Me Habiba Touré évoque la vacuité du dossier
Arrêté mercredi 13 novembre 2024, et placé en détention provisoire, le jeudi 14 novembre 2024, l’ancien Directeur général de la police nationale (DGPN), Louis Philippe Houndégnon était devant les juges de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme hier, lundi 16 décembre 2024. Pour cette première audience, les avocats de Louis Philippe ont formulé une demande de nullité à propos des conditions d’interpellation de l’ex Dgpn. La Cour a alors renvoyé le dossier au 27 janvier 2025. Se confiant à Bip Radio, Me Habiba Touré évoque la vacuité du dossier. A ses dires, il ne devrait même pas avoir d’audience du fait que son client, Louis Philippe Houndégnon n’a commis aucun crime ni délit. Il a juste fait usage de sa liberté d’expression
Voici le verbatim des propos de Me Habiba Touré, avocate au Barreau de Seine-Saint-Denis sur Bip radio
Me Habiba Touré : Écoutez, dans le cas de cette première audience, ça devait être la seule audience en réalité, d’accord, durant laquelle il a été soulevé un certain nombre de moyens de nullité concernant les conditions d’interpellation du général, puisqu’il faut relever quand même que des policiers en civil qui ne se sont pas annoncés ont quand même escaladé sa clôture pour procéder à son interpellation. Et que finalement on s’est rendu compte que les dés étaient déjà jetés, que la messe était dite lorsqu’on voit les éléments concernant le mandat de dépôt sur lequel il figurait une date manifestement antidatée. Donc tous ces moyens de nullité ont été évoqués par mon confrère Kèkè, à raison du reste.
Nous nous attendions à ce que la cour se prononce, mais elle a renvoyé son délibéré au 27 janvier, concernant seulement les moyens de nullité et donc pas le fond du dossier. Ce qui est gênant c’est qu’il y ait même une séance en fait, qu’il y ait même une audience, en ce qui concerne le général. La place du général n’est absolument pas dans cette dans cette salle d’audience.
Donc le fait même qu’il puisse y avoir une audience le concernant est en soi scandaleux lorsqu’on voit la vacuité du dossier.
Journaliste : Pourquoi vous parlez de vacuité du dossier ?
Il suffit de voir ce pourquoi il est poursuivi et puis ce qu’il y a concrètement dans le dossier. On parle quand même de l’ancien Directeur général de la police, qui est aujourd’hui poursuivi pour des faits de harcèlement sur, dit-on, les autorités politiques et administratives de l’État, qui, on ne sait pas.
Si maintenant le fait d’émettre des critiques constitue un harcèlement, il y a un vrai problème. Je dirais que vous devriez mettre, à la Criet, peut-être la moitié, voire toute la population béninoise qui pourrait émettre une quelconque critique, qu’elle pourrait formuler vis-à-vis d’une quelconque autorité dans le pays. Lui dire formuler une critique, ce n’est pas un harcèlement.
Donc en soi c’est un peu gênant qu’il soit là pour ce fait-là. Et puis l’autre, il est également poursuivi pour des faits d’incitation à la rébellion. Quand on voit ce qu’il a pu dire, encore une fois, la critique n’est pas une incitation à la rébellion.
Encore une fois, le fait même qu’il soit détenu est scandaleux. Le fait qu’on puisse le poursuivre parce qu’il critique, parce qu’il ne fait juste que l’usage de sa liberté d’expression est en soi scandaleux. Et ça montre quand même qu’il y a un véritable problème.
Parce qu’aujourd’hui, si le fait de critiquer, même si c’est de façon considérée comme dure par le pouvoir, ça ne justifie pas le renvoi devant une juridiction ou la détention d’un opposant ou de quelqu’un qui formule des critiques.
Il a dit qu’il a été approché pour un coup d’état. Est-ce que ce n’est pas des propos graves ?
Oui. Mais ce qui est grave, ce n’est pas le fait qu’il le dise. C’est le fait qu’il ait été approché. Et lui le dénonce. Il le dit. Et par cela, il attire l’attention des citoyens mais également du pouvoir sur la nécessité qu’il faut absolument… Il y a des choses qu’il ne faut pas faire. Quand on veut la stabilité d’un pays, il faut éviter de donner l’occasion à des personnes qui considèrent qu’on est plus dans un état de droit de se faire justice elles-mêmes. Lui l’a dénoncé. Oui, il le dit. Mais ce n’est pas ce qu’il a dit qui est grave. C’est le fait qu’il ait été approché et lui-même l’a condamné. C’est comme un lanceur d’alerte. Vous avez quelqu’un qui dénonce, qui vous dit qu’il y a une situation assez grave au Bénin et puis c’est lui que vous emprisonnez. Il y a un problème.
Que répondez-vous à ceux qui disent que c’est lui-même qui a voulu se faire emprisonner ?
Quand vous utilisez votre liberté d’expression et que vous êtes intimidé ou menacé en vous disant « Si tu continues, je vais te jeter en prison », vous avez deux attitudes. Soit vous subissez la situation, vous acceptez finalement qu’on vous nuisait, qu’on vous prive de votre liberté d’expression, soit vous le dénoncez. Et c’est ce qu’il a fait. Lorsqu’il dit « Si le fait que je m’exprime, que je dénonce, que je critique doit m’amener en prison, m’amenez-moi en prison ». Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas suicidaire. La prison, ce n’est pas un hôtel, surtout dans nos États africains. Il n’a pas envie de rester en prison. Mais à un moment donné, il se positionne comme quelqu’un dont il est important de critiquer ce qui se passe pour le bien du pays. On ne critique pas quelque chose dont on est indifférent et dont on n’a que faire. Si on critique, c’est parce qu’il aime son pays. C’est parce qu’il a mal pour ce pays. C’est parce qu’il estime que ce qui s’y passe n’est pas normal.
Et on doit pouvoir critiquer sans encourir la prison. Et je pense que c’est ce qu’a essayé de faire le général. Malheureusement, ça lui coûte ce que ça lui en coûte. Regardez, on est en fin d’année. La plupart d’entre nous allons passer les fêtes de fin d’année en famille. Et lui, parce qu’il a adopté une position courageuse, va se retrouver loin des siens.
Et on parle du général Houndégnon, mais il y a aussi son co-détenu. C’est un dommage collatéral. C’est une balle perdue.
Il s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Et lui aussi va se retrouver en prison. La situation est assez grave.
Et dans quel état d’esprit vous l’avez trouvé le général Houndégnon ?
Fort, combatif, déterminé. Mais il ne peut être que fort, déterminé et surtout assez serein, puisqu’il sait qu’il n’a rien fait. Il n’a rien fait de répréhensible. Et la critique n’est pas un crime ni un délit.
Propos transcrits par B.H