Doit-on parler de kidnapping ou d’arrestation du Frère HOUNVI au regard des faits décrits ?

En droit pénal, l’arrestation, c’est le fait d’appréhender une personne afin de la faire comparaitre devant l’autorité judiciaire ou carrément à des fins d’incarcération ou de détention. Cette action peut être menée, en cas de nécessité, par la force.  En revanche, le kidnapping est l’enlèvement illégal d’une personne contre sa volonté afin d’en tirer un profit, un avantage.

Sur cette base, l’on va retenir que dès lors que l’opération est menée par la puissance publique avec l’onction de l’autorité judiciaire, l’action est censée revêtir le sceau de la légalité. Il ne peut donc s’agir que d’une arrestation. Seulement qu’il faudra faire attention. Avant de pouvoir parler d’arrestation aux yeux de la loi, il y a des conditions à respecter. Il s’agit, conformément à l’article 70 et suivants du code de procédure pénale, de la nécessité d’un mandat qui peut être un mandat d’amener, de comparution ou d’arrêt exécuté dans les conditions légales.

Dans l’affaire Steve AMOUSSOU alias Frère HOUNVI, il est difficile de dire à l’étape actuelle de la procédure qu’il existe un mandat d’arrêt ou même un mandat d’amener. Tout laisse croire qu’il n’y en a pas. Mieux, le sieur Steve AMOUSSOU alias Frère HOUNVI vivant depuis peu hors du territoire national précisément à Lomé, même dans un cas de flagrant délit, la procédure de son arrestation ne peut être activée que par la délivrance d’un mandat. Et dans ce cas, son arrestation ne peut être faite que par les autorités togolaises qui doivent être préalablement saisies par la justice béninoise par l’entremise du Ministère des affaires étrangères.

A la suite de ladite arrestation, l’intéressé devra être extradé au Bénin en tenant compte des règles internationales et de coopération entre les deux États. Les informations actuelles ne permettent pas de dire que c’est ce qui s’est passé. Des sources non négligeables révèlent plutôt qu’il s’agit d’une opération menée en terre togolaise par la police ou les agents de renseignement béninois. Au cas où il existerait un mandat d’arrêt international contre le sieur Steve AMOUSSOU, la question qui se pose c’est de savoir si les accords de coopération entre le Bénin et le Togo le permettent.

Bénéficiant d’un statut de réfugié selon nos informations, est-il possible d’interpeller un tel citoyen dans le pays d’accueil comme cela a été fait ?

Une personne jouissant du statut de réfugié est sous la protection des Nations Unies par l’entremise du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Mieux, les États ayant ratifié la convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés ont des obligations vis-à-vis des réfugiés vivant sur leurs territoires tandis que les réfugiés sont aussi astreints à des obligations contenues tant dans la Convention que dans les lois nationales de chaque État. Dès lors, il faudra suivre les exigences de la Convention et de la loi togolaise sur les réfugiés.

Mais il faut faire remarquer que le fait d’avoir le statut de réfugié n’est pas un sésame à la commission des infractions, car la personne jouissant de ce statut peut se voir expulsée lorsqu’elle devient un danger pour la sécurité de l’État d’accueil. Tel n’est pas le cas du sieur Steve AMOUSSOU. Toute la nuance est là. Sans les éclaircissements venant du Togo, il serait difficile d’opiner objectivement. Les deux équations connues, selon les informations, sont que le Frère HOUNVI a été pris au Togo pour le Bénin par des agents béninois et qu’il faisait ses chroniques depuis le Togo. Tout le reste mérite de mettre des gants.

Peut-on voir une certaine complicité à travers le silence des autorités togolaises ?

En l’absence de plus amples informations de la part des autorités du Bénin et du Togo, il serait hasardeux de conclure à une complicité entre les deux États même si tout semble confirmer cette thèse qui est agitée dans l’opinion. Le Togo n’étant pas un quartier du Bénin, il est inimaginable qu’un pays puisse mener une telle opération sur son territoire sans un minimum de coopération, d’information préalable, surtout que l’opération a eu lieu à environ 60 km à l’Ouest de Lomé, selon les informations disponibles et qui restent à confirmer.

Même si entre Lomé et Cotonou, les relations semblent ne pas être au beau fixe, il serait illusoire de croire qu’il y a une totale rupture entre les deux pays qui sont appelés à coopérer sur divers plans dans l’intérêt des deux peuples et de la sous-région. Mieux, oser une telle opération digne d’une exfiltration sur le territoire d’un autre État sans son aval relèverait d’une intolérable provocation, d’une agression. A la décharge des autorités béninoises, il faut croire qu’elles n’ont pas osé s’embarquer dans une telle aventure. Mais le simple fait de savoir que, tout est possible sous le soleil, pousse à rester sur ses gardes. Le Togo peut ne pas avoir été informé, et si tel est le cas, c’est que même le Président Togolais n’est pas en sécurité, ses renseignements seraient défaillants.

Le Togo, par respect à son peuple, au droit fondamental à l’information du peuple togolais, a intérêt à informer l’opinion sur les contours de cette opération. Le silence des autorités ne rassure ni les Togolais et Togolaises, ni les ressortissants des autres États qui vivent sur le territoire togolais et qui se sentent depuis peu en insécurité.

Comment expliquez-vous également le silence des organismes internationaux protégeant les réfugiés politiques ?

Les organismes internationaux, de coutume, ne font pas dans de l’ingérence. Ils dénoncent ou font des recommandations aux États dès qu’ils sont saisis ou ont des informations suffisantes faisant état de graves violations des droits humains ou encore du droit international humanitaire. Il faudrait alors se demander si ces organisations internationales sont déjà saisies. Selon les propos de certains acteurs, l’Organisation des Nation unies serait déjà saisie. Si cela est vrai, l’organisation pourrait réagir dans les jours ou semaines à venir conformément à la pratique en la matière. Les organisations concernées n’agissent pas nécessairement selon la méthode des activistes politiques.

Ce que la plupart déplorent, à tort ou à raison, à l’étape actuelle, c’est plutôt le silence des Organisations Internationales Non-Gouvernementales et Organisations Non Gouvernementales qui accompagnent les Agences onusiennes et l’État dans la protection des droits de l’Homme particulièrement les droits des réfugiés. Il faut noter qu’en l’absence d’informations suffisantes, il serait difficile pour ces organisations de se prononcer. Les quelques rares organisations qui prendraient le risque de se prononcer resteraient superficielles.

Quelle analyse globale faites-vous de la situation et du débat autour ?

Certes, les Béninois sont habitués à des arrestations spectaculaires de figures non négligeables, mais celle du sieur Steve HOUNVI a la particularité d’avoir eu lieu au Togo, en territoire étranger, par des agents béninois, selon les informations qui restent à confirmer. Aucune information n’a circulé avant l’opération de Lomé.

A l’analyse, il se dégage, d’abord, la nécessité pour toute personne qui s’engage dans le militantisme citoyen ou politique, dans une profession de toujours agir dans le cadre des règles en vigueur tant dans son État que dans son État d’accueil. Même si l’on n’est pas en phase avec la gouvernance actuelle, il est important de trouver la formule pour se conformer aux règles en attendant de trouver la stratégie de retour aux principes de démocratie et d’État de droit. Les législations dans les pays et particulièrement au Bénin sont rigides en ce qui concerne la jouissance des libertés. Le cadre légal béninois d’exercice des libertés est extrêmement restrictif n’est toujours pas mis en conformité avec le standard international des droits humains malgré les dernières recommandations issues de l’Examen Périodique Universel.

L’autre leçon, c’est la manifestation de dépit, du dégout des Béninois pour la chose politique ou encore pour le militantisme. Toujours trahis par les acteurs politiques, les Béninois semblent ne plus être prêts à se sacrifier pour prétendre défendre des individus ou idéaux. Les évènements de 2019 et 2021 sont toujours présents dans les tètes. C’est un signe éloquent du désir de nombreux Béninois à trouver une autre alternative aux deux camps qui s’affrontent depuis des années sur le landernau politique, car en réalité, tous ceux qui refusent de soutenir Steve HOUNVI ne sont pas de la majorité présidentielle. A cette remarque, il faudrait ajouter le caractère osé, trop osé et peut-être diffamatoire des chroniques de l’intéressé.

Au delà de ces leçons, du point de vue de la procédure pénale, il y a assez d’irrégularités. De nombreuses dispositions du code de procédure pénale sont transgressées. Hormis la difficulté à comprendre les fondements juridiques de l’opération de Lomé, il y a qu’une fois à Cotonou, si c’est sur la base d’un mandat d’arrêt que le sieur Steve AMOUSSOU a été pris, il devrait être conduit directement dans une maison d’arrêt conformément à aux articles 132 et 139 du code de procédure pénale. Dès lors que cette règle n’a pas été observée puisqu’il serait gardé à la Brigade Économique et Financière, il faut arpenter la piste d’un mandat d’amener. Plus loin, après huit jours de garde à vue, il n’a pas pu être présenté et n’est pas non plus déposé.

Au-delà de ces éléments d’analyse, il sied de noter que l’arrestation, à ce moment, du Frère HOUNVI qui a longtemps perturbé le sommeil de nombreux à commencer par le Président de la République, peut être une arme politique, une stratégie pour entretenir davantage la peur, la psychose. Cette peur s’est d’ailleurs installée chez de nombreux Béninois. Cela n’honore par le pouvoir, car il est perçu comme un léviathan qui écrase. Mais cela ne voudrait pas dire que le Frère HOUNVI n’a pas fait preuve de zèle, d’exagération dans ses chroniques. Le plus important à l’heure actuelle, c’est que la justice béninoise fasse preuve d’impartialité, d’indépendance et de respect des droits de la défense. Ce n’est pas impossible.

 

Propos recueillis par Aziz BADAROU

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