Une petite révolution, discrète mais puissante, est en train de redéfinir le paysage énergétique et sécuritaire de l’agglomération de Cotonou et d’Abomey-Calavi : l’apparition massive des mini-stations-service modernes. Le long des grands boulevards, ces dispositifs modernes se sont multipliés à un rythme effréné. Mais, au-delà des grands axes, les mini-stations doivent conquérir les ruelles.
Le contraste est frappant. Là où régnait le danger permanent des récipients instables et d’un carburant de qualité incertaine, se dressent désormais des machines équipées de pompes, offrant un service sécurisé et transparent. Ces dispositifs, désormais visibles et implantés l’un près de l’autre, rappellent par leur densité les anciens étalages de « kpayo ». C’est un pas de géant pour la sécurité publique, réduisant considérablement les risques d’incendies dévastateurs et assurant une meilleure protection des moteurs.
Cependant, malgré ce déploiement visible et louable sur les artères principales, l’effort de formalisation souffre encore d’une lacune majeure : la couverture des ruelles et des zones résidentielles intérieures. Si la route nationale et les grands carrefours bénéficient de cette modernisation, le cœur des quartiers populaires reste paradoxalement en marge.
Historiquement, le succès et la résilience du marché du « kpayo » reposaient sur un avantage concurrentiel simple mais décisif : la proximité absolue. Le vendeur informel était à portée de main, même au fond du plus labyrinthique des quartiers. Pour un motocycliste, s’approvisionner prenait quelques secondes, sans nécessiter de détour.
Aujourd’hui, si les mini-stations n’intègrent pas les ruelles, l’usager circulant au milieu des habitations et des marchés de proximité serait contraint de faire un trajet supplémentaire, parfois significatif, pour rejoindre l’une des nouvelles mini-stations sur un axe majeur. Cette nécessité de s’éloigner des zones de vie crée une friction et un manque de commodité. C’est dans cet interstice que le commerce de l’essence frelatée, bien que pourchassé, parvient à survivre. La facilité d’accès immédiate prend souvent le pas sur les préoccupations de qualité et de sécurité pour une large partie de la population.
Intégrer la proximité dans la stratégie de formalisation
Pour que la modernisation soit totale, juste et définitivement victorieuse, la prochaine étape stratégique doit être l’implantation obligatoire et planifiée de ces mini-stations au cœur même des ruelles et des quartiers intérieurs. L’objectif de formalisation ne sera pleinement atteint que lorsque le service moderne et sécurisé pourra concurrencer le marché noir sur son propre terrain de jeu : la proximité inconditionnelle. Laisser les ruelles sans alternative formelle, c’est y maintenir des poches d’insécurité où les bouteilles dangereuses et les risques d’accidents par manipulation subsistent. La sécurité publique exige que le danger soit banni de chaque mètre carré du territoire. Aussi, la majorité des usagers, notamment les conducteurs de motos-taxis (zémidjans) qui sont les plus gros consommateurs et dont l’activité est intrinsèquement liée aux ruelles, doivent pouvoir accéder à un carburant de qualité sans pénalité de temps ou de distance. L’accessibilité est une question d’équité sociale et économique. En effet, seule une offre formelle, aussi accessible et répandue que l’était le frelaté, peut porter le coup de grâce au marché parallèle. En rendant le carburant de qualité aussi facile à trouver que l’était l’essence de contrebande, les autorités élimineront la principale raison d’être de ce commerce informel et dangereux.
Certes, la substitution des bouteilles par des dispositifs modernes est une victoire incontestable. Mais la véritable mesure du succès de cette réforme résidera dans sa capacité à pénétrer les moindres recoins de l’agglomération. Il est temps que l’effort de modernisation sorte des grands axes pour transformer, de manière définitive, le commerce d’essence de la rue au cœur de la ruelle.
Fifonsi Cyrience KOUGNANDE