens sa priorité absolue.
Le projet de révision soulève en outre des inquiétudes plus profondes. Il tend à conférer les pouvoirs les plus étendues, quasi-illimitée, à une catégorie de citoyens non élus, investis d’un mandat à vie, et placés au-dessus des institutions républicaines, y compris celles issues du suffrage populaire. Une telle proposition senestre méconnaît gravement l’histoire politique du pays, remet en cause les fondements mêmes de la République, qui repose sur la souveraineté populaire, l’égalité devant la loi, l’absence de toute forme monarchique, et la garantie des libertés fondamentales. Or, l’article 156, alinéa 2 de la Constitution béninoise dispose explicitement que la forme républicaine de l’État et sa laïcité ne peuvent faire l’objet d’une révision.
De plus, l’érection d’une telle institution risque d’attiser et de réactiver en permanence les tensions interinstitutionnelles et politiques dans le pays. Les motifs spécieux avancés par les auteurs de la proposition ne sauraient justifier une telle réforme, d’autant plus que depuis 1990, les institutions ont fonctionné sans entrave majeure, et que la paix et le développement, dont se réclame le régime sortant, n’ont jamais été compromis par l’absence d’un Sénat.
Au regard de ce qui précède, les travailleuses et travailleurs du Bénin considèrent que cette initiative, introduite en fin de mandat de façon cavalière et sans aucun respect pour le peuple souverain, poursuit des fins inavouées, étrangères à celles professées et proclamées. Elle est de nature à instaurer une confusion suicidaire des pouvoirs. Elle n’est ni pertinente, ni consensuelle, encore moins attendue par le peuple et ne poursuit pas l’intérêt général. En conséquence, ils expriment leur ferme désapprobation et leur opposition résolue à toute révision constitutionnelle dans un contexte préélectoral général agité éprouvant pour notre démocratie.
C’est pourquoi ils en appellent à la responsabilité des honorables députés, toutes sensibilités confondues, afin qu’ils ne s’associent pas à une entreprise susceptible de fragiliser l’édifice démocratique patiemment construit depuis la Conférence des forces vives de la nation. Ils les exhortent à rejeter cette proposition de révision et à inviter les autorités compétentes à recourir, le cas échéant, au peuple souverain par voie référendaire.
Enfin, les travailleuses et travailleurs du Bénin restent particulièrement attentifs à l’évolution de ce dossier et se réservent le droit d’interpeller publiquement chaque député en fonction de la posture qu’il adoptera dans le cadre de ce processus.
Dans l’espoir que leur appel sera entendu et pris en compte dans vos délibérations, nous vous prions de recevoir, Honorables Députés, l’expression de nos salutations les plus respectueuses et patriotiques.
Ont signé :
Anselme Amoussou
Moudassirou BACHABI
Appolinaire AFFEWE




