« If they spit, we will hit. » (S’ils crachent, nous les cognerons)

  • Donald J. Trump, 9 juin 2025.

C’est par cette punchline de vaudeville martial que Donald Trump a commenté l’envoi de 700 marines à Los Angeles. Pas contre un cartel, pas pour une catastrophe naturelle. Contre… des manifestants. Américains. Civils. Dans leur propre ville. Bienvenue dans l’Amérique 2025 : un décor de western, un président en uniforme imaginaire, et une démocratie prise en otage par le show télévisé du ressentiment.

Cette fois, ce n’est plus du “law and order”. C’est du désordre organisé, mis en scène par un homme qui rêve de devenir sa propre série Netflix : « L’Homme ‘fort’ avec les faibles », saison II.

Los Angeles : théâtre d’opérations

Le 8 juin, dans une décision aussi brutale qu’illégale, Trump a ordonné la fédéralisation de la Garde nationale de Californie, sans l’accord du gouverneur Gavin Newsom. Puis il a fait déployer des troupes actives du Corps des Marines, chose inédite depuis… toujours, pour un État américain non insurgé.

Et pourquoi ? Officiellement, pour faire face à une prétendue « invasion de criminels et d’étrangers illégaux ».

Dans son post sur X, Trump parle de :

« A once great American City, Los Angeles, invaded and occupied by Illegal Aliens and Criminals… swarming and attacking our Federal Agents… We will liberate L.A. from this Migrant Invasion. »

Le tout avec l’enthousiasme d’un général soviétique entrant dans Budapest, mais sans constitution, sans base légale, et sans consentement des autorités locales. Le gouverneur Newsom a immédiatement saisi la justice fédérale, dénonçant « une violation frontale du fédéralisme américain ». Et pour cause : l’Insurrection Act n’a même pas été invoquée. Juste… du tweet en guise de décret.

C’est donc officiel : la séparation des pouvoirs n’a plus de sens. On gouverne à la menace, au fantasme, au déploiement de troupes. Un coup d’État à bas bruit, sans tanks, mais avec des marines dans les rues de Compton.

Tout cela, pour masquer ses ridicules péripéties avec Musk, ses fanfaronnades sur la politique douanière et son discrédit économique.

Ce que l’on voit… et ce que l’on ne voit pas

Ce déploiement spectaculaire n’est pas une réponse à une crise. C’est une production médiatique, scénarisée depuis Mar-a-Lago comme une revanche contre le réel. À la manœuvre : Trump, bien sûr, mais aussi J.D. Vance, vice-président ventriloque, et surtout un obscur conseiller revenu des enfers de Los Angeles — frustré, réactionnaire, obsédé par l’idée que la ville incarne tout ce qu’il hait : métissage, désobéissance, justice sociale.

On connaît cet homme. Il hante les marges du pouvoir trumpien comme l’ombre d’un script de Todd Field. Un ancien libertarien transformé en croisé post-républicain. Il rêve d’une revanche idéologique sur le “wokisme urbain” et d’un retour à un ordre où l’État s’identifie à la force brute. Dans ses notes internes, il appelait à “réinvestir la souveraineté au niveau fédéral, par l’image et la punition”. C’est chose faite. Los Angeles devient le décor de cette contre-révolution performative.

Trump ou le retour du Condottiere

À ce stade, Trump ne rappelle plus Mussolini – c’est trop facile. Il incarne une autre figure : celle de Gabriele d’Annunzio, le poète-guerrier qui s’empara de Fiume en 1919 avec une troupe d’exaltés pour y instaurer un régime “légalement illégal”. Une sorte de laboratoire du fascisme : discours incendiaires, uniformes, hymnes, populisme viriliste, mépris du droit.

D’Annunzio appelait cela “la régénération nationale par la transgression”. Trump, lui, l’appelle “Making America Great Again”. Même logique : l’État n’est plus une structure de droit, mais un théâtre de domination.

Une dérive identifiée, documentée, nommée

Cette séquence n’est pas une exagération journalistique. Des spécialistes du fascisme comme Jason Stanley (auteur de How Fascism Works) ou Ruth Ben-Ghiat (Strongmen) l’ont annoncé :

« Le proto-fascisme commence quand le langage de la guerre remplace le langage du droit. Quand l’ennemi devient une catégorie intérieure. Quand la force est mise en scène comme justice. »

C’est précisément ce qui se passe.

Maintenant, je vous invite à descendre dans la profondeur et examiner ensemble comment cette mise en scène de la force brute vient couvrir un pillage social programmé (Medicaid, SNAP, aide sociale), la construction d’un panoptique numérique légal (Executive Orders sur les drones), et l’attaque frontale, après celle sur les magistrats étasuniens, contre le droit international (sanctions contre des juges de la CPI).

Trump, démolisseur. Incendiaire du New deal.

« Ce n’est pas un président. C’est un contremaître de l’Histoire, embauché pour démolir la démocratie à la pelleteuse. »

Il ne suffit pas d’envoyer des marines pour dominer. Il faut aussi détourner l’attention pendant que l’on démantèle. Et c’est là que Trump excelle. Pendant que l’Amérique regarde des camions militaires entrer à Los Angeles, une autre opération est en cours – invisible, technocratique, létale.

The Big Ugly Bill (la grande moche loi) : voler les pauvres pour graisser les millionnaires

Même, Elon Musk – pourtant mécène de la bête – l’a qualifié de “disgusting abomination”. Ce “Big Ugly Bill” que Trump pousse au Sénat n’est rien d’autre qu’un braquage à ciel ouvert de l’État social.

  • 600 milliards de coupes dans Medicaid sur 10 ans,
  • 10,3 millions d’Américains privés d’assurance santé,
  • Des conditions de travail obligatoires pour les plus précaires — alors que 64 % des bénéficiaires adultes travaillent déjà,
  • Et tout cela pour financer des baisses d’impôts pour les plus riches, à grand renfort de dette. Eux qui n’en ont pas besoin

Le CBO l’a chiffré. Ce n’est plus une politique : c’est un autodafé du New Deal. Une purification par l’austérité, où les plus vulnérables servent de combustible à la vanité fiscale des élites.

Et pendant que ça passe ? Les marines, les drones, les juges étrangers sanctionnés. Le vacarme de la force couvre le silence des pertes sociales.

Une architecture technologique de la surveillance permanente

Le 7 juin, pendant que l’on commentait le clash Trump–Musk ou les heurts de Compton, la Maison-Blanche publie six « Executive Orders ». Remarquons au passage que Trump contourne le Parlement en utilisant la technique des décrets présidentiels.

Deux d’entre eux mériteraient à eux seuls une alerte rouge.

Le premier : Unleashing American Drone Dominance ( débrider la domination US de surveillance par drones)

  • Surveillance aérienne hors champ visuel, sans pilote, sans mandat,
  • Drones policiers dopés à l’IA, capables de suivre, identifier, croiser,
  • Dérégulation massive pour exporter cette technologie aux régimes “alliés”.

« Routine Beyond Visual Line of Sight operations will be permitted. Law enforcement and Homeland Security will benefit. »

(Les opérations de drones hors champ visuel deviendront courantes. Cela représentera un atout majeur pour la police et la sécurité nationale).

Les drones deviennent la garde prétorienne numérique du régime. Invisibles, silencieux, légaux. Quand la police ne viendra plus, c’est le ciel qui viendra à vous.

Le deuxième Restoring American Airspace Authority (rétablir l’autorité US dans les airs)

Que permet ce texte ?

  • Surveillance des journalistes, manifestants, citoyens,
  • Criminalisation de tout usage non autorisé de drones,
  • Accès en temps réel aux données d’identification pour le département de la justice,
  • Intégration directe dans les groupes de travail antiterroristes.

Il ne s’agit pas ici de logistique. Il s’agit d’un modèle pour un espace aérien autoritaire.

Éradiquer les contre-pouvoirs : la guerre contre la CPI

Le 5 juin, Trump sanctionne quatre juges de la Cour pénale internationale. Leur crime ? Avoir osé lancer des mandats contre Netanyahou et autoriser une enquête sur les crimes américains en Afghanistan.

« The ICC claims absolute discretionary power to investigate our citizens and those of our allies. This will not stand. »

  • Marco Rubio, secrétaire d’État

Le message est limpide : la justice s’arrête à la frontière de l’immunité impériale. Ceux qui osent enquêter seront écrasés, isolés, réduits au silence.

Et pendant ce temps : Trump éructe la rhétorique du mépris

  • “Newscum” (pourriture) pour désigner le Gouverneur de Californie, Gavin Newsom,
  • “Vermin” pour les journalistes,
  • “Poison in our blood” pour les migrants,
  • “If they spit, we will hit”, tweeté à 00h16.

Ce langage n’est pas outrancier. Il est structurant. Il est ce que Jason Stanley appelle la sémantique de l’épuration : remplacer le discours démocratique par le vocabulaire du dégoût. Quand on parle comme un tyran, on agit comme un tyran.

La dernière ligne de défense

Ce que nous vivons n’est pas une crise démocratique. C’est la tentative, à ciel ouvert, de remplacer la démocratie par un régime de punition, de propagande et de brutalité. Et ce qui tombe d’abord sur les plus vulnérables — migrants, pauvres, journalistes, opposants – tombera bientôt sur tout le monde.

Quand les brutes prennent le pouvoir

Ce qui se joue à Los Angeles n’est pas un accident. C’est une mise en scène. Une stratégie. Un piège.

« Looking really bad in L.A… BRING IN THE TROOPS!!! »

( ça foire à Los Angeles… Lâchez les troupes!!!)

-Donald Trump, Truth Social, 9 juin

Pas d’appel à l’apaisement. Un ordre. Et autour de lui, la meute obéit.

  • Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure,
  • Marco Rubio, exécutant diplomatique,
  • Stephen Miller, idéologue xénophobe,
  • Pete Hegseth, secrétaire à la Défense par servilité,
  • Tom Homan, le “border czar” prêt à arrêter des gouverneurs élus.

Le gang est en place. Et nous, nous regardons le théâtre se construire.

« La civilisation, c’est arrêter la brutalité. Chaque fois que les forts brutalisent les faibles, c’est toujours le même scénario : attiser la peur, exploiter la misère, suspendre le droit, entretenir la violence. »

Le trumpisme n’est pas une exception. C’est une matrice.

Le même logiciel que Poutine, que Netanyahou, que les autocrates de Hongrie, d’Inde, ou du Brésil d’hier.

Et ce logiciel se diffuse. Il s’exporte. Il s’installe.

À celles et ceux qui protestent encore, aux USA.

« Manifestez. Mais pacifiquement. Ne soyez pas provoqués. Filmez tout. Montrez l’Amérique à elle-même. »

Ne devenez pas les figurants de son autoritarisme scénarisé.

Soyez les témoins. Soyez la preuve. Merci de votre courage. Nous vous soutenons.

🛑 Ce mot que les autocrates et protofascistes détestent

Nous n’avons plus de luxe du silence. Plus d’illusions. Plus de temps.

Mais il nous reste le mot qu’ils haïssent.

Le mot qu’aucune armée, aucun drone, aucun décret ne pourra faire taire.

Non.

Rudy Demotte

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