Trois ans après l’annonce historique du gouvernement béninois en faveur du reversement progressif des AME (Aspirants au Métier d’Enseignant), les récentes sorties de deux hauts responsables politiques viennent jeter une ombre inquiétante sur l’avenir de cette promesse présidentielle. En remettant en cause le bien-fondé même de cette décision, Joseph Djogbénou et Mariam Chabi Talata semblent tourner dos à l’engagement pris solennellement par le président Patrice Talon lors du Conseil des ministres du 12 janvier 2022.

Entre engagements trahis et mépris affiché, l’éducation béninoise est au bord du précipice. En effet, en ce début d’année 2022, l’espoir renaissait dans le rang des milliers d’enseignants précaires du Bénin. Le Conseil des ministres du 12 janvier 2022 avait officialisé une mesure saluée de tous : le reversement progressif des AME dans la fonction publique, à partir de 2022, par vague annuelle. Une reconnaissance attendue par plus de 30.000 enseignants qui portent à bout de bras l’école béninoise, dans les villages les plus reculés, souvent dans des conditions de travail déplorables.

Mais en septembre 2025, à quelques mois des échéances électorales, cette promesse semble désormais classée sans suite, bafouée par ceux-là mêmes qui auraient dû en assurer la mise en œuvre.

Des propos qui font froid dans le dos

Le 8 septembre 2025 à N’dali, la Vice-Présidente Mariam Chabi Talata, elle-même ancienne enseignante, lâchait une phrase glaçante : « On ne va pas céder aux pressions qui ne tiennent pas compte des impératifs liés à l’obligation de résultats dans l’enseignement pour prendre des décisions. Moi je trouve que c’est une sorte de chantage, vous êtes 30.000 et que derrière vous il y a 3 millions mais derrière tous les béninois il y a 14 millions parmi eux il faut assurer l’éducation de qualité à plus de 7 millions, 8 millions de béninois… »

Dans une logique mathématique réductrice, la vice-présidente oppose les revendications des enseignants à l’ensemble de la population, comme si les deux étaient incompatibles. Ces propos semblent être une négation de l’importance stratégique de l’éducation dans le développement du pays.

Encore plus déroutante, la déclaration du président d’un parti au pouvoir, Joseph Djogbénou, qui, dans le même contexte, affirmait : « Si nous faisons par démagogie le reversement, la route que nous faisons jusqu’à Malanville, nous aurons des problèmes, nous aurons des problèmes d’électricité, d’eau, d’infrastructures, d’industrialisation, de transformation des produits … » Ainsi, selon lui, investir dans les enseignants constituerait un frein aux projets d’infrastructures ? Une conception court-termiste et dangereuse du développement, qui ignore que sans éducation, aucune infrastructure ne pourra être durablement exploitée.

Une trahison politique flagrante

Ces propos choquent d’autant plus qu’ils émanent de figures majeures du régime de la Rupture. En remettant en cause le reversement des AME, Djogbénou et Talata désavouent purement et simplement la décision prise par le gouvernement en 2022, sous l’égide du président Talon. Quel crédit accordé à la parole publique, si trois ans après une promesse, ses propres artisans la piétinent ?

La Fédération Nationale des Collectifs des Enseignants Pré-Insérés du Bénin (FéNaCEPIB) ne s’y est pas trompée. Dans une série de réponses musclées, elle dénonce des propos méprisants, réducteurs et injustes, et rappelle que l’éducation ne peut être reléguée au second plan, sous prétexte de routes ou de béton. « L’éducation est l’infrastructure des infrastructures », martèle la FéNaCEPIB.

Un choix de société

En réalité, le débat dépasse le simple cas des AME. Il pose une question fondamentale : Quel modèle de société voulons-nous pour le Bénin ? Un modèle qui investit dans son capital humain, ou un modèle qui sacrifie l’école sur l’autel des calculs budgétaires et électoraux ?

Il est paradoxal, pour ne pas dire scandaleux, qu’après avoir proclamé l’éducation comme priorité nationale, on refuse de stabiliser ceux qui la portent. Depuis six ans, les AME enseignent dans des conditions précaires, sans garantie de carrière, sans couverture sociale décente, avec des salaires en deçà du minimum vital. Pourtant, ils assurent l’essentiel du service éducatif public dans de nombreuses localités.

Mandela avait vu juste

Ce que semblent oublier les décideurs actuels, c’est cette vérité simple, mais puissante, rappelée par Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. » Si cette arme est entre les mains d’enseignants fragilisés, méprisés et abandonnés, alors le pays lui-même se désarme face à l’avenir.

Vers une rupture avec la « Rupture » ?

À l’approche de 2026, alors que de nouvelles ambitions présidentielles se profilent, les enseignants – et plus largement les citoyens – pourraient bien retenir qui a tenu parole et qui l’a trahie. Le régime Talon avait offert une promesse : celle de sortir des milliers d’enseignants de la précarité. Aujourd’hui, cette promesse est ouvertement remise en cause par ceux censés être ses héritiers politiques. L’histoire retiendra les choix faits en ces moments décisifs.

Le peuple, lui, n’oubliera pas.

M.M.

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