Le 9 octobre 2024, la ministre de l’enseignement supérieur, Eléonore Yayi Ladékan, a annoncé le recrutement de 1600 enseignants d’ici 2026. Une mesure qui vient en réponse à un besoin pressant de l’Université publique d’Abomey-Calavi (Uac), selon le secrétaire général du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares), Gabin Tchaou rencontré le 17 octobre 2024. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, le syndicaliste estime que le campus universitaire a besoin d’environ 3200 à 3500 enseignants…
Matin Libre : Pourriez-vous vous présenter ?
Gabin Tchaou : Je suis Tchaou Ahognisso Gabin. Je suis dans la cinquantaine. Je suis géographe de formation, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi. Précisément, à l’Institut du Cadre de Vie. Actuellement, Secrétaire général du Syndicat national de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, Synares.
L’Université d’Abomey-Calavi fait face à un déficit d’enseignants. Combien d’enseignants manque-t-il ?
Si nous devons appliquer les règles du Réseau pour l’Excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), qui dit que pour un enseignant, il faut 25 apprenants, nous aurions besoin, au niveau de l’université d’Abomey-Calavi seule, environ 3200 à 3500 enseignants. Puisque nos étudiants avoisinent les 100 000 étudiants. Mais présentement, nous ne pouvons pas dire que nous avons 800 enseignants permanents disponibles.
Que voulez-vous dire par disponibles ?
J’ai ajouté disponibles parce que parmi les enseignants du supérieur que nous avons, qui ne font pas l’effectif nécessaire pour encadrer ce nombre d’étudiants actuellement au pays, il y a un certain nombre qui sont dans les cabinets ministériels, qui sont DC (Directeurs de cabinet), qui sont des conseillers techniques, qui sont Directeurs adjoints de cabinet, Secrétaire général dans les ministères, et d’autres qui sont en politique, qui sont des députés à l’Assemblée nationale. Il y en a parmi nous qui sont des ministres. Et vous savez que quand on occupe ces positions, on n’est plus totalement disponible pour pouvoir accomplir ces charges pédagogiques.
Quelles sont les raisons qui expliquent ce manque d’enseignants ?
Il n’y a qu’une seule raison. S’il y a manque d’enseignants aujourd’hui pour l’Université d’Abomey-Calavi et pour toutes les universités publiques du Bénin, c’est que la seule raison et la principale raison, c’est le non-recrutement d’enseignants. Ce n’est pas que les enseignants à recruter manquent. Nous avons le vivier. Nous avons des docteurs qui sont formés, soit ici, soit dans la sous-région. Il y en a qui sont formés au Canada, en Belgique, en France… qui sont rentrés et qui, par moment, nous appuient en prenant quelques heures. On les appelle collaborateurs extérieurs ou vulgairement les vacataires.
Une partie des enseignants béninois quittent le pays pour aller travailler ailleurs comme en Guinée-Conakry par exemple. Pourriez-vous expliquer cette situation ?
Le fait que le Bénin ne recrute pas depuis des années a fait que, dès qu’il y a des appels à candidatures dans des pays de la sous-région ou même à l’international, les gens postulent et ils sont sélectionnés. C’est toujours le gel du recrutement qui ne dit pas son nom. Actuellement, la Guinée-Conakry a encore fait un recrutement massif de 250 enseignants pour les universités publiques guinéennes. Et parmi ce lot, il y a une quarantaine de Béninois. Parmi eux, il y en a qui nous aident et les autres universités publiques du Bénin, même privées, en prenant des heures de vacations.
Quels problèmes posent ces départs, selon vous ?
Ce qui a attiré notre attention et nous avons tiré sur la sonnette d’alarme, il y a environ une semaine, c’est que parmi le lot des Béninois recrutés en Guinée-Conakry, nous avons des mathématiciens. Or, nous en avons besoin pour nos universités publiques. Nous en avons qui sont titulaires d’une thèse de doctorat en intelligence artificielle, en informatique, il y en a qui sont des spécialistes en économétrie… Ce sont des spécialités qui sont un peu rares. Donc, nous en avons besoin. Et voilà, des cerveaux qui s’en vont pour s’installer ailleurs. C’est un problème. Ce n’est pas bon. Et nous le disons aux autorités, à nos gouvernants pour faire savoir que ce qui se passe là devient dangereux. C’est au moment où nos étudiants deviennent de plus en plus nombreux que nous avons de moins en moins d’enseignants disponibles pour les encadrer. C’est un paradoxe.
Quelles sont les conséquences du manque de professeurs sur les étudiants et étudiantes ?
Le peu d’enseignants qui restent sont surchargés. Si les enseignants sont surchargés, ça va se sentir sur leur rendement et les apprenants également seront surchargés. Si un enseignant doit faire cours sans arrêt de 7 à 10 heures, de 10 à 13 heures avec à peine une heure de pause ; puis reprendre trois heures encore… C’est un humain, pas un robot. Donc, tant qu’on n’aura pas les ressources humaines en nombre suffisant, ça va rejaillir sur le rendement de l’enseignant. Il y a aussi un seuil de fatigabilité pour les apprenants. Est-ce qu’ils peuvent supporter ce rythme de travail ?
Plusieurs réformes ont été amorcées et généralement contestées. Des années après, que peut-on en retenir ?
Nous avons eu droit à plus d’une trentaine de réformes depuis 2016 à ce jour. Mais ces réformes-là n’ont pas impacté positivement le quotidien des acteurs des universités publiques tant des enseignants, des étudiants et du personnel administratif. Il était annoncé en décembre 2016 qu’ils allaient recruter chaque année au moins 305 nouveaux enseignants assistants jusqu’en 2021. Soit un total de 1535 enseignants pour les universités publiques. Mais à l’arrivée, on a pu recruter de 2016 à 2021 moins de 200 enseignants pour toutes les universités publiques. Et sur la même période, il y a eu plus de 250 enseignants qui ont fait valoir leur droit à une pension de retraite.
Fayola Dagba (Stag)