Barthélémy Toguo s’est rendu au Bénin, dans le cadre des rencontres contemporaines de Cotonou, déroulé au mois de juillet. Il est venu apporter sa  pierre à l’édifice des arts contemporains en appuyant la jeunesse conviée sur cette expédition.

Matin Libre: Dites-nous déjà, quel a été le réel motif de votre participation à cette rencontre ?

Barthélémy Toguo: Je me suis déplacé parce que j’avais envie de partager mon parcours avec les jeunes artistes du continent africain. Je suis venu ici pour partager ce moment, échanger avec eux et aussi découvrir ce qu’ils font.

Et là, en termes de parcours, justement, quand nos lecteurs voudront connaître Barthelemy Toguo davantage, qui êtes-vous ?

Je suis artiste plasticien camerounais, je vis  et travaille à Paris et à l’ouest du Cameroun, dans la ville de Banjul, où j’ai créé une résidence d’artistes, où les artistes du monde entier peuvent venir séjourner et penser des projets nouveaux, mais en collaboration surtout avec la communauté locale de Banjul. Nous sommes en zone rurale et il faut s’intéresser aussi aux habitants. Et on a aussi associé à ce projet culturel de résidence d’artistes une dimension agricole. Et on a développé sur 2 voire 3 hectares des plantations de caféiers, de bananiers, de maïs, de palmiers à huile. Et aussi pour manger surtout, on cultive quelques légumes, des ignames aussi, du manioc. Sauf que nous privilégions une agriculture organique, plus biologique. Et donc nos récoltes sont utilisées dans nos résidences d’artistes, dans nos projets de résidence. Et on a développé un projet critique sur le prix des matières premières, suite à une citation de Senghor, qui avait dit que les prix des matières premières étaient fixés par l’Occident. Et que c’est l’Occident qui fixait les prix du marché des produits d’exportation. Et il fixait des prix très bas, ce qui appauvrissait les agriculteurs africains. Ainsi, nous avons décidé nous-mêmes de monter notre projet agricole, de planter notre propre café, le récolter, le décortiquer, le sécher, le torrifier et le mettre dans un emballage de lithographie, avec une œuvre d’artiste, et fixer nous-mêmes le prix de notre agriculture, de notre récolte, de notre café, pour essayer de montrer que c’est à nous les Africains, pays producteurs de tels produits, c’est à nous de fixer le prix. Et voilà un petit peu une démarche critique qu’on a instaurée à Banjul Station. Alors, en termes de démarches artistiques, que doit-on retenir de Baptiste Lémitot ? J’ai commencé par la sculpture à l’École des Beaux-Arts d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, puis j’ai continué à Grenoble, j’ai découvert la photographie, le travail sur Photoshop, j’ai découvert la performance aussi, et j’utilise tous ces médiums qu’est la peinture, la sculpture, la photographie, la gravure, pour produire mes travaux. Je suis artiste plasticien, je peins, je sculpte, je dessine, je fais des céramiques aussi, et j’expose, et j’ai la chance de vivre de ce que je fais aujourd’hui, parce que je travaille avec une galerie qui est installée à Paris et à New York, et qui peut m’amener à  apporter mon travail dans des grandes foires telles qu’à Basel, Hong Kong, la foire de Madrid, ou de Miami, ou d’autres foires en Asie, ainsi de suite. Je vis et travaille à Paris, comme je l’ai dit, je travaille dans mon atelier, et ma galerie organise aussi des expositions à la galerie Le Long à Paris et à New York. Je vis et travaille, je gagne, comment dirais-je, je vis de ce que je fais.

Alors, les débuts de Barthélémy Toguo remontent à quelle année précisément ?

Je rentre à l’école des beaux-arts en 1990, par là. Je termine dix années après, en passant par Abidjan, quatre années, Grenoble, quatre années, Düsseldorf, deux années, et je m’installe à Paris en l’an 2000.

Tout à l’heure, vous étiez en train de dire que vous cumulez l’agriculture à l’artistique. Est-ce que ça voudra dire que l’artistique uniquement ne nourrit pas son homme ?

Non, c’est juste parce que j’ai pensé à un moment à la qualité de ce qu’on peut manger, qu’on peut consommer, et aussi pour changer d’air, pour ne pas rester figé dans une pratique au quotidien du premier au 31. C’est pour souvent m’échapper des coups d’appel, des téléphones, des rendez-vous avec les commissaires d’exposition, et m’échapper dans un autre domaine complètement différent, que j’ai choisi d’épouser l’agriculture pour m’échapper. Et j’ai pensé à une agriculture végétale, à une agriculture saine, loin des produits toxiques, chimiques.

Depuis le début de sa carrière, est-ce qu’il y a des expériences qui ne lui ont pas assez plu ou qui ont quand même créé des difficultés ?

Je crois que par rapport à ma génération, c’est ce qu’il fallait adopter, c’est ce qu’il fallait faire comme exemple de celui qui veut apporter un projet sur le continent, d’aller directement sur le concret. C’est comme ça que j’ai quitté mon atelier à Paris pour venir au Cameroun sur un terrain familial, où il y a la sépulture de mon père. J’ai monté un projet physique tout seul, sans aucune subvention. La construction physique de Banjul Station, parce qu’il fallait un lieu pour s’installer. La difficulté qu’on a au quotidien aujourd’hui à Banjul Station, c’est sur le fonctionnement, parce que nous n’avons aucune subvention, aucun budget. Mais il fallait déjà faire exister physiquement le lieu. C’est ce qui m’a préoccupé au début. Et ça a été fait. Ces difficultés viennent plutôt dans l’apport sur le financement au quotidien que nous avons au quotidien, parce que les États africains n’investissent pas dans la culture, alors que la culture est un facteur de développement concret. Donc voilà, notre difficulté aujourd’hui se situe au niveau du fonctionnement d’un tel projet. On titube, mais on avance avec beaucoup de difficultés.

Dans la plupart de tes travaux, tu  privilégies quelles types de thématiques ?

Je suis très attentif à ce qui se passe autour de nous et par rapport à notre vie du quotidien. J’essaie de parler, de marquer, de modeler ce que nous traversons, parce que je garde cette démarche sur l’histoire des artistes de la Renaissance qui ont peint le désastre, la tragédie de la peste qui avait sévi en Italie. Oui, les artistes de la Renaissance qui ont peint la peste qui avait sévi dans la ville de Florence. Je me suis dit que je traverse une période où nous vivons avec le sida, l’Ebola, le Covid, et plein d’autres choses, et je dois m’en inspirer, tout simplement. Je suis plus proche de notre vie du quotidien, et mes inspirations ne sont pas loin de la vie, tout simplement.

Alors, plus d’une trentaine d’années pratiquement d’exercices artistiques, vous êtes venu, dans le cadre de cette rencontre, donner la main aux jeunes, vous l’avez dit, mais est-ce que c’est uniquement de cette manière que vous passez la main, ou est-ce qu’il y a d’autres projets sur lesquels vous essayez vous-même de donner la main aux jeunes pour les entraîner à être peut-être à votre niveau un jour ?

Le fait de rentrer en Afrique et de bâtir Banjul Station est déjà un acte symbolique très fort, de venir sur le continent et de monter des projets concrets. Je fais juste un plus en me déplaçant physiquement dans certains pays pour contribuer à d’autres projets similaires. Donc, je traîne dans cette idée de solidarité et de partage depuis mes débuts. Le fait d’avoir concrétisé Banjul Station est une affirmation complète qui montre ma contribution au développement sur le continent. Par contre, j’ai des amis qui ont des projets ici et là, ils n’hésitent pas à m’inviter et je ne fais aucune discrimination. Bien au contraire, les projets sur le continent sont les bienvenus. Avant d’autres projets, comme actuellement, je suis présent à Bâle pendant la foi, mais j’ai laissé la foi de Bâle pour venir au Bénin, où je pense qu’être avec des jeunes artistes et le porteur du projet ici au Bénin. Christel  Gbaguidi m’a beaucoup marqué. Il fallait que je vienne physiquement lui apporter ma pierre pour bâtir un projet solide. C’est comme ça que l’Afrique doit avancer aujourd’hui, en se donnant la main et en étant à Ségou au Mali, à Cotonou au Bénin ou à Korogo au nord de la Côte d’Ivoire, je n’hésite pas à être présent sur le continent pour des projets culturels comme celui-ci, comme les rencontres de Cotonou.

Comment appréciez-vous l’art contemporain béninois ?

L’art contemporain béninois, je vous ai dit, est assez dynamique et les porteurs qui font des choses concrètes aujourd’hui sont Christel Gbaguidi et quelques rare personnes dans le domaine. Comme je vous l’ai dit, au-delà des projets financiers, ils ne se découragent pas et pensent à ne pas capituler, à continuer à s’investir dans ce projet. Je crois que son projet est un projet unificateur, qui met la lumière sur le projet de l’art, sur le développement culturel sur le continent. Il est un rêveur, avec une pensée positive, très engagée, parce que non seulement il invite des artistes du Togo, du Bénin, de la RDC, du Mali et beaucoup d’autres pays sont présents ici. Il est assez ambitieux et il porte ce projet tout seul, sans relâche. Nous pensons à une nouvelle Afrique, voilà pourquoi je n’ai pas hésité à venir lui donner un coup de main avec mes œuvres, entre les mains, parce que j’ai aussi envie de montrer ce que je fais sur le continent. On est assez présent. En Occident, vous savez que ces deux dernières années, j’ai été présent au Louvre..J’ai mon œuvre  à New York. Je viens de terminer une exposition au musée du Quai Branly à Paris. Pendant la COVID, j’étais à la Biennale d’Australie. Le fait de venir montrer mon travail sur le continent, dans des villes où ces inattendus m’intéressent, sont très importants pour moi, parce qu’il est visible à l’étranger dans de grandes expositions au monde. Mais nous sommes très absents sur le continent, et il est important pour nous d’être présents, visibles, que l’Afrique aussi s’imprègne de ce que nous avons fait. Le projet de Christelle a félicité, parce qu’il n’a aucune idée de laisser tomber son projet culturel pour le Bénin. Nous venons de l’extérieur pour lui apporter une autre contribution. Je pense que l’État béninois doit se réveiller et prendre en compte cette énergie qu’il est en train d’introduire dans la scène artistique au Bénin. Il y a d’autres projets, mais ils ne sont pas similaires. Ils sont individuels, différents, et chacun apporte sa contribution et sa différence. L’État ne peut que prendre un tel projet comme celui-ci et le consolider pour le pays, pour le développement du pays. Nous venons de faire le tour d’horizon de la vie et de la carrière de l’artiste.

Est-ce qu’il y a d’autres détails que vous auriez aimé apporter, que nous n’avons pas apporté ?

J’aimerais appeler tous les Béninois à la solidarité et que l’on puisse avoir des idées positives aujourd’hui. Ce qui peut assainir la paix et la réussite dans un tel projet n’est que des idées positives qu’il faut apporter, et non des critiques pour retarder des initiatives constructives. Je reviendrai au Bénin s’il y a d’autres projets ambitieux pour le développement de la culture au Bénin. Malheureusement, nous en souffrons au Cameroun parce que l’État est arrêté, la situation s’est arrêtée et bloquée. Mais si on a d’autres énergies à partager avec les pays qui sont prêts à nous accueillir, les Camerounais, on peut s’atteler à venir contribuer dans un contexte où on peut faire des choses. Mais chez nous, au Cameroun, on traverse une période très difficile. Il ne faudrait pas que cette énergie que d’autres Africains ont ailleurs puisse s’étoffer, puisse mourir. C’est une perte pour le continent, mieux vaut l’associer pour des projets au Mali, au Bénin, au Togo ou ailleurs où on nous appelle. Je pense que c’est dans cette dynamique que l’Afrique va avancer, parce que nous croyons à un changement possible sur tous les plans sur le continent.

Réalisé par Teddy GANDIGBE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici