La Gestion de l’hygiène menstruelle, autrefois sujet tabou et hypersensible, notamment dans les zones en buste au développement, se déconstruit désormais. Le projet Faaba Cash + Care financé par les Pays-Bas et le Canada dont la mise en œuvre est assurée par l’exécutif béninois, l’Unicef et Educo Bénin, est devenu un fil d’Ariane auquel enfants, jeunes et acteurs impliqués s’accrochent à Banikoara, pour inverser la tendance.
9h 47 minutes ! Portail à deux battants, ouvert. Au-dessus, une plaque métallique sur laquelle sont inscrites des informations. Supportées par une clôture qui s’étend sur une longueur considérable, des affiches sont collées un peu partout sur les murs. À l’entrée, des vas-et-viens d’enfants et de jeunes s’opèrent. Dans cette maison étendue sur une kyrielle d’hectares, des groupes de vendeuses soigneusement rangées le long du mur servent des clients, tous d’un âge minime. À 20 mètres à gauche, s’aperçoit un bâtiment administratif à un étage peint en jaune, plus ou moins déteint et à l’entrée duquel s’opèrent des déplacements, cette fois-ci de gens âgés. En face, une foule immense de filles et de garçons, tous en tenue kaki, en regroupement sous un robuste arbre. Formant un cercle derrière un parking impressionnant et spectaculaire de vélos toutes catégories confondues, ces centaines de spectateurs de circonstance sont tenus en haleine par un binôme d’élèves, composé d’un garçon et d’une fille. Dans un bruit aléatoire, la jeune fille, sur sa robe kaki bien soignée, arbore une chemise « jeans », se protégeant ainsi de cette fraîcheur titanesque teintée de vent incandescent, qui ne laisse personne de marbre.
Place à l’écoute…
10 heures 07 minutes ! Tenant une couche, un sous-vêtement, un pagne et une poupée en main, cette élève au milieu de ses camarades et sur qui tous les regards sont désormais braqués est prête à dérouler avec son binôme formant un pair, une séance de sensibilisation sur la Gestion de l’hygiène menstruelle. « Faites silence ! On va commencer notre séance », scande une élève, confondue dans la foule. Bienvenue au Collège d’enseignement général (Ceg) de Banikoara, dans la matinée de ce 19 décembre 2024, où les enfants brisent le tabou sur ce sujet autrefois réservé qu’aux adultes. « Vous savez qu’il y a trois types de couches que la femme ou la jeune fille utilise pour les menstruations. Nous avons les couches traditionnelles, les couches recyclables et aussi celles jetables. Aujourd’hui, nous allons vous montrer comment les utiliser. La couche traditionnelle, c’est un tissu qu’on plie en deux et replie sous forme rectangle. Ensuite, on la place. La partie qui va absorber le sang doit être un peu épaisse. Il faut bien la serrer pour que ça ne tombe pas. En ce qui concerne la couche recyclable, elle a des boutons. Donc, quand on la place, il faut la pincer et la boutonner, pour que cela évite de tomber. Pour les couches jetables, il y a des parties qui ont de la colle. Donc, on colle cette partie-là dans le dos et au niveau des languettes situées au-dessus de la couche, en prenant soin de bien la placer », décrit ainsi dans un français accessible à ses camarades Zouléhatou Alassane. D’un air souriant et décontracté, cette élève en classe de Terminale qui a pris le lead de la séance de sensibilisation décousue de tout tabou va indiquer à ses camarades que l’utilisation de ces couches ne doit pas dépasser quatre heures. « Après l’utilisation, il faut creuser un trou ou jeter la couche dans un Wc », va compléter son binôme qui a assuré un instant de démonstration et de mise en pratique avec la poupée. Élève en classe de seconde, Prévert Adebayo Adéléké qui assiste ainsi Zouléhatou Alassane dans cet exercice d’une voix fine et pondérée va prodiguer de sages recommandations à ses amis sur ce qui doit constituer le rôle des garçons et des parents dans cette période. À entendre cet enfant qui n’a laissé aucune place à l’hésitation malgré sa petite taille devant cette foule patente d’élèves, les garçons ont l’obligation de soutenir les filles lorsqu’elles sont en menstrues. Car, estime-t-il, c’est un phénomène naturel qui arrive à toute fille normale. « Les garçons ne doivent pas se moquer d’elles. Cela pourrait conduire ces filles à abandonner l’école. Donc, cela devrait plutôt être une source d’encouragement parce qu’une fille en menstrue est en bonne santé et ses appareils génitaux sont normaux », annonce le petit garçon. Dans le public, les applaudissements retentissent à chaque fin d’explication, extériorisant ainsi les satisfactions. Pendant que certains élèves sourient face à chacun des détails, aussi tatillons qu’ils soient, d’autres préfèrent se confier. « Avec les explications de mes amis, je peux facilement placer les couches lors des menstrues. Je dois aussi en parler à mes parents pour les premières menstrues afin qu’ils m’aident», témoigne la petite Assanath, qui affronte la cinquième, cette année scolaire.
L’exécutif, l’Unicef et Educo et leurs partenaires, en amont…
Ce binôme qui a retenu l’attention de tout un établissement est dénommé, d’après Prévert Adebayo Adéléké, Pairs éducateurs. Formés sur la Gestion sans anicroches de l’hygiène menstruelle, ils sont considérés comme vecteurs de transmission de la bonne information, pouvant aider ces milliers d’enfants qui, sous couvert de la tradition, voire des réalités sociétales, étaient obligés de faire du sujet un problème de couvent. « Je fais partie des Pairs éducateurs, parce que je veux recevoir la bonne information et la transmettre à mes frères et sœurs », s’est-il d’ailleurs défendu, très à l’aise au micro. À l’avant-garde de la défense du droit des enfants et des filles, l’Unicef se retrouve au centre de cette initiative. Avec l’appui financier des gouvernements des Pays-Bas et du Canada, l’organisme du Système des Nations-Unies, ensemble avec le gouvernement béninois et Educo comme partenaires, inclut ce bris de tabou sur la Gestion de l’hygiène menstruelle dans le Programme Faaba Cash + Care. Avec une motivation et des objectifs bien définis, ce Programme ne sort pas de l’ordinaire. En effet, la menstruation étant un sujet encore tabou au Bénin, le nord est plus confronté à cette réalité. Les filles qui vivent leurs premières règles rencontrent ainsi des difficultés dues à un manque d’informations et à l’ignorance des comportements appropriés. À en croire l’Unicef, en Afrique de l’Ouest, 1 fille sur 10 ne va pas à l’école pendant ses règles. Ce qui représente 20% du temps scolaire perdu sur une année. Beaucoup d’entre elles sont donc privées de leurs droits fondamentaux et isolées, durant ces périodes. Pis, le coût élevé des serviettes hygiéniques et leurs corollaires, apparaît comme un frein à la gestion efficace de cette période de menstruation à leur niveau.
Pairs éducateurs, comme fil d’Ariane…
Si l’encouragement et le soutien durant les menstruations sont essentiels pour créer un environnement positif solidaire, l’éducation et la sensibilisation jouent un rôle crucial dans le changement des comportements. Et, pour l’Unicef, Educo et le gouvernement, l’école est le premier vecteur de cette sensibilisation, d’où la mise sur pied de ces Pairs éducateurs. D’après Carmel Ahouannougan, facilitatrice communautaire principale pour Educo Bénin à Banikoara, il s’agit des enfants modèles dans leur communauté qui reçoivent une formation sur la Gestion de l’hygiène mensuelle, qui inclut des discussions sur les mariages des enfants et d’autres thèmes pertinents. Ces jeunes, explique-t-elle, relaient ensuite les informations dans leurs écoles et communautés. La formation de ces Pairs éducateurs est essentielle, car elle aborde, d’après ses propos, un sujet encore tabou et vise à maintenir les filles à l’école et à éliminer le mariage des enfants. Les Pairs éducateurs de cette école ont été formés à la Gestion de l’hygiène mensuelle parce que ça fait partie des sources de difficultés ou de décrochages des filles à l’école. « Nous travaillons pour le maintien des filles à l’école. Nous travaillons aussi pour l’élimination du mariage des enfants. Donc, cette initiative est super importante pour l’atteinte de nos objectifs », met en lumière Carmel Ahouannougan.
Des changements s’observent désormais…
Grâce à cette initiative, Banikoara se remodèle. La Gestion de l’hygiène menstruelle n’est plus un secret. Aussi bien chez les enfants que chez les parents, la facilitatrice communautaire principale pour Educo Bénin à Banikoara assure avoir des retours. « Nous avons eu à rencontrer même certains parents qui nous disaient qu’elles-mêmes, surtout certaines mères, avaient déjà des difficultés à pouvoir parler de ces choses-là avec leurs filles parce qu’elles-mêmes n’ont pas eu la chance que quelqu’un le leur explique. Elles l’ont appris sur le tas. Mais du fait que nous arrivons à leur expliquer déjà qu’il y a plusieurs types de couches, ça leur allège un peu plus la tâche. Et le Directeur du Collège nous a fait la confidence de ce que, cette activité que nous faisons avec les élèves fait qu’elles ont plus de l’aisance à venir vers eux, les membres de l’administration, pour se confier, pour leur parler aisément de ce sujet-là qui autrefois était sujet tabou. C’est une chose, une source d’assurance pour nous, ça veut dire que l’objectif est en train d’être atteint », s’est-elle réjouie. En donnant l’assurance qu’au Ceg de Banikoara, la majorité des enfants savent désormais ce qu’est la Gestion de l’hygiène menstruelle et tous ses contenants, elle conclut que la sérénité s’assied un peu plus dans leur esprit. En définitive, la bonne Gestion de l’hygiène menstruelle à travers les Pairs éducateurs promeut déjà un soutien compréhensif entre les sexes, particulièrement dans des aspects naturels et incontournables de la vie comme les menstruations. L’accès à de bonnes informations et leur diffusion sont ainsi essentiels pour bâtir une société plus empathique et inclusive. Banikoara en est la preuve !
Janvier GBEDO, avec le soutien de l’Unicef