L’ancien président Boni Yayi traverse sans doute la période la plus délicate de sa carrière politique, et il doit le savoir : sa survie dépendra désormais de l’issue du travail confié à la Commission de proposition des candidatures. Car les militants à la base du parti Les Démocrates commencent à douter de lui, et leur scepticisme se nourrit d’un constat cruel : le garant de l’unité et de la cohésion est en train d’en devenir le fossoyeur.
Les bureaux issus des deux commissions de candidature ont révélé une fracture béante, l’un composé majoritairement de ressortissants de la partie méridionale, l’autre presqu’exclusivement de natifs du septentrion.
Cette césure nette est un échec retentissant pour le président du parti, car elle consacre l’incapacité de Boni Yayi à incarner l’impartialité et à maintenir l’équilibre.
Ce qui devait être une force d’intégration devient ainsi une ligne de fracture, et le mauvais présage pour les prochaines échéances électorales saute désormais aux yeux de tous.
Le 24 septembre, au moment où la Coordination Nationale s’apprêtait à installer les deux commissions, Boni Yayi suspendit les travaux pour vingt minutes afin de convaincre un ancien député de voter pour son « choix ».
La scène, digne d’un trafic d’influence, restera comme une tâche indélébile dans l’histoire récente du parti. Car à cette occasion, l’ancien président exerça des pressions multiples, usant parfois de menaces voilées, parfois de chantages à peine dissimulés. « …Donc vous ne voulez plus être sur la liste des législatives ?… » : ces propos ont été entendus par plus d’un, avant que certains ne se retirent de la commission, écœurés.
Pourquoi donc un président censé être au-dessus de la mêlée choisit-il de descendre si bas dans l’arène des intrigues partisanes ?
Le plus choquant reste toutefois la constitution même du bureau de la Commission des candidatures. Comment accepter que le premier Rapporteur de ladite commission ait son propre frère jumeau parmi les candidats ?
Comment tolérer que ces deux frères jumeaux aient encore leur mère assise comme membre de la même commission chargée d’évaluer les candidatures ?
Il s’agit là d’un conflit d’intérêts manifeste, d’une situation de partialité ou de suspicion légitime de partialité. Juridiquement, c’est une parenté incompatible avec l’exercice de la fonction d’arbitre ou d’évaluateur, une atteinte flagrante au devoir d’impartialité.
En vérité, ces deux membres doivent être récusés pour confusion des rôles, collusion familiale, conflit d’intérêts entraînant une suspicion légitime de partialité. Le simple bon sens devrait suffire pour écarter cette aberration, mais le président Boni Yayi, lui, trouve cela logique et normal.
La plupart des militants, eux, grondent de colère, et ce grondement assourdissant monte des bases jusqu’à la Coordination nationale.
Fait-il semblant de ne pas entendre cette rumeur, ou s’est-il enfermé dans une tour d’ivoire où seuls les échos flatteurs de ses fidèles parviennent ? Un haut responsable du parti, pourtant très proche de lui, avoue : « Personne ne sait ce que veut réellement le président ».
Et c’est bien là le drame. Le 23 septembre, à la réunion de la Coordination Nationale, il appelait ses camarades à « cultiver l’amour » et à « travailler dans l’union », répétant inlassablement « soyez unis » ou encore « confiez votre cœur à Jésus ».
Mais comment croire à ces prêches quand, en réalité, il divise et fragilise son propre parti ? Il tourne à droite quand il clignote à gauche, à la manière d’un conducteur indécis, et sa crédibilité s’effrite. Ses gestes rappellent Pénélope, tissant le jour et défaisant la nuit, mais aussi Sisyphe, condamné à rouler éternellement son rocher pour le voir retomber.
Mais plus grave encore : Boni Yayi, qui s’est personnellement acharné à « fabriquer » ce bureau, semble oublier que la Commission n’est qu’un organe d’évaluation. Elle n’est ni souveraine ni juge, mais simple examinatrice. Son rôle se limite à scruter les candidatures, à en extraire des duos crédibles et à formuler de simples propositions.
Les textes sont limpides : « La Coordination Nationale reçoit et transmet les résultats des travaux au Conseil National pour validation conformément à l’article 71 du Règlement Intérieur. »
Autrement dit, la Commission n’a que force de proposition et non force de décision : c’est au Conseil National —et à lui seul— qu’il reviendra de trancher.
Dès lors, pourquoi ce zèle suspect de l’ancien président à verrouiller une instance dont la mission est purement préparatoire ? À vouloir orienter l’évaluation, il s’expose à la question qui fâche : quel sort sera réservé à ceux qui ne sont pas de son « camp » ?
À l’instar de Pénélope et de Sisyphe, Boni Yayi défait lui-même ce qu’il prétend bâtir. Les militants à la base le voient, le sentent, et commencent à perdre confiance en lui.
Et si rien ne change, ce n’est pas seulement sa présidence du parti qui sera en péril, mais bien l’avenir politique des Démocrates tout entiers.
M.M