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La Cour constitutionnelle, le citoyen et la hantise du troisième mandat et de la nouvelle République
Landry Angelo ADELAKOUN
Juriste Spécialiste droits humains et démocratie
angelo.adelakoun@gmail.com
Janvier 2025
« Patrice Talon doit briguer un troisième car la Constitution lui en donne le droit”, “ Patrice Talon ne nous suffit pas encore !”, Président Patrice Talon vous devez continuer l’œuvre entamée”. C’est par ces formules euphoriques et inaudibles à première vue que le débat sur la nécessité d’un éventuel mandat de plus du Président en exercice au Bénin Patrice Talon a démarré pour finir par atterrir dans le marigot des idéologues d’une hypothétique nouvelle République. Les partisans de cette école dont le siège se trouve dans les rues de Cotonou, quartiers précaires d’Abomey-Calavi et forums WhatsApp ont réussi à transposer le débat sur quelques médias traditionnels visiblement enchantés de contribuer à ce qui aurait pu être une infraction à la loi pénale si le crime ou délit d’apologie de troisième ou mandat de trop avait existé. C’est dans ce brouhaha alimenté par des esprits mal en point et apparemment en quête de visibilité et de positionnement que le requérant Enock Christian LAGNIDE, cloué dans son habituel silence assourdissant depuis bientôt neuf ans (9ans), sort de son mutisme et en citoyen ordinaire interroge les sept (7) sages de Ganhi. Convaincu et troublé, selon ses dires, par la “cohérence” et la “pertinence” des analyses des maîtres à penser des écoles de Zogbadjè, de Kandévié, de Zongo et de Dantokpa, il sollicite l’avis de la Cour constitutionnelle aux fins d’éclairer l’opinion nationale et lui sur la portée et la validité des cours professés avec assurance par les cuisiniers du droit, éminents Constitutionnalistes révélés devant l’Éternel. Enock Christian Lagnidé par requête en date du 24 janvier 2025 enregistrée au secrétariat de la Cour le 27 janvier 2025 à 09h56 sous le numéro 0164 sollicite l’avis de la Haute juridiction sur des “questions constitutionnelles majeures”. Le Bénin est-il dans une nouvelle République ? Patrice Talon est-il éligible en 2026 ? Malgré les assurances du Constituant et du Chef de l’État, l’opinion s’emballe. La requête du 27 janvier ne peut dès lors passer inaperçue en raison de la qualité du requérant qui fut Ministre, Conseiller spécial du Président de la République de 1998 à 2017 et candidat aux élections présidentielles de 2011 et 2016, mais aussi de la crise de confiance aiguë entre les institutions de la République et les citoyens. Quelle pourrait être la posture de la Haute juridiction qui jusque-là est restée loin du débat ? Ou pour faire simple, que dira la Cour dirigée par le Professeur Dorothée Sossa ? Le silence synonyme de démission des sachants, des universitaires ces neuf (09) dernières années, a fini par faire des douze millions de Béninois douze millions de juristes, de Constitutionnalistes et de Spécialistes de tout. N’empêche que malgré cette expertise généralement “facebookale”, “whatsapale” et “tiktokale”, la Cour constitutionnelle rendra une décision. Les règles du procès constitutionnel étant connues, si la Haute juridiction reste technique et collée au droit, elle devra conclure à l’irrecevabilité de la requête pour défaut de qualité (I). Mais toute chose ayant un début, il pourrait avoir, dans une hypothèse techniquement impossible et chimérique parce que juridiquement intenable, un cataclysme jurisprudentiel (II).
I- L’indiscutabilité de l’irrecevabilité de la requête.
La forme renseigne le fond et c’est une évidence. Cette vérité ne date ni d’hier ni d’aujourd’hui et les juristes le savent si bien qu’ils ont toujours témoigné un amour particulier pour la forme et la procédure. L’analyse de la forme dans le cas de la requête déposée le 27 janvier 2025 permet de déceler une absence de référence aux fondements procéduraux soutenant la requête en question. L’une des règles élémentaires de la pratique du droit et précisément du contentieux, c’est la mise en lumière dès les premières lignes de l’autorisation qui permet au justiciable de s’adresser à la juridiction saisie. L’on ne peut aller devant le juge comme si l’on allait au grand marché d’Abomey. Le requérant, oubliant que la forme n’est que le fond remonté à la surface, a malheureusement brûlé cet abécédaire. De bonne foi, l’on peut mettre à sa décharge le fait qu’il ne soit pas praticien de droit. Mais dans un pays connu pour son attachement à la qualité et l’excellence, cette posture ne saurait être banalisée. Le requérant est un citoyen trop éclairé pour se permettre de ne pas recourir à une expertise tout au moins dans la rédaction de sa requête lui qui a été Ministre, Conseiller Spécial du Président de la République et deux fois candidats aux élections présidentielles. Dans l’hypothèse qu’il n’y a pas pensé, les doctrinaires du troisième mandat et de la nouvelle république qui ont réussi à le convaincre par la “cohérence” et la “pertinence” de leur conception auraient pu lui souffler que même si cela ne fait pas partie des mentions obligatoires d’une requête devant la Cour, il est toujours élégant de suivre les règles de rédaction d’acte en donnant plus de forme à la requête. Fort heureusement, la Cour constitutionnelle ne s’attarde pas sur ce détail. Elle connaît son travail et s’y attelle. Mais plus concrètement, soit le requérant et ses “compatriotes” qu’il dit avoir rencontré ne maîtrisent pas le procès constitutionnel, soit ils sont animés d’une curiosité scientifique comme de nombreux chercheurs et requérants imperturbables devant la Cour, soit ils ont choisi être des agents au service des forces obscures.
Sur la première hypothèse, il n’y a rien de mal à se fourvoyer. Cela arrive à tout le monde, mais l’étonnement c’est de voir comment des juristes et autres qui ont pu maîtriser le droit constitutionnel au point de déceler dans une Constitution révisée les gênes d’un troisième mandat pour les moins ridicules et les bribes d’une nouvelle République pour les plus comiques n’ont pu maîtriser le basique du procès constitutionnel. Leur science a ce niveau a bégayé. Et si tel est le cas, alors ils sont des juristes kamikazes à désarmer avant que le génie béninois ne prenne davantage de l’eau de tous les côtés. C’est d’ailleurs pourquoi la deuxième hypothèse préfère croire en la bonne foi du requérant et de ses illuminés de compatriotes, la bonne foi étant toujours présumée en droit. La démarche ne peut donc répondre qu’à une curiosité scientifique au service de l’intérêt général et à l’animation du débat citoyen. Le bon juriste ou chercheur en droit doit avoir le goût de l’incident. Il doit pouvoir provoquer les jurisprudences, embêter la doctrine afin de faire évoluer le droit. A la vérité, sans la jurisprudence, sans la doctrine, le droit n’évoluerait point. Mais nonobstant la disponibilité à présumer de la bonne foi du requérant et autres juristes, il est quand même clair que le requérant n’a pas qualité à saisir la Cour constitutionnelle pour solliciter son avis sur le sens à avoir d’une disposition constitutionnelle ou sur les effets d’une révision constitutionnelle. Sa requête n’entre pas dans les prévisions des articles 3 et 122 de la Constitution, mais plutôt dans le champ des articles 52 et 53 du règlement intérieur de la Cour et 119 de la Constitution. A l’article 52 du règlement intérieur de la Cour, il est fixé tel un marbre que la Haute juridiction “donne ses avis dans tous les cas où son intervention est prévue par la Constitution et/ou par les dispositions législatives et réglementaires”. Mieux, l’article 53 se fait plus clair et ajoutant que lesdits avis sont notifiés à “l’autorité” qui a saisi la Cour. Sauf erreur, ni le requérant ni les doctrinaires de Zogbadjè ne sont “l’autorité” aux yeux de l’article 53. L’autorité habilitée à saisir la Haute juridiction pour l’exercice initié par le requérant, c’est bien le Président de la République. Autrement, les sept (7) sages ne se gênent pas à déclarer la requête du citoyen ordinaire irrecevable pour défaut de qualité. Une petite lecture de la Constitution et de la jurisprudence de la Cour aurait permis de faire le mis à niveau. La facilité à se laisser entuber par des marmiteux du droit a visiblement pris le dessus sur le bon réflexe. Même si des dispositions de la Constitution permettaient aux citoyens de saisir la Haute juridiction pour solliciter son avis sur l’interprétation d’une disposition quel peut être le mobile d’une saisine à environ un an de la fin du mandat d’un Président en exercice ? Et cette saisine vient en plus de quelqu’un qui n’a presque pas été dans le débat public et qui n’est pas un habitué de la saisine de la Cour constitutionnelle ? Pourquoi cet intérêt des dernières heures ? La conséquence de cet agissement télécommandé ou non, c’est que l’auteur de la requête est perçu dans l’opinion comme un pion au service des esprits malsains décidés à faire entrer la Haute juridiction comme un loup dans la bergerie pour provoquer un éventuel cataclysme.
II- L’impossibilité d’un cataclysme jurisprudentiel
Le droit constitutionnel a ses codes et les grands principes sont connus. Une révision constitutionnelle reste une révision constitutionnelle. Elle ne crée nullement une nouvelle République. Les doctrinaires des rues de Cotonou et des forets sacrées doivent pouvoir le savoir. Le droit constitutionnel est trop sérieux pour être laissé aux mains des interprètes sans science. L’opération intervenue le 07 novembre 2019 est une révision, une modification, un amendement de la Constitution adoptée par référendum en 1990. La naissance d’une nouvelle République et le changement de Constitution forment un ensemble indissociable, un couple. C’est ainsi lorsqu’un pays vit sous un ordre constitutionnel normal. Et c’est le cas du Bénin. Bien que la démarche ayant conduit à la modification de la Constitution du 11 décembre 1990 soit fortement condamnable tout comme la légitimité de la mandature de l’Assemblée nationale qui a validé l’opération, il n’en demeure moins que le Bénin n’a pas adopté une nouvelle Constitution. Le Constituant dérivé a même eu le mérite de préciser à l’article 2 que la révision ainsi faite “n’établit pas une nouvelle République”. Cette précision n’était pas obligatoire, mais c’est une précaution de plus face aux suspicions et l’imprévisibilité des gouvernants africains. C’est d’ailleurs parce que les couturiers du droit ont compris qu’il faut avoir adopté une nouvelle Constitution avant de parler d’une nouvelle République qu’ils tentent de faire croire à ceux qui ont intérêt à croire aux illusions que l’opération de novembre 2019 n’est pas une révision, mais plutôt l’adoption d’une nouvelle Constitution. Dire qu’une telle lecture est ridicule, c’est peu dire. C’est user d’euphémisme. Car les porteurs d’une telle théorie sont des kamikazes à combattre au même titre que ceux qui, dans une guerre asymétrique, endeuillent les États.
Le deuxième groupe de spécialistes de tout estime qu’il y a contrariété entre les articles 42 et 157 de la Constitution alors que tel n’est pas le cas. Avant la révision, le mandat du Président de la République est de cinq (5ans) renouvelable une seule fois et la révision l’a maintenu ainsi avec le mérite d’ajouter qu’“en aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République”. Ce qui embrouille les citoyens honnêtes et sert de base à la confusion entretenue par les ennemis de la paix, c’est l’article 157 alinéa 1 qui dispose que “ les dispositions nouvelles concernant l’élection et le mandat du président de la République entrent en vigueur à l’occasion de l’élection du président de la République en 2021”. Partant de là, ils estiment que le mandat précédent (2016-2021) n’est pas concerné. Malheureusement, il s’agit d’une interprétation en mode “Make up”, l’’alinéa suivant disposant que “le mandat du président de Ia République en exercice s’achève à la date de prestation de serment du président de la République élu en 2021, à 00 H”. C’est sur cette base que quarante cinq (45) jours ont été ajoutés en 2021 au premier mandat de Patrice Talon afin d’organiser les élections de 2021 à la nouvelle date. Ce groupe à l’excuse de la curiosité malgré les précisions des dispositions constitutionnelles et les assurances du Président de la République. Si les propos des acteurs politiques n’engagent que ceux qui y croient, ceux des acteurs politiques n’ont aucune valeur. L’absence de morale et d’éthique, l’absence de honte et l’indignité semblent être les ingrédients d’un bon politique au Bénin. Dans un tel contexte, les citoyens doutent de tout et peut-être de leur propre existence. Ce n’est donc pas en une disposition qu’ils mettront leur confiance quand ils savent que les neuf (09) dernières années presque tout a été fait à l’ombre de la loi et aux couleurs de la justice. La confiance entre les institutions de la République et les citoyens s’est considérablement détériorée ces dernières années et la Cour constitutionnelle de son coté semble ne rien faire pour améliorer son image. Les décisions de la Haute juridiction sont loin de combler les attentes. La juridiction est même considérée par certains, à tort ou à raison, comme une caisse de résonance, un prolongement du pouvoir exécutif. La situation qui s’observe aujourd’hui autour de la compréhension des dispositions constitutionnelles peut-être imputée, en grande partie, au juge constitutionnel. Sous la Cour présidée par le Professeur Théodore Holo, la Cour a censuré les propos de madame Fatoumata Amadou Djibril alors Ministre dans le gouvernement de Boni Yayi. Tellement fière de la gouvernance de l’époque, elle n’a pas perdu son temps à écouter les Constitutionnalistes de circonstances avant de décréter en direct à la télévision que si le peuple veut d’un troisième mandat, Boni Yayi alors à son second et dernier mandat pourra le faire. A sa décharge, l’on peut considérer qu’elle n’avait jamais lu auparavant la Constitution. Mais vu qu’elle citait en référence, sans grande maîtrise, le cas de l’ancien Président américain Roosevelt, l’on peut considérer qu’elle était juste en conflit avec la claire compréhension des choses. Malheureusement, la Cour constitutionnelle a changé de ligne jurisprudentielle depuis 2018. Les propos et affirmations ne sont plus attaquables devant la Haute juridiction car n’entrant pas dans la catégorie des actes prévus à l’article 3 de la Constitution. Lorsqu’un gouvernant ou gouverné déclare qu’un Président en exercice peut faire un troisième voire quatrième mandat, la Cour considère que cela relève de la liberté d’opinion et d’expression et se déclare incompétente. Si la ligne n’avait pas changé, rien qu’avec la requête déposée contre les propos de l’ancien Bâtonnier Jacques Migan, la Cour aurait déjà sifflé la fin de la pagaille en fixant tel un marbre dans la conscience collective que Patrice Talon est à la fin de son second et dernier mandat en 2026. Mais, en vrai, depuis l’installation de la première Cour constitutionnelle de l’ère du renouveau démocratique en 1993, les décisions, la philosophie de la Cour n’ont jamais fait l’unanimité au sein de l’opinion. Seulement que la tendance qui s’observe depuis peu est que plus l’on s’éloigne de 1990, année de la Conférence Nationale des Forces Vives, plus la qualité du travail et la légitimité de la Haute juridiction deviennent de plus en plus problématiques. Soit l’esprit de cette historique Conférence est sorti du corps des Béninois pour aller ailleurs, soit les sages ont commencé à manquer de sagesse. Heureusement que face à la requête du compatriote Enock Christian Lagnidé, la Cour, techniquement, ne pourra statuer sur le fond. Or, pour rêver d’un cataclysme, il faut pouvoir aller au fond. Aucune disposition de la Constitution, aucune jurisprudence n’en donne les pouvoirs aux sept (7) sages.