Avec plus de 26 000 militants, Nagnini Kassa Mampo est à la tête de la première confédération syndicale du pays. Rencontré ce lundi 14 octobre 2024 dans son bureau, le secrétaire général de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB), se prononce sur le chômage des jeunes béninois.
Matin Libre : Pourriez-vous vous présenter ?
Kassa Mampo : Je suis Nagnini Kassa Mampo, 62 ans, enseignant de philosophie à la retraite et secrétaire générale de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB).
Au Bénin, le taux de chômage est faible (2,3% en 2018) mais la plupart des actifs sont en situation de sous-emploi et ne travaillent pas autant que ce qu’ils aimeraient. Près d’une personne sur quatre touchée par cette situation a entre 24 et 35 ans.
L’éducation dans notre pays n’est pas liée aux réalités. C’est-à-dire que la formation et l’école de façon générale n’est pas en adéquation avec notre réalité : on apprend dans une langue étrangère et dans des réalités étrangères. On ne s’instruit pas dans nos propres langues donc on ne s’instruit pas en prenant en compte les réalités socio-économiques. On fabrique beaucoup de sans emploi. Lorsqu’ils finissent l’école, ils ont des diplômes qui ne sont pas adaptées aux réalités publiques donc ils sont au chômage.
Vous évoquez le français comme frein dans l’apprentissage et donc dans l’emploi. Quelles autres difficultés expliquent le fait que les jeunes aient du mal à entrer dans le marché du travail?
Je prends l’exemple de la santé. Les gens vont étudier la médecine sur la base des connaissances de la médecine occidentale. S’ils sortent de la faculté, il faut trouver une clinique ou un hôpital. Or, les cliniques et les hôpitaux n’arrivent pas à contenir ceux qui ont été formés à la faculté. Les médecines occidentales n’arrivent pas à régler toutes les maladies de chez nous. La médecine traditionnelle règle beaucoup de problèmes. Si la médecine moderne était combinée à la médecine traditionnelle et que chaque médecin formé pouvait ouvrir facilement sa propre clinique, [on pourrait] soigner des gens. Ici, il faut beaucoup de moyens pour aller ouvrir la clinique, mieux, les connaissances sont limitées par rapport aux réalités. Tout ça participe au chômage des jeunes.
Concrètement, comment changer cette situation ?
C’est assez compliqué parce qu’il faut que le gouvernement revoie les programmes d’instruction. Un : il faut que l’instruction se fasse dans les langues nationales. Deux : il faut que les programmes soient adaptés aux réalités socio-culturelles et économiques du pays. C’est ce qui permettra de régler le problème d’emploi après la formation.
Les jeunes sont parfois obligés d’accepter des métiers non déclarés ou se retrouvent pris au piège dans des emplois non rémunérés. Comment lutter face à ces situations ?
Le problème qui se pose est que les sociétés privées qui recrutent les travailleurs ne les déclarent pas à la sécurité sociale. Les textes de lois le demandent, mais il n’y a pas de suivi. L’Etat n’oblige pas les sociétés privées à déclarer leurs employés. Aujourd’hui, la réglementation à la fonction publique a été tellement fragilisée que tout employeur peut licencier son employé à tout moment, même si l’employé n’a commis aucune faute ! Ça fait que la législation du travail est en faveur des patrons et ne protège pas l’employé. Beaucoup d’employeurs ne déclarent pas leurs employés mais l’Etat ne les punit pas : c’est vraiment la catastrophe. La réglementation sur l’emploi ne permet pas de protéger les gens. Par exemple, il y a une société qui est en train de construire des logements sociaux où des travailleurs sont depuis trois mois sans salaire. Et le gouvernement ne dit rien. Ce qu’il faut c’est une politique d’emploi, une politique gouvernementale qui doit protéger les citoyens, les travailleurs, les jeunes ! C’est une des responsabilités de l’Etat.
Fayola DAGBA (Stag)