Du 5 au 7 mai 2025, une vaste campagne de traitement de masse a été organisée à travers des départements du Bénin pour protéger les enfants de 5 à 14 ans contre la bilharziose et les vers intestinaux. Aux dires du ministre de la Santé Benjamin Hounkpatin, « Traiter nos enfants contre la bilharziose et les vers intestinaux, c’est favoriser leur croissance, leur développement intellectuel, leur bon rendement scolaire et la rentabilité de nos investissements sur leur avenir ». Comprendre ce qu’est la bilharziose et les vers intestinaux, c’est l’essence de cette interview réalisée avec Carole Catharia Hounnouvi, Spécialiste en santé communautaire, Chef de cellule prévention et mobilisation sociale au Programme national de lutte contre les maladies transmissibles (Pnlmt).
Matin Libre : Comment se fait la transmission des vers intestinaux ?
Carole Catharia Hounnouvi : Les vers intestinaux encore appelés Géo helminthiases sont des parasites qui restent souvent dans le tube digestif et qui se transmettent comme le dit leur nom par les mets et les aliments souillés, le sol souillé. Tout endroit où les mesures d’hygiène ne sont pas correctes. En effet, on retrouve souvent les œufs de ces parasites dans le sol, sur les mets et dans les aliments souillés par le sol.
Quels sont les différents types de vers ?
Il y a principalement trois types de vers : les ascaris, les trichocéphales et ankylostomes.
Comment agissent les vers intestinaux dans l’organisme ? Autrement, comment peuvent-ils nuire à la croissance et au rendement scolaire des enfants ?
Ces vers, une fois dans l’organisme, vivent dans l’intestin des humains ; dans le tube digestif. Ils affectent la nutrition et empêchent l’absorption des nutriments. En effet, les vers s’alimentent des tissus de l’eau, notamment le sang. Ce qui entraîne une perte de fer et de protéines. Leur présence dans l’organisme entraîne aussi des hémorragies intestinales de façon chronique, ce qui peut provoquer une anémie. Tout ce que je viens de citer entraîne chez la personne affectée, une malnutrition, un état général de malaise, de faiblesse, de troubles de la croissance et de développement physique. Et c’est ça qu’on observe principalement chez les enfants qui sont atteints des vers intestinaux.
Comment reconnaître leurs symptômes ?
Chez les enfants, on peut déjà observer une pâleur, une perte de poids, l’irritabilité, le ventre ballonné. En ce qui concerne les ascaris, les enfants se grattent l’anus la nuit. On peut observer des vers dans les selles émises par les enfants. Parfois même des adultes.
De visu, peut-on dire que tel enfant souffre des vers intestinaux ?
Un œil averti peut soupçonner les vers intestinaux chez un enfant. Comme je l’ai dit, il est pâle, il a le ventre ballonné, il ne mange pas bien. Il mange beaucoup, mais il est toujours chétif. Donc, ce sont quelques signes qui peuvent attirer l’attention.
Venons-en à la campagne proprement dite. De façon précise, en quoi a-t-elle consisté ?
C’est une campagne qui se fait chaque année. Nous utilisons le milieu scolaire pour pouvoir atteindre le plus de cibles possibles. Donc, chaque année, nous organisons des rencontres de sensibilisation et de plaidoyer avec les Associations des parents d’élèves, les enseignants et même les communautés, ainsi que les élus pour les informer de l’activité. Ensuite, le gouvernement, à travers le Ministère de la Santé et les partenaires met les médicaments à la disposition des enfants. La direction départementale de la Santé, les zones sanitaires, tout le monde est embarqué avec le secteur scolaire, bien sûr. Les médicaments arrivent dans les écoles et ce sont les enseignants qui se chargent de la distribution aux enfants qui sont à l’école. Tout ce personnel est bien formé sur la distribution. Donc, les enseignants se chargent de donner les médicaments aux enfants qui sont à l’école et les relais s’organisent pour traiter les enfants qui sont en communauté. Les enfants de 5 à 14 ans qui sont à l’école reçoivent leurs médicaments à l’école et ceux qui ne sont pas scolarisés sont traités en communauté par les relais communautaires.
Quelle différence existe-t-il entre la bilharziose et les vers intestinaux ?
Pour les vers intestinaux, l’infection se fait par le sol, les mains et les aliments souillés. Par contre, pour la bilharziose, il faut forcément avoir eu un contact avec une eau souillée par les parasites pour pouvoir être contaminé. Donc, pour ce qui est des vers intestinaux, c’est le sol, les mains et les aliments souillés. Mais la bilharziose, c’est l’eau des marigots infectée par les parasites.
La campagne n’a pas pris en compte tous les départements. Les départements qui ont été pris en compte sont l’Alibori, l’Atacora, la Donga, l’Atlantique, le Borgou, le Couffo, les Collines, le Mono, l’Ouémé, le Plateau et le Zou. Il n’y a pas le Littoral. Pourquoi ?
Effectivement, sur les 12 départements, 11 ont été pris en compte par la campagne. Le Littoral n’est pas concerné. Je voudrais rappeler qu’avant la mise en place du traitement de masse tel que recommandé par l’OMS, nous avons eu à faire la cartographie de toutes les Maladies tropicales négligées (Mtn) à chimiothérapie préventive, puisque les vers intestinaux et la bilharziose font partie des Maladies tropicales négligées. Nous avons eu à faire la cartographie de toutes ces affections dans le pays pour connaître les communes endémiques et les taux de prévalence. Le traitement se fait selon le taux de prévalence. Dans les communes où les prévalences sont élevées, c’est là que nous faisons le traitement de masse. Ce n’est pas un hasard.
Sur le terrain, avez-vous eu le sentiment que vous avez réalisé une grande performance ? En quoi a constitué votre stratégie pour une bonne couverture?
Pour avoir une bonne couverture, l’essentiel est d’arriver à faire adhérer toute la communauté. Nous n’avons pas de problème pour ce qui est des vers intestinaux. L’albendazole est accepté et toléré. Pour la bilharziose, la molécule nécessite que l’enfant aille manger avant d’être traité. Avec la présence des cantines dans les écoles, nous n’avons pas de soucis. Après que l’enfant a mangé, on lui administre le traitement et tout se passe très bien. En collaboration avec la communauté, nous discutons, nous nous comprenons. Parfois, même dans les écoles, l’Association des parents des élèves se fait représenter pour assister au traitement et tout se passe bien.
La campagne concerne les enfants âgés de 5 à 14 ans. Pourquoi cette tranche d’âge?
C’est la tranche d’âge la plus à risque. Après 14 ans, les enfants rentrent déjà dans la puberté et les règles d’hygiène s’installent.
Quelle suite réservez-vous à cette campagne? En d’autres termes, est-ce que la population doit-elle s’attendre à une autre phase où le traitement se fait une bonne fois pour toutes ?
Chaque année, nous organisons la campagne. Il y aura la campagne jusqu’à ce qu’on déclare que le Bénin a éliminé les vers intestinaux en tant que problème de santé publique. Nous avons eu beaucoup de progrès depuis que nous avons commencé la campagne en 2013. Les prévalences étaient très élevées, mais les enquêtes ont montré que les prévalences ont drastiquement baissé dans la plupart des communes. Même s’il y a quelques communes où la prévalence est encore élevée, à ce jour, les prévalences ont beaucoup baissé et nous pensons que nous sommes sur la bonne voie. C’est le moment de remercier tous les acteurs, que ce soit le système sanitaire, les partenaires et les enseignants qui se sont tous impliqués.
En tant que parent, est-ce que je peux décider de déparasiter mon enfant ?
Oui, il y a des parents qui déparasitent systématiquement leur enfant tous les trois mois. Parfois, lorsque vous allez en consultation pour des soins, le médecin demande la dernière fois que vous vous êtes déparasité. Cette campagne, c’est parce que nous savons que pour la grande masse, surtout dans les milieux ruraux, se déparasiter n’est pas systématique. Il est scientifiquement prouvé que les enfants qui ont des vers intestinaux n’arrivent pas à travailler correctement à l’école. C’est pourquoi l’État fait l’effort de traiter au moins les enfants une fois par an.
Quelles sont les précautions à prendre pour éviter de souffrir des vers intestinaux ?
La première chose à faire, c’est de toujours porter des chaussures. La transmission, c’est par le sol, c’est la transmission transcutanée. Il faut toujours porter des chaussures et se laver les mains au moment essentiel, surtout avant de manger. Il faut laver les fruits et légumes avant de les manger. Il faut bien cuire les légumes, surtout les viandes, avant de les consommer. Il faut prendre les comprimés que nous distribuons une fois par an dans les écoles, surtout pour les enfants. Il faut que les parents laissent traiter les enfants à l’école.
Les vers intestinaux peuvent-ils causer la mort?
Ça peut tuer. Car les complications comme l’anémie ou l’occlusion intestinale, lorsque ce n’est pas pris en charge, l’enfant peut mourir. Les vers intestinaux perturbent la croissance ainsi que le développement physique et psychologique des enfants. Les déparasiter permet de les libérer de ces parasites, d’assurer leur développement physique et psychique afin de rentabiliser les investissements sur leur avenir.
Propos recueillis et transcrits par Fifonsi Cyrience KOUGNANDE