-L’incident diplomatique est imminent si…
-Interpol et la fameuse “Notice Rouge“
-Le Togo nous donne une leçon de procédure
-Lire l’Analyse du juriste Fréjus Attindoglo
L’affaire “Steve Amoussou“ n’a peut-être pas encore livré toutes ses facettes. Aphones malgré les accusations de la justice togolaise et jugées graves dans l’opinion, les autorités béninoises n’ont toujours pas apporté la moindre explication dans ce rocambolesque dossier.
A quoi doit-on s’attendre désormais après les accusations de Lomé ? Qu’adviendra-t-il des mandats d’arrêt émis contre des béninois dont des noms ont été abondamment relayés ? A-t-on pris le risque de frôler un incident diplomatique ? Autant de questions qui taraudent les esprits des béninois depuis peu. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, Fréjus Attindoglo, juriste, fait une analyse des faits. Lisez plutôt !
Après les dernières précisions apportées par la justice togolaise dans ce qu’il convient d’appeler Affaire « Steve Amoussou », quelle analyse faites-vous désormais des faits ?
Après les récentes précisions en provenance de Lomé, nous disposons désormais d’une réponse claire quant à la participation ou non des autorités togolaises à ce qu’elles qualifient elles-mêmes d’enlèvement de Monsieur Amoussou. Le Togo, à travers sa démarche, semble nous donner une leçon en matière de procédure. Les autorités togolaises auraient pu agir différemment, par exemple en choisissant de résoudre cette situation de manière politique, bien que cette option ne soit pas encore totalement écartée à ce stade. Dans ce cas, nous aurions déjà vu des communiqués de la présidence dénonçant ce qui pourrait être qualifié de violation de leur territoire, si l’on se base sur les éléments du communiqué du procureur de Lomé.
Le Togo aurait pu aller au-delà d’un simple changement des fonctionnaires de police à la frontière avec le Bénin ; il aurait pu, en raison des relations tendues entre les deux pays, envisager de fermer complètement ses frontières. Cependant, le Togo a choisi la voie judiciaire en confiant ce dossier à la justice. Les autorités judiciaires ont pris le temps de mener des enquêtes minutieuses, permettant ainsi d’identifier précisément les personnes impliquées dans la commission de cette infraction sur leur sol. Certaines de ces personnes ont été arrêtées, présentées au procureur, puis placées sous mandat de dépôt. Des mandats d’arrêt internationaux ont été émis à l’encontre des autres individus impliqués.
C’est pour nous une leçon de procédure : le Togo nous montre simplement comment cela doit se dérouler. Il est de notoriété publique que lorsqu’une personne est impliquée dans une infraction et se trouve sur un autre territoire, il n’est pas question de pénétrer illégalement sur ce territoire pour la récupérer. Le faire ainsi, pourrait être perçu comme une violation de la Charte des Nations Unies notamment de l’article 2(4) de la Charte.
Dans ces situations, la démarche appropriée consiste à émettre un mandat d’arrêt international, permettant ainsi aux services d’Interpol d’exécuter ce mandat et d’organiser l’extradition de la personne concernée avec la coopération des autorités locales. Cette règle procédurale est bien connue, et la justice béninoise l’a déjà observée à plusieurs reprises. Tout récemment, en 2018, cette règle a permis l’arrestation de Monsieur Kikissagbé Godonou Bernard, alias KGB, à Lomé, au Togo.
Aujourd’hui, il est difficile de comprendre ce qui s’est réellement passé dans ce dossier pour que nous en arrivions à ce point. C’est pourquoi il est nécessaire que les autorités judiciaires nous informent sur les faits réels, comme elles ont l’habitude de le faire dans certains dossiers d’intérêt public. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore une version officielle de nos autorités. Ce silence peut permettre à tout le monde de les accuser à tort d’une chose dont elles ne sont peut-être pas coupables.
A quoi peut-on s’attendre dans les jours à venir ? Des mandats d’arrêts émis contre les supposés ravisseurs, l’Interpol et autres ?
C’est une situation complexe, notamment en raison de la mention du nom d’une personnalité de notre pays. Ce qui est certain, c’est que ces personnes ne pourront plus traverser les frontières aériennes ou terrestres du Togo sans risquer d’être arrêtées. Concernant l’exécution de ce mandat dans d’autres pays, y compris au Bénin, il faudra compter sur la coopération des services d’Interpol et de tous les pays membres.
Il ne suffit pas qu’un mandat d’arrêt international soit émis pour que les personnes recherchées soient localisées et arrêtées. Premièrement, le pays ayant émis le mandat doit être membre de l’Organisation internationale de police criminelle, communément appelée Interpol. Ensuite, Interpol doit accepter de publier une « Notice Rouge » sur la base des informations contenues dans le mandat. La « Notice Rouge » est une demande d’arrestation qu’Interpol envoie à tous ses bureaux de liaison dans les pays membres.
Cependant, avant de publier cette « Notice Rouge », Interpol prend le temps de vérifier que la demande est conforme à ses règles et ne viole pas le statut d’Interpol, qui interdit toute ingérence dans des affaires politiques, militaires, religieuses ou raciales, entre autres. Il est également important de préciser que la diffusion de la Notice Rouge ne garantit pas directement l’arrestation des personnes concernées ; cela dépend aussi de la coopération des autorités locales. Ce sont les fonctionnaires de police au niveau local qui doivent collaborer pour l’arrestation des personnes concernées. De plus, chaque pays reste souverain dans sa décision d’arrêter ou non une personne en vertu d’une Notice Rouge.
Ainsi, la situation est particulièrement délicate compte tenu de la supposée implication de cette personnalité béninoise.
Doit-on craindre le risque d’un incident diplomatique? Était-il nécessaire d’en arriver là ?
Le risque d’incident diplomatique est imminent si les accusations de Lomé s’avèrent justifiées. Toutefois, même si ces accusations sont infondées, l’incident diplomatique peut venir de Cotonou. Le fait que le Togo ait choisi de traiter l’enlèvement présumé de Monsieur Amoussou par la voie judiciaire, plutôt que de recourir uniquement à une approche politique, démontre une volonté de respecter les procédures légales internationales tout en préservant, pour le moment, les relations diplomatiques. Néanmoins, cette situation risque inévitablement de ternir les relations entre le Bénin et le Togo. Aujourd’hui, toutes les attentions se tournent vers le Bénin. Le pays est-il réellement impliqué dans ces accusations ? Les personnes concernées ont-elles agi sous mandat officiel des autorités béninoises ? Ce sont des questions qui apporteront des éclaircissements à l’ensemble de cette affaire.
Propos recueillis par Aziz BADAROU