La lutte contre les violences basées sur le genre reste une préoccupation majeure au Bénin malgré les efforts consentis. Si le Bénin peut se targuer d’un arsenal juridique favorable à la lutte contre les Vbg, un dispositif est également mis en place pour non seulement prévenir et réprimer mais également assurer une prise en charge des victimes. L’Observatoire de la famille, de la femme et de l’enfant (Offe) joue un rôle crucial au sein du dispositif. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, le Directeur Général de l’Offe, Dr Nassirou Kassoumou précise que l’Observatoire se veut un outil de veille stratégique. Lire l’intégralité de son entretien !

La lutte contre les VBG est devenue une préoccupation majeure au Bénin ces dernières années. A ce titre, outre un arsenal juridique renforcé, un dispositif a été mis en place non seulement pour prévenir et réprimer mais aussi pour la prise en charge des victimes. Dites-nous quelle est la place de l’OFFE dans ce dispositif?

Dans le dispositif que vous venez de présenter, qui est le dispositif de prise en charge, de répression et de lutte contre les violences basées sur le genre, l’Observatoire de la Famille, de la Femme et de l’Enfant apparaît un peu comme une instance de veille, donc une structure de veille stratégique sur l’ensemble des cibles de l’action sociale. De veille, en ce sens que l’Observatoire a été conçu et mis en place pour documenter les différentes interventions qui sont faites à l’endroit des couches vulnérables par les soutiens de protection, que ce soit les guichets uniques de protection sociale, les anciens centres de promotion sociale et les autres acteurs qui interviennent d’une manière générale dans l’action sociale et de manière spécifique dans la lutte contre les violences basées sur le genre. Donc, l’Observatoire se présente comme une structure destinée à mettre à la disposition des acteurs de lutte, les informations et les évidences dont ils ont besoin pour évaluer leurs interventions, mais également pour prendre des bonnes décisions.

Donc nous sommes une structure d’aide à la prise de décisions, une structure de suivi, d’évaluation des impacts des interventions, mais une structure qui apporte les informations et les inputs nécessaires à la réorientation des actions pour atteindre davantage les objectifs fixés.

Et si vous devez présenter brièvement l’OFFE, que direz-vous ?

L’Observatoire de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, l’OFE, est un office à caractère scientifique et social créé par le gouvernement du Bénin avec pour mission essentielle de produire des données probantes et des informations relatives à la famille et à toutes ses composantes, afin d’aider à une meilleure prise de décision. Lorsque l’on prend cette mission de l’Observatoire, qui est donc de produire, d’analyser et de diffuser des données statistiques et les informations probantes, il y a deux attributions clés qui résultent de cette mission.

La première attribution, c’est une mission de collecte de données. Donc c’est une structure de collecte, de production et d’exploitation de données statistiques, que ce soit des données empiriques, c’est-à-dire des données de routine qui découlent des interventions des différents acteurs, que ce soit au niveau des guichets uniques de protection sociale ou des soutiens partenaires tels que la police républicaine, les formations sanitaires…

La deuxième attribution qui découle de la mission de l’Observatoire, c’est la production du savoir à travers la conduite et l’encadrement de tout ce qu’il y a comme processus de recherche-action destiné à documenter les phénomènes sociaux. Nous avons donc pour attribution à ce niveau de conduire les études, les recherches, de conduire les processus d’analyse des phénomènes sociaux, que ce soit des phénomènes anciens ou des phénomènes émergents. Parce que vous savez que l’action sociale par excellence, c’est le secteur ou le domaine dans lequel rien n’est définitif, rien n’est acquis. Nous sommes dans le secteur de l’action sociale en parfaite mutation sociale. Et donc cela implique des phénomènes nouveaux, que nous appelons souvent des phénomènes émergents.

Et pour adresser les réponses qui sont les plus indiquées à une problématique sociale, il faut la comprendre, il faut l’analyser, il faut en connaître les déterminants, les manifestations, les conséquences et même les acteurs. Et voir les différentes interactions qu’il y a entre ces phénomènes, les phénomènes anciens et les problèmes sociaux auxquels les couches vulnérables sont exposées. Et c’est là que nous intervenons dans cette deuxième attribution qui est la nôtre, qui est donc de conduire les études et les recherches pour maîtriser les phénomènes sociaux à travers tout ce qu’ils ont comme contours et proposer au gouvernement et à toutes les structures qui doivent prendre des décisions, les meilleures décisions possibles.

Et enfin, le troisième point de nos attributions, c’est de conduire une communication spécialisée sur l’action sociale à travers la mise à la disposition des publics cibles, que ce soit les journalistes, que ce soit les chercheurs, les universitaires, les ONG, les partenaires et autres, de leur mettre à disposition, les informations utiles dont ils ont besoin sur l’action sociale et pour comprendre un peu les différents mécanismes et les interventions qui s’y mènent.

Que retenir de la collaboration ou des interactions entre l’OFFE et les autres structures impliquées dans la lutte contre les VBG au Bénin?

Nous avons une très bonne collaboration avec l’ensemble des structures qui interviennent dans la lutte contre les VBG au Bénin. D’abord avec les structures du ministère des Affaires sociales et de la microfinance qui sont des structures sœurs puisque nous appartenons au même ministère. Nous avons des relations étroites de collaboration. D’abord les guichets uniques de protection sociale, les anciens CPS, centres de promotion sociale, sont ceux-là même qui animent le système d’information et de collecte de données. C’est à leur niveau que les données sont collectées et sont remontées vers nous. Il y a une forte collaboration avec eux.

Également avec la direction technique du ministère en charge des Affaires sociales, notamment la direction qui s’occupe des questions de genre. Nous avons une étroite collaboration en ce sens que nous leur mettons à disposition les évidences et cela leur permet d’affiner leurs interventions. Cela leur permet de réorienter au besoin les interventions qui sont les leurs sur le terrain.

En ce qui concerne les structures hors du ministère des Affaires sociales, notamment l’Institut national de la femme qui joue un rôle déterminant dans la lutte contre les violences basées sur le genre, nous avons également de très bonnes relations de collaboration. Ils contribuent à la mise en œuvre et à l’élaboration de nos documents et des outils statistiques que nous faisons…Il en est de même avec les organisations de la société civile qui interviennent également dans la lutte contre les VBG et qui sont des partenaires stratégiques. En ce sens que nous travaillons dans la collecte des données, puisque nous les amenons à travers le système que nous avons mis en place, à capitaliser les données statistiques liées à leurs interventions et à les agréger pour les prendre en compte dans les efforts qui sont menés au plan national par les différents acteurs de lutte contre les violences basées sur le genre.

Le SidoFFE-NG, une innovation qui mérite bien qu’on en parle. Que doit-on en retenir ? Comment fonctionne la plateforme ? Son importance ?

Le SidoFFE-NG est un système intégré de données relatives à la famille, à la femme et à l’enfant de nouvelle génération. C’est le système public officiel de collecte et de production de données statistiques sur l’action sociale au Bénin. Ce système, c’est l’une des innovations du ministère des affaires sociales qui a été conçu et mis en service en 2019 de manière participative avec l’ensemble des acteurs qui interviennent dans la chaîne de protection sociale. Nous avons veillé à ce que, déjà, dans la mise en place de ce système, tous les acteurs, que ce soit les acteurs du ministère en charge des affaires sociales, les acteurs de la police républicaine, les acteurs du secteur de la santé, les organisations de la société civile, nous nous sommes mis ensemble pour définir les indicateurs de ce système.

Aujourd’hui, nous pouvons être fiers de dire que c’est un système qui permet de renseigner chaque mois, des données désagrégées par sexe et par âge sur l’ensemble des cibles de l’action sociale au Bénin. Nous produisons aujourd’hui à travers le SidoFFE-NG, chaque mois à peu près 400 données d’indicateurs de routine…sur l’ensemble des cibles de l’action sociale à travers quatre grands domaines que sont la protection de l’enfant…Nous avons le second domaine qui est la promotion de la famille, de la femme et du genre….Nous avons le troisième domaine qui est le domaine de la protection sociale et de la solidarité nationale…Et le dernier domaine, c’est le domaine de l’inclusion sociale des personnes handicapées et des personnes âgées.

…C’est une application web dynamique qui est installée au niveau du Data Center, donc du serveur national du Bénin, mais qui permet chaque mois à chaque chef du guichet unique de protection sociale, donc à chaque commune, d’intégrer cette donnée relative à chaque indicateur dont je viens de vous parler. Et pour pouvoir les intégrer, le chef du guichet unique de protection sociale se nourrit également des données que les autres acteurs de sa commune qui interviennent dans l’action sociale lui fournissent à une périodicité donnée. Ces acteurs, nous avons les commissariats de police, les unités de police républicaines, les formations sanitaires, les organisations de la société civile qui interviennent dans l’action sociale, donc qui à la fin de chaque mois envoient leurs données au guichet unique de protection sociale où une synthèse des données de la commune est faite et intégrée dans la base de données et remontée au niveau national après des niveaux de contrôle, donc pour garantir la qualité et la fiabilité des données.

Son importance, enfin, ce qu’on peut dire c’est que le SidoFFE-NG s’impose comme le système de référence en matière de production de données probantes et de données fiables et actuelles, surtout actuelles et fiables sur l’action sociale…la seconde importance, c’est son accessibilité. C’est un système qui est accessible en ligne, donc quel que soit l’endroit où l’on se trouve, on a la possibilité d’aller sur SidoFFE-NG, d’aller importer les données dont on a besoin, rechercher les données pour un département, pour une commune, pour une période.

Et enfin, c’est un système qui a permis et qui permet aujourd’hui de produire régulièrement, comme je l’ai dit, des données statistiques et de produire un certain nombre d’outils et d’instruments stratégiques que nous appelons les bulletins d’information sur les VBG par exemple, le rapport analytique sur les violences basées sur le genre et donc les tableaux de bord sociaux. Donc autant d’outils qui peuvent servir d’aide à la décision de tous ceux qui ont besoin d’aller vers les informations…C’est en ligne et donc c’est accessible à tous. C’est le www.sidoffe-ng.social.gouv.bj.

Si l’on devait évaluer l’impact de l’OFFE dans cette lutte, que diriez-vous ?

L’OFFE a été conçu pour servir de structure de veille, d’objecteur de conscience, si l’on peut parler ainsi, et pour mettre en place un mécanisme qui serve de miroir à l’action sociale, pour permettre aux acteurs qui interviennent dans l’action sociale de se mirer et d’évaluer ce qu’ils sont en train de faire…Quelles sont les tendances ? Quelle est la distribution en termes sexo-spécifiques des VBG ? Quelles sont les couches et les tranches d’âge les plus touchées au Bénin par les VBG, dans telle commune, dans tel département ? Donc on a besoin, les acteurs de lutte ont besoin de ces informations-là pour monter leurs initiatives et leurs projets. Et la seule structure aujourd’hui qui leur permet d’avoir toutes ces informations fiables, c’est l’OFFE, à travers le SIDOFFE…

À titre indicatif, le dernier rapport analytique que nous avons réalisé, qui est le rapport analytique relatif à l’année 2023, parce que nous sommes actuellement en train d’élaborer le rapport analytique de 2024, mais ce rapport analytique relatif à 2023 montre que du 1er janvier au 31 décembre 2023, sur le plan des violences basées sur le genre au Bénin, l’on a enregistré 30 372 cas de violences basées sur le genre dans l’ensemble des structures de prise en charge…Et sur ces 30 372 cas de violences basées sur le genre, il y a à peu près 10 072 cas qui concernent des enfants, c’est-à-dire des personnes de moins de 18 ans…

Nous avons réalisé plus d’une vingtaine d’études relatives aux cibles de l’action sociale pour comprendre les phénomènes sociaux et pouvoir adresser les réponses. Nous avons, dans le cadre de ces études que nous avons réalisées, retenu des thématiques assez sensibles qui sont sources de violences basées sur le genre. Des thématiques telles que la sorcellerie impliquant les enfants… Et nous avons constaté à travers ces données qu’il y a 4 grandes formes de violences qui viennent en tête à travers ces données. Premièrement c’est les données relatives aux violences psychologiques et morales. Suivie de ce qui a trait aux violences économiques, les violences physiques et les violences sexuelles…

Enfin, le SIDOFFE est devenu une référence en matière de think tank au niveau de l’Afrique et dans le monde. Cela nous a permis ou nous a valu d’ailleurs d’être élus au niveau du SIDOFFE au poste de vice-président du Groupe africain des statistiques du genre.

Le Groupe africain pour les statistiques du genre qui est un groupe mis en place par l’ONU Femmes et la Banque africaine de développement pour gérer et générer les statistiques du genre en Afrique. Le SIDOFFE a été distingué pour être candidat et élu vice-président de ce groupe africain. Ensuite, nous avons été et nous sommes aujourd’hui un modèle pour les observatoires de l’Afrique de l’Ouest.

Il y a plusieurs études aujourd’hui qui sont en cours. Certaines sont achevées, d’autres sont en cours et qui montrent que l’organisation de type OFFE qui a été mise en place au Bénin est en avance sur l’ensemble des pays africains au sud du Sahara. Beaucoup viennent aujourd’hui à l’école de l’OFFE pour dupliquer cela au niveau des autres pays de l’Afrique et de la sous-région africaine.

Quand vous regardez tous ces résultats et que vous ajoutez à cela les partenariats fructueux que nous sommes en train de nouer depuis l’année dernière avec des structures importantes telles que le Centre africain pour le développement équitable et d’autres structures telles que Engender Health qui sont des organisations internationales qui interviennent dans la lutte contre les violences basées sur le genre et la production de données probantes. Je crois que c’est autant de faits, autant de facteurs qui montrent que l’OFE a apporté son empreinte de manière indélébile dans la lutte contre les violences basées sur le genre.

Propos recueillis par Aziz BADAROU (Collaboration avec Alliance Droits et Santé)

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