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La crue et le retour des fretins sur le marché béninois: Quand les changements climatiques menacent la faune ichtyologique

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La crue devient de plus en récurrente au Bénin. Caractérisée par une élévation ou débordement du niveau de l’eau, la crue est un phénomène naturel faisant partie intégrante du régime naturel des cours d’eau, où périodes sèches (étiage) et humides s’alternent. Causée par plusieurs facteurs dont la variabilité climatique, la crue est généralement perçue comme une menace pour les ressources halieutiques au Bénin. La pêche étant moins fructueuse en cette période, des poissons immatures sont capturés et mis sur le marché.

Les fretins sont les principales cibles des pêcheurs en période de crue. De taille immature, ils sont massivement capturés grâce à un certain nombre de techniques affinées élaborées par les pêcheurs et mis sur le marché. Destinés, du coup, à la consommation, ces jeunes poissons périssent sans pouvoir tout au moins se reproduire une fois comme le prévoit les mesures de protection des ressources halieutiques en République du Bénin. Ainsi, les changements climatiques, principale cause de la récurrence de la crue au Bénin, menacent non seulement la faune aquatique mais également affectent négativement les revenus des ménages des pêcheurs et vendeuses de poissons. Faut-il le rappeler, on distingue les crues lentes (le débit du cours d’eau augmente lentement, suite à des pluies, la fonte des neiges) ; les crues rapides ou brutales ou éclair (elles résultent de pluies abondantes, d’orages violents…). Elles constituent le véritable moteur de la dynamique fluviale et sont indispensables à la « Vie » d’un fleuve. Mais ce phénomène peut également être accentué par des causes humaines indirectes (changement climatique). Au Bénin, on enregistre une pluviométrie dont les  hauteurs moyennes annuelles permettent de délimiter une succession de 05 zones climatiques qui sont: une zone Nord, les zones de la chaîne de l’Atacora au Nord-Ouest et le Nord-est, une zone de transition comprise entre les parallèles de Djougou au Nord et Dassa-Zoumé au Sud, une zone pré-côtière et la zone côtière. Le réseau hydrographique béninois  est constitué  de  3048  km  de  cours  d’eau   et  333  km²  de  plans d’eau  (lacs et lagunes) localisés dans la région Sud du pays. Le réseau présenté alimente dans le bassin sédimentaire côtier, une série de plans d’eau comme la lagune de Porto-Novo (35 km²), le lac Nokoué (150 km²), le lac Ahémé (78 km²), la lagune de Ouidah (40 km²), le lac Toho (15 km²) et la lagune de Grand-Popo (15 km²).

Des causes de la crue au Bénin après une étude réalisée en 2010…

A en croire le Directeur général de l’Agence nationale de protection civile, César Agbossaga, les données disponibles sont le fruit d’une étude réalisée après la crue suivie des inondations de 2010. Il ressort de ladite étude que la crue au Bénin est due à des causes naturelles, anthropiques et organisationnelles. Les causes naturelles sont à la fois, hydrologiques, hydrographiques, géologiques et climatiques.

Variabilité climatique, principale cause…

L’évaluation concertée de la vulnérabilité des populations effectuée dans le cadre du projet d’élaboration du Programme d’Action National aux fins de l’Adaptation aux changements climatiques, a ainsi révélé qu’au niveau national, on distingue trois risques climatiques majeurs à savoir (i) la sécheresse, (ii) les pluies tardives et violentes, (iii) les inondations. La partie méridionale du Bénin, de la côte jusqu’à 10° de latitude Nord, est intégrée à un régime marqué par un climat « sec et tropical de steppe » qui est désigné comme « la plus remarquable anomalie climatique des côtes de Guinée, c’est à dire un littoral subhumide et semi-aride dont le déficit pluviométrique est reflété par le couvert végétal »[1]. Cette région qui regroupe la plaine de la Volta, le moyen et le bas-Togo ; le moyen et le bas-Bénin ; puis le Nigéria du Sud-ouest, figure sur la carte mondiale des régions arides de l’UNESCO, identifiée comme semi-aride et qualifiée de « diagonale de sécheresse du golfe du Bénin »[2]. Le reste du pays reste soumis aux vicissitudes du climat tropical sec. Depuis la fin des années 1960, des perturbations climatiques sont intervenues au Bénin et se sont manifestées par une réduction d’amplitude annuelle moyenne des hauteurs totales de pluies de 180 mm. On a noté une intensification des sécheresses qui se sont produites pendant la même période, notamment dans les années 1970 et 1980.

De plus, les perturbations climatiques induisent des pluies exceptionnelles qui sont à la base des crues et des inondations dans le bassin sédimentaire côtier et les plaines d’inondation des principaux cours d’eau du pays. En effet, la zone pré-côtière et la côtière qui correspondent en grande partie au bassin sédimentaire côtier est sujette à des précipitations moyennes annuelles supérieures à 1200 mm reparties sur une centaine de jours entre juin et octobre. La moyenne calculée à Cotonou sur la période 1952 à 1995 est de 1313 mm. En plus de cette pluviométrie importante, l’hydrogéologie des plaines d’inondation et surtout de la plaine littorale favorise dès les premières pluies de la grande saison pluvieuse, la remontée des eaux souterraines. Avec une topographie en général molle, et des aquifères très tôt saturés, l’évacuation des eaux de pluie vers les lagunes et la mer est largement ralentie et l’inondation s’installe. Cette inondation est soutenue par les pluies de la petite saison, laquelle petite saison coïncide souvent avec celles du nord. Dans une position d’exutoire, les villes comme Cotonou et d’autres du Sud faisant partie du bassin où une grande partie des eaux qui déferlent depuis le nord vient se jeter dans la mer par la lagune de Cotonou, vivent des périodes très difficiles d’inondation. Les changements climatiques renforceront la variabilité du régime pluviométrique qui pourrait s’accentuer dans le futur[3].

Pourquoi la capture des fretins en période de crue ?

« La commercialisation des poissons de taille immature dure toute l’année mais elle est particulièrement accentuée durant la crue.  Cela est lié à la reproduction d’un certain nombre d’espèces en ces périodes. La reproduction des espèces de poissons est conditionnée par un certain nombre de facteurs environnementaux dont l’élévation du niveau de l’eau surtout pour les espèces tropicales. Ces espèces qui se reproduisent facilement pendant la crue libèrent beaucoup de juvéniles. Les pêcheurs ayant élaboré un certain nombre de techniques affinées juste pour prélever ces cibles, parviennent à les prélever abondamment. Quand vous allez dans la vallée de l’Ouémé, par exemple, avec le « Dôgbo », un filet à mailles très étroits, on en prend énormément. » C’est en ces termes que le Chef service Pêche continentale et Aquaculture à la Direction des pêches, Comlan Eugène Dessouassi explique cette prédominance des espèces immatures sur le marché béninois pendant la crue. Pour Arsène Fortuné d’Almeida, spécialiste en Ichtyologie et aquaculture (Cspca), coordonnateur du Provac, la crue sauve quelque part la faune ichtyologique car les hautes eaux ne permettraient pas à tous les pêcheurs de pouvoir capturer les poissons. Ces derniers se réfugiant au fond de l’eau, seuls les petits poissons qui migrent vers les rives sont capturés et mis sur le marché.

Les normes règlementaires exigées pour la capture des poissons…

La Direction de la production halieutique (Dph), structure sous-tutelle du Ministère en charge de la pêche ne reste pas indifférente face à la situation. Ainsi, conformément à la loi-cadre N° 2014-19 du 07 Août 2014 relative à la pêche et à l’aquaculture en République du Bénin, des tailles de première maturité ont été fixées pour chaque espèce de poissons. « Il faut nécessairement que la taille des poissons qui doivent être capturés soit supérieure  à celle de première maturité. Les tailles sont spécifiques mais également écosystémiques parce que la taille de la première maturité varie d’une espèce à une autre. Compte tenu des conditions environnementales, des informations ont permis de déterminer ces tailles minimales» clarifie le Cspca, Eugène Dessouassi. Ainsi, on est au moins certain que le poisson s’est reproduit déjà une fois lorsqu’il est capturé après l’âge de première maturité.

Taille de première maturité de quelques espèces de poissons

ESPECES PLANS D’EAU L50 (cm)
Sarotherodon melanotheron Ahémé F 7,4
M 6,7
Nokoué F 9,1
M 8,9
Tilapia guineensis Lac Ahémé F 5,9
M 6,6
Lac Nokoué F 8,2
M 7,5
Hemichromis fasciatus Ahémé F 9,7
M 9,1
Nokoué F 8,1
M 8,3

 

 

         Inexistence de chiffres relatifs à la capture des fretins au Bénin….

Aucune statistique n’est disponible en ce qui concerne la commercialisation des poissons immatures en période de crue au Bénin. Inadmissible ! Les autorités compétentes tentent quand même de se justifier. « Le système est pensé et il y a un problème de moyens qui se pose en ce qui concerne la collecte des statistiques. On dit souvent que les statisticiens sont budgétivores. Depuis 2012, l’Uemoa nous aide à mettre en place ce système de collecte de données statistiques mais la Direction en charge de la pêche rencontre de sérieuses difficultés financières pour faire face à l’entretien et au fonctionnement au quotidien du système.  C’est ce qui relève de la part de l’administration. Par rapport au monde pêcheur, le pêcheur n’aime pas qu’on comprenne le fond de sa capture, ses revenus. Il peut collaborer jusqu’à un certain niveau car il sait que ces poissons sont sous le coup de la règlementation » affirme le Chef service pêche continentale et aquaculture à la Dph. Et à Arsène Fortuné d’Almeida de renchérir : « Dans un petit village où les gens vont pêcher sans qu’il n’y ait un mécanisme ni de débarcadères bien définies pour permettre de contrôler les produits, la biomasse totale, le poids des espèces capturées, Il sera difficile d’avoir des chiffres. Car chaque pêcheur sort par où il veut. Prenons l’exemple du Burkina Faso où il y a des débarcadères. Lorsque le pêcheur revient de la pêche, il sait qu’il doit passer impérativement par ces débarcadères. Ainsi, on peut alors voir la biomasse qui est pêchée et autres. Ce qui n’est pas le cas chez nous au Bénin. L’application de nos textes n’est pas encore effective pour plusieurs raisons.»

        Des mesures subséquentes ont été pourtant prises….

L’adoption de la loi-cadre N°2014-19 du 07 Août 2015 relative à la pêche et à l’aquaculture en République du Bénin par l’Assemblée Nationale en sa séance du 06 juin 2014 devra contribuer au renforcement de la lutte contre la capture des poissons immatures au Bénin. La présente loi-cadre détermine le régime de protection, de gestion, d’utilisation et de mise en valeur des ressources halieutiques dans les eaux

sous juridiction béninoise et ce, conformément aux conditions d’une gestion intégrée

des ressources en eau. « De point de vue volonté politique et juridique, le cadre est déjà lancé. Les décrets d’applications de la loi sont déjà introduits en Conseil des ministres. On attend toujours la prise des décrets. Nous avons cependant un système constitué des postes de contrôles le long de l’itinéraire des pêcheurs. Nos agents, au niveau déconcentré, avec le concours des forces de sécurité font des inspections dans les marchés et les véhicules de transport de produits afin que ces poissons immatures soient confisqués et remis aux autorités compétentes. Il y a la Direction de la police des pêches qui s’occupe de cela déjà. Autrefois, on n’avait pas une loi qui nous permettait d’opérer. On fonctionnait sur la base des ordonnances et des arrêtés. Donc la saisie des poissons se faisait dans une certaine limite. Dès la prise des décrets d’application, la lutte sera beaucoup plus hardie » fait savoir Eugène Dessouassi. Pour Arsène d’Almeida, il faudra, avec l’appui des partenaires techniques et financiers, créer de nouvelles activités génératrices de revenus dans ces localités afin de faciliter la règlementation du secteur.

 

Pêcheurs et vendeuses de poissons donnent leur part de vérité

Aguiah Philomène, vendeuse de poisson : Notre commerce est beaucoup plus rentable lorsque la crue se fait rare car les pêcheurs font une bonne moisson et nous revendent les poissons à des coûts abordables. Mais lorsqu’il y a élévation du niveau de l’eau, nous ne comprenons plus rien. Seuls quelques poissons immatures se retrouvent dans nos paniers et nous les vendons à peine.

Houékin Virginie : quand il y a la crue, le commerce est parfois rentable car il arrive que la période soit fructueuse aux pêcheurs. Mais généralement lorsque la crue s’installe, les poissons se réfugient au fond de l’eau et nous commercialisons uniquement des fretins.

Marcel Avah, pêcheur : Dès les premiers moments de la crue, les poissons sont difficiles à capturer. On les trouve presque plus. Mais lorsqu’elle dure plus d’un mois, les poissons commencent à refaire surface mais il est toujours difficile de faire une pêche fructueuse. Mais quand elle commence par se retirer, nous faisons de très bonnes parties de pêche car les poissons ont eu le temps de se reproduire en masse. Actuellement, la crue vient de se retirer et les poissons sont disponibles.

Honfo Simon, pêcheur : c’est quand la crue arrive en force que nous faisons une bonne pêche. La crue ne nous est pas favorable mais elle permet à la faune aquatique de se reproduire et après son départ, on en tire profit. Nous capturons beaucoup de fretins en ces périodes puisque nous n’avons pas le choix.

Réalisation : Aziz BADAROU

[1] Trewartha (1962)

[2] Bokonon-Ganta (1987): Les climats de la région du Golfe du Bénin. Thèse de Doctorat du 3ème cycle. Institut de Géographie, Université de Paris Sorbonne, Paris, 248 p + annexe.

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