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La Cour constitutionnelle du Bénin face à l’apologie du troisième mandat et de la nouvelle République

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Landry Angelo ADELAKOUN

Juriste Spécialiste des droits humains et démocratie

Expert en contentieux stratégique des droits fondamentaux

angelo.adelakoun@gmail.com

La Constitution n’est pas un gadget destiné à la satisfaction intellectuelle de quelques uns” . C’est ainsi que le Professeur Joseph Djogbénou rappelait à l’occasion de l’investiture de la mandature qu’il présida de juin 2018 à juillet 2022 la place centrale qu’occupent la Loi fondamentale et la Cour constitutionnelle dans la protection des droits fondamentaux et la consolidation de la démocratie et de l’État de droit. Née sur les cendres et la dépouille du Haut Conseil de la République  avec la Constitution du 11 décembre 1990 et installée en 1993 , la Cour constitutionnelle du Bénin s’est illustrée comme l’une des juridictions constitutionnelles les plus efficaces au monde avec des décisions parfois osées, mais généralement avant-gardistes voire révolutionnaires. L’activisme de la Cour a poussé d’aucuns à parler de “gouvernement des juges” . Dans ses attributions de juge de la constitutionnalité des lois, de gardienne par excellence des droits fondamentaux et d’organe régulateur du fonctionnement des institutions de l’État et des activités des pouvoirs publics , la Haute juridiction a toujours été présente dans les grands moments de l’histoire politique et constitutionnelle post-renouveau démocratique du Bénin. Elle veille au respect des prévisions constitutionnelles tant par les gouvernants que les gouvernés dont elle n’hésite point à sanctionner les abus même quand il s’agit d’une expression de liberté d’opinion et d’expression susceptible de remettre en cause la lettre et l’esprit de la Loi fondamentale ou l’ordre constitutionnel.

Nonobstant la limitation de mandat fixée tel un marbre dans la Constitution , dans la CADEG , rappelée dans de nombreuses décisions  de la Cour et davantage verrouillée avec la révision constitutionnelle du 07 novembre 2019 , les débats autour d’un éventuel troisième mandat du Président en fin de mandat ont toujours été une caractéristique des fins des seconds et derniers mandats des Présidents en exercice. La particularité du débat près d’un an de la fin du second et dernier mandat de Patrice Talon, c’est l’apparition d’un nouvel élément de langage qu’est la nouvelle République. Cette trouvaille semble être justifiée par le fait que depuis l’adoption de la Constitution par référendum à plus de 72% en 1991 suite aux résolutions de la Conférence Nationale des Forces Vives, c’est sous Patrice Talon qu’elle a pu être modifiée malgré une première tentative non-aboutie  et les tentatives observées sous ses prédécesseurs . Les doctrinaires du troisième mandat et de la nouvelle République ont alors trouvé un semblant d’argument pour alimenter une filière incendiaire, déstabilisatrice et juridiquement intenable. Dans un tel contexte, il est nécessaire de braquer les projecteurs sur la Haute juridiction elle qui est suffisamment saisie par les citoyens aux fins de soit déclarer contraires à la Constitution les propos des partisans du mandat de plus , soit déclarer la possibilité pour Patrice Talon de faire un mandat de plus, soit encore aux fins d’obtenir une interprétation des dispositions constitutionnelles  érigées en dispositions à polémique par les troubleurs de l’ordre constitutionnel qui prônent, peut-être par ignorance, un coup d’État institutionnel. Quelle est la posture de la Haute juridiction face aux nombreuses déclarations d’hier et d’aujourd’hui invitant le Président de la République à faire un mandat de plus ?

L’analyse de la jurisprudence de la Cour révèle que la Haute juridiction, consciente de sa responsabilité dans l’édification de l’État de droit, a su jouer, depuis son installation, un rôle important. La Cour constitutionnelle a eu, face à l’apologie du mandat de plus, une fermeté affichée (I) en restant intraitable face aux comportements et propos osés avant de diluer sa posture pour revêtir le manteau de promotrice d’une liberté étendue en faisant preuve d’une souplesse assumée (II).

I- Une fermeté affichée

La plus retentissante des décisions de la Cour sur la question de possible mandat de plus pour un Président de la République en fin de second et dernier mandat reste celle rendue  sous la mandature du Professeur Théodore Holo. La Cour quand bien même elle est gardienne des droits fondamentaux et libertés publiques rassure que « l’usage de la liberté d’expression ne saurait constituer en lui-même une violation de la loi… le contenu de la parole peut être de nature à enfreindre la loi y compris la loi constitutionnelle. » . Le rôle protecteur de la Haute juridiction ne lui dresse pas le tapis pour donner son onction à une quelconque apologie ou tentative d’apologie de troisième mandat au nom de la liberté d’opinion et d’expression là où le Constituant s’est fait clair. La conciliation entre l’exercice d’un droit-liberté et le respect des prévisions constitutionnelles relativement à l’obligation de respect de la Constitution par tous les citoyens et corps constitués est une exigence particulièrement prise en compte dans l’interprétation de la norme constitutionnelle. Qu’il s’agisse d’une interprétation dynamique versus interprétation statique pour ce qui concerne la dimension temporelle, libérale versus stricte pour ce qui est de la dimension de la portée ou méthodologique versus téléologique pour ce qui concerne le but, le juge constitutionnel fait un rapprochement entre l’esprit et la lettre des prévisions constitutionnelles et le contexte béninois tiré de l’histoire politique et constitutionnelle de ce pays jadis enfant malade d’Afrique. Régulièrement vantée dans la doctrine africaine , l’inflexibilité de la Cour face aux propos invitant à un mandat de plus se lit dans ses décisions DCC 06-074 du 08 juillet 2006 sur l’intangibilité des options de la Conférence nationale particulièrement la limitation du mandat présidentiel, DCC 13-071 du 11 juillet 2013, DCC 14-156 du 19 août 2014 sur l’obligation du respect de la limitation des mandats même en cas d’exercice de liberté d’opinion et d’expression.  La rigidité de la Cour sonne comme une précaution de plus contre d’éventuels appétits dans un contexte où la crainte des États sans réels contre-pouvoir  est omniprésente dans les têtes.  Jean Carbonnier prévenait sur la nécessité de tenir compte du contexte pour façonner le droit . La technique juridique ayant pour but d’apprécier les réalités sociales, structurer la société et adapter le droit au besoin, en prenant le contexte béninois l’on se rend compte que le juge constitutionnel est autant craintif que les citoyens chaque fois que la question du troisième ou nouvelle République est soulevée. Alors que l’on peut légitiment mettre sous la simple jouissance de la liberté d’opinion et d’expression le fait pour un citoyen même occupant de hautes fonctions dans l’État, de prier le Président de la République à faire un troisième mandat, la Cour constitutionnelle y voit une violation de nombreuses dispositions de la Constitution  et de sa jurisprudence. La liberté d’opinion et d’expression est rigidement encadrée dans l’interprétation du juge constitutionnel qui ne laisse aucune ouverture ou supputation sur la question des troisièmes mandats. Dans la conciliation entre la liberté et la limitation des mandats, la sauvegarde de l’intangibilité des mandats prend le dessus au point où la liberté d’opinion et d’expression s’effrite s’agissant de la question du troisième ou de nouvelle République. L’hyper précaution du juge dans sa mission de veille et de protection des dispositions constitutionnelles sur la limitation des mandats répond sans nul doute aux contingences politiques et sociales. Si la Cour devait rester collée à ses attributions originales, elle n’aurait pas été jusqu’à déclarer contraires à la Constitution de simples propos. Mais la Cour s’est, depuis 2000 notamment, octroyée des attributions inédites en vue du renforcement de ses fonctions. Robert Dossou  souligne que « le droit est un fait social qui régit la société et le juge ne saurait l’ignorer dans ses décisions. Il a le devoir, tout en restant fidèle à sa mission et dans le cadre de ses attributions, de rester à l’écoute du peuple et de considérer la manifestation de l’opinion publique comme un élément essentiel de veille citoyenne qui l’invite à plus de vigilance ». La Constitution qui reste « la condition absolue et la base même de l’État »  se retrouve, dans l’interprétation de ses dispositions, au carrefour des considérations juridiques, politiques et sociologiques. La fermeté de la Cour s’analyse dans le sens d’une opération pointue de protection renforcée et anticipée de « la loi suprême, au-dessus de toutes les autres lois, le référent-type, par excellence » . En droit constitutionnel béninois, la rigidité du juge constitutionnel rencontre l’adhésion de nombreux citoyens, théoriciens et praticiens du droit. Le personnel politique lit dans la fermeté du juge constitutionnel une garantie, une sécurité juridique contre les sempiternelles suspicions et les velléités pour un Président de la République de vouloir reproduire la fraude à la Constitution au Bénin. Le contexte sur le continent sous-tend la crainte de nombreux chaque fois que la question du mandat présidentiel est effleurée. La méfiance et les suspicions, caractéristiques du débat politique notamment en Afrique, ont été prises en compte dans les recommandations issues du dialogue politique organisé en 2019 et qui a conduit à la nécessité de la révision constitutionnelle intervenue le 07 novembre 2019. Partant du fait que les Béninois sont très regardant et même craintifs quand il est question de révision de la Constitution, il a été proposé de préciser dans la Constitution révisée que « aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de président de la République ». Nonobstant cette précaution prévue à l’article 42, le Constituant a ajouté à l’article 2 de la Constitution que « La présente loi constitutionnelle portant révision de la Constitution, n’établit pas une nouvelle Constitution ». Une double protection qui vise à lever toutes les équivoques et rassurer le peuple. A l’analyse, l’esprit qui a guidé le juge constitutionnel a habité les travaux du dialogue et orienté l’activité du constituant dérivé de 2019. La fermeté face à toute tentative de remise en cause de la limitation de mandat dans les propos s’inscrit dans une démarche de fixer durablement et définitivement dans la conscience collective que la question du caractère renouvelable une seule fois du mandat présidentiel est un domaine hors débats, hors supputations. Tout évoluant avec le temps, le juge constitutionnel a dilué sa position même si sur le principe il reste regardant le respect de la limitation de mandat et pourrait intervenir lorsqu’il y aura menace à la Constitution comme l’annonce ses décisions post-2016.

II- Une souplesse assumée

La liberté qu’est-ce que c’est ? La question parait banale. Mais tel ne doit pas être le cas. En réalité, c’est au nom de la liberté d’opinion et d’expression que la Cour reconnait le droit de désirer publiquement un mandat de plus pour un Président en fin de second mandat. L’on est curieux de savoir si la Cour adopterait la même posture lorsqu’il plairait à un citoyen d’inviter l’armée ou autre corps constitué à prendre le pouvoir pour instaurer dans la cité une démocratie kalachnikov comme cela se constate dans de nombreux États non loin du Bénin. D’évidence, aucune juridiction ne resterait de marbre face à une telle entreprise. Le juge constitutionnel ne renverse pas ses décisions par plaisir. C’est classique. Le revirement de jurisprudence, par nature, a vocation à contribuer à l’évolution ou à l’adaptation du droit aux réalités en adaptant la lettre et l’esprit de la Constitution aux contextes, enjeux et défis. Dans le cas de la limitation des mandats, le Constituant béninois a eu le mérite de préciser avec vigueur que toute tentative de renversement du régime constitutionnel par les personnes des forces armées ou de sécurité publique est considérée comme une forfaiture et un crime contre la nation et l’État, l’élection étant la voie royale de conquête d’exercice du pouvoir dans une démocratie. Le législateur communautaire est aussi resté dans la même veine en érigeant la limitation des mandats et le consensus  en des principes de convergence constitutionnelle. La liberté d’opinion et d’expression dans la conception du juge constitutionnel béninois consiste à reconnaître aux citoyens le droit de dire ce qui n’est pas susceptible de bousculer le pouvoir légalement établi. Sans nul doute que dès que l’exercice de la liberté l‘opinion et d’expression arpentera les sentiers d’une exhortation à une politique défavorable au pouvoir, la Haute juridiction n’hésitera à agir. Le juge constitutionnel laisse cette lecture transparaître dans ses dernières décisions. La Cour penche ainsi pour une interprétation dynamique et large qui met en difficulté une démocratie béninoise toujours en perpétuelle construction. Les États africains sont toujours dans un processus de consolidation de leur démocratie et de l’État de droit. Les hommes, les Présidents-dieux sont encore nettement au dessus des institutions républicaines qu’ils tiennent et soumettent à leur guise. Les institutions de la République sont, dans la plupart des États africains, des caisses de résonnance du pouvoir Exécutif dont elles exécutent, librement ou sous contrainte, les desiderata. Dans les cas où les institutions résistent et tentent de jouer, en toute indépendance et impartialité, leur rôle sans se laisser phagocyter par un quelconque autre pouvoir, elles sont souvent frappées en plein cœur par le pouvoir politique. Dans un tel contexte, le constitutionnalisme africain ne peut se permettre certaines largesses ou légèretés au risque de mettre en péril la vague de démocratisation entamée depuis le début des années 1990 et la consolidation de l’État de droit qui malgré les efforts ne tiennent toujours qu’à un fil. La faible culture démocratique se lit à travers les postures et discours tant des gouvernants et gouvernés. Entre inculture démocratique et démocratisation de l’ignorance à grande échelle, il n’est pas rare de voir des citoyens ou des autorités politico-administratives assumant de hautes fonctions dans l’État tenir des propos totalement en déphasage avec les textes de la République et les principes démocratiques . Avec un faible taux d’alphabétisation, les citoyens ont du mal à ne pas tomber sous le charme d’un Président-dieu ou “Père de la nation”  que d’autres érigent en homme providentiel sans lequel le pays tel un avion dont le pilote est projeté de l’appareil en plein vol est susceptible de subir un “crash”. Même une partie de l’élite est convaincue que Patrice Talon est le seul sur les treize millions de Béninois à pouvoir développer le pays. Peut-être que le fait qu’il ait répété à de nombreuses occasions que le Bénin regorge de nombreux incompétents  et que tout “le Bénin est comme un désert de compétences”  a fini par faire croire à certains qu’il est indispensable. Un homme peut-il être indispensable ? Si le Professeur Théodore Holo attend d’être convaincu par l’éternité de l’homme avant d’applaudir les partisans d’une telle idéologie, le politologue Expédit Ologou rappelle que “dans la vie comme en politique, tout commence afin que tout finisse” .

Le juge constitutionnel de par sa posture est, en partie, sans le vouloir, responsable de l’apologie de coup d’État constitutionnel qui s’enracine de plus en plus dans la tête des maîtres à penser des écoles de Zogbadjè, de Kandévié, de Zongo et de Dantokpa. Ce qui jadis était craint est devenu le sport favori de certains esprits qui n’ont côtoyé que des dictateurs ou qui ont une connaissance approximative du droit constitutionnel. Toutes les fois que la Cour a rappelé l’exigence constitutionnelle de limitation des mandats, le débat politique a retrouvé sa clarté, sa beauté. En revanche, la Haute juridiction en optant pour une lecture en apparence progressiste, mais possiblement compromettante, apparait comme un gadget, un opéra où défilent des acteurs de cinéma en manque d’entraînement. Lorsque des partisans et courtisans du pouvoir et autorités politico-administratives n’hésitent plus à tenir, devant la Cour, des propos quasi-constitutifs d’outrage, il y a de fortes chances de conclure que la juridiction constitutionnelle ne bénéficie plus, dans la conscience collective, de tout le prestige qui jadis forçait l’admiration. Et pourtant, en optant pour une liberté plus étendue, la Haute juridiction reste dans sa mission de gardienne par excellence des droits fondamentaux et des libertés publiques. Le débat démocratique a besoin de l’oxygène de la liberté dans toutes ses dimensions. Le souhait de voir un Président de la République faire un mandat de plus ne devrait pas, a priori, être considéré comme une violation des exigences constitutionnelles de limitation de mandats et de respect obligatoire de la Constitution. Cependant, la répétition des invites à un mandat de plus peut se révéler être une menace à la démocratie, à la paix et à l’ordre constitutionnel. Le juge constitutionnel évite de censurer des propos qui n’ont pas la teneur des déclarations incitant à une remise en cause de l’ordre constitutionnel établi  ou qui relèvent de spéculations intellectuelles sur les modalités de révision de la Constitution et de vœux pieux exprimés par un citoyen . La Haute juridiction en faisant une interprétation qui consacre davantage la liberté d’opinion et d’expression tout en gardant un œil sur le respect des dispositions constitutionnelles n’est pas totalement à coté de la plaque, même s’il faut reconnaitre que plus l’on s’éloigne de 1990, plus l’interprétation du juge constitutionnel s’éloigne des idéaux de l’historique Conférence nationale. La souplesse du juge constitutionnel est la preuve que le droit est évolutif, jamais statique. La floraison des discours osés, la multiplicité des saisines, l’inquiétude dans les yeux des citoyens et la transformation du prétoire de la Cour en une arène de prestation artistique prouvent à suffisance que la Cour n’a pas su concilier l’histoire du pays, la jeunesse de sa démocratie, la crise de confiance permanente entre gouvernants et gouvernés et la consécration d’une liberté étendue qu’elle assume.

En somme, le juge constitutionnel d’hier à d’aujourd’hui reconnait l’obligation de préservation de l’ordre constitutionnel, mais avec soit une fermeté, soit une souplesse face à l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression. La recherche de la paix  commande à ce que la Haute juridiction trouve une formule pour limiter les exagérations tout en garantissant la liberté d’opinion et d’expression des citoyens qui n’est pas une liberté sans borne, même à droit constitutionnel constant. Le juge constitutionnel africain ne doit pas perdre de vue la persistance de l’inculture démocratique et la montée en puissance de la démocratisation de l’ignorance.

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