Home Bénin Gouvernance de la Rupture: Les actifs pour Talon, les passifs pour Yayi

Gouvernance de la Rupture: Les actifs pour Talon, les passifs pour Yayi

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L’entretien télévisé du Président Patrice Talon, tenu le 4 novembre 2025, a pris une tournure inattendue. Alors que l’opinion publique s’attendait majoritairement à une intervention du chef de l’État sur la révision constitutionnelle portée par sa majorité au Parlement, un sujet politique brûlant, il a choisi plutôt de s’en prendre frontalement à son prédécesseur, Boni Yayi, lui imputant tous les passifs de sa gouvernance.

Le règne de la dichotomie Talon/Yayi continue. Cette fois-ci, c’est le Chef de l’État lui-même qui prend les devants. En conviant les Béninois à un entretien exclusif après l’annonce d’une rencontre avec ses députés ainsi que ceux démissionnaires du parti d’opposition Les Démocrates, l’opinion s’attendait à voir un Patrice Talon convaincant et persuadé de sa position en faveur de la révision constitutionnelle qui fait actuellement l’actualité. Alors que sa majorité au Parlement propose ce texte controversé, qui met en lumière la création d’un Sénat où il pourrait régner aux côtés des anciens présidents d’institutions, cette idée laisse beaucoup de citoyens perplexes. Loin donc de défendre cette réforme constitutionnelle, le Chef de l’État a plutôt laissé place à des critiques envers son prédécesseur. Ainsi, par ce procédé, Patrice Talon a eu le temps et le loisir de montrer qu’entre lui et Boni Yayi, la situation est plus que chaotique. Ce choix est d’autant plus surprenant qu’il y a peu, lors d’un échange avec la jeunesse au Palais de la République, Patrice Talon avait insinué que les relations entre eux étaient apaisées, mentionnant qu’ils « s’appellent, s’échangent des Sms et restent en contact. » Or, dans cet entretien, le Chef de l’État adopte une posture d’agacement et tient un discours diamétralement opposé, remettant en cause la nature de cette relation et peignant Boni Yayi comme l’unique obstacle à la bonne marche du pays. Patrice Talon utilise ainsi ce temps d’antenne pour imputer ce qu’il qualifie d’échecs et de blocages de ses réformes à son prédécesseur. Il érige Boni Yayi en coupable idéal de tous les maux qui minent, ou pourraient miner, la fin de sa gouvernance en avril 2026. Autrement dit, l’entretien se présente comme une succession d’accusations précises visant à déresponsabiliser le régime actuel. Ennemi aux réformes, Patrice Talon dénonce l’attitude de Boni Yayi depuis le début de la « Rupture »: « Depuis 2016, mon prédécesseur, le président Boni Yayi, s’emploie avec beaucoup d’énergie à faire échouer toutes les réformes, quelles qu’elles soient, et à l’action publique, quel que soit le secteur… », a-t-il déclaré. Le président Patrice Talon va plus loin, en le désignant comme l’unique architecte du chaos politique, notamment lors des élections législatives de 2019. « Ce qui s’est passé en 2019, c’est le président Boni Yayi qui a été le seul responsable. Il a empêché la tenue normale des élections. », s’est-il offusqué. L’homme se décharge ici de toute responsabilité dans les violences et le Parlement monocolore qui ont suivi. Même la gestion budgétaire est victime de l’obstruction de l’ancien président, selon Patrice Talon. Il cite l’exemple du vote du budget 2025, où Boni Yayi aurait contraint son parti à voter contre, malgré l’intégration de leurs amendements. « Le président leur a interdit de voter le budget, bien que celui-ci ait pris en compte la quasi-totalité de leurs observations et recommandations », a-t-il indiqué. Ces propos chocs présentent ainsi Boni Yayi comme un saboteur irrationnel de l’intérêt national.

La centralisation des réussites : Talon, le moteur des actifs

En le désignant comme le « souffre-douleur » et le « bouc émissaire idéal » pour tout ce qui ne va pas chez Les Démocrates, Patrice Talon met en place une stratégie d’évitement, n’ayant « rien à se reprocher » quant à la conception ou l’exécution de ses propres réformes. En contrepoint de cette distribution des passifs, Patrice Talon s’attribue l’entière paternité des réussites et des avancées institutionnelles, qui deviennent les actifs de sa gouvernance. Il rappelle qu’il a toujours souhaité associer les compétences, illustrant son esprit d’ouverture par l’appel à tous au développement. Cette collaboration est un atout qu’il s’approprie, non comme un héritage du consensus national, mais comme le fruit de sa seule volonté. De ses propos, il faut retenir que la réforme du système partisan est présentée comme une nécessité qu’il a eu le courage d’engager. « Avant 2016, tout le monde priait pour une réforme du système partisan. Nous l’avons engagée et j’en suis fier », a-t-il précisé. L’actif le plus surprenant est sa proposition d’un double retrait de la vie politique après 2026. « La guéguerre entre mon ami, mon grand-frère, l’ancien président et moi, est en train de pourrir l’environnement politique au Bénin… Je voudrais tant que lui et moi quittions la scène politique», reconnaît le chantre du Nouveau départ. En proposant de s’effacer, Patrice Talon se positionne comme l’homme d’État qui fait un sacrifice suprême pour la concorde nationale, une ultime preuve de sa dévotion au Bénin, contrastant avec l’obstination de son prédécesseur qui, lui, s’accroche à l’arène politique.

Yayi toujours au centre des intérêts, malgré les réformes salutaires

À analyser de près tous ces propos à décharge, tout porte à croire que cette posture agacée donne l’impression que, malgré un bilan socio-économique souvent salué et une mainmise politique quasi totale, Patrice Talon se sent de plus en plus gêné de voir son prédécesseur lui ravir la vedette au sein de l’opinion, en capitalisant sur son statut d’opposant et de figure populaire. L’énergie qu’il lui consacre durant cet entretien et l’insistance à le rendre coupable de tout montrent que le conflit Talon/Yayi n’est pas seulement politique, mais qu’il est devenu une rivalité de leadership qui, selon lui, menace la légitimité et la sérénité de sa propre gouvernance de la Rupture. Que croire finalement ?

J.G

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