Home Bénin Autisme : Dans l’univers des enfants dits ‘’sorciers ou envoûtés’’

Autisme : Dans l’univers des enfants dits ‘’sorciers ou envoûtés’’

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-Sœur Paulette Guedou « Avant qu’un enfant ne soit déclaré autiste, c’est à l’issue d’un bilan pluridisciplinaire »

 

-Le gouvernement a vu juste à travers le Projet d’appui…

 

-Témoignage glaçant de Julia Bada, mère d’enfant autiste

Centre de santé à vocation humanitaire (Csvh) Sainte Elisabeth de la trinité des sœurs. Nous sommes dans la commune d’Abomey-Calavi. La sœur Paulette Guedou, Dr orthophoniste nous reçoit. Et avec elle, nous embarquons dans l’univers de l’autisme. Qu’est-ce que l’autisme ? Quand dit-on qu’un enfant est autiste ? La moisson est bonne et c’est au travers de cette interview…

Matin Libre : Bonjour Dr. Merci de nous recevoir. L’intérêt de cette entrevue nous vient du récit d’une mère dont l’enfant est autiste. Durant des années, elle a fait le tout pour le tout ; le tour des cliniques et hôpitaux pour voir son enfant guérir mais rien n’y fit. Son enfant à l’écouter, ne supporte pas le bruit, la présence d’autres personnes non plus.  A chaque fois que c’est le cas, il ne cesse de crier, de pleurer. Il a même marché sur la pointe des pieds. A 7ans, il ne parle toujours pas… On parle d’envoûtement, de sorcellerie aussi…Le tableau peint est accablant. D’où, notre démarche pour mieux comprendre. C’est quoi l’autisme svp Dr ?

Dr Paulette Guedou : Merci. Déjà, je ne crois que ce soit de l’envoûtement ou que l’enfant soit un sorcier. Sur le plan scientifique, il faut souligner qu’avant qu’un enfant ne soit déclaré autiste, c’est à l’issue d’un travail pluridisciplinaire. Ce n’est pas l’affaire d’un seul spécialiste. Déclaré qu’un enfant est autiste signifie que le neuropédiatre, le pédopsychiatre, le kinésithérapeute, le pédiatre, l’orthophoniste, l’ORL, etc, après avoir consulté cet enfant, s’accordent à dire qu’il est effectivement autiste.

L’enfant autiste signifie que tous les spécialistes ont déjà fait valoir leur point de vue. Si le tour n’est pas fait, alors on dira plutôt de l’enfant, qu’il a des traits autistiques. Et en termes d’âge, c’est autour de 2 à 3 ans qu’on peut détecter ou suspecter l’autisme. Ceci, au travers des comportements de l’enfant.

L’enfant régresse dans le développement des compétences engagées. Il cesse de jouer avec ses pairs, lui qui était sociable ; se renferme ou se retire quand il y a du monde. Par ailleurs, au lieu qu’il évolue dans la formation des phrases, il ne prononce juste que des mots dorénavant puis après, rien du tout si ce ne sont que des cris. Au niveau de l’orthophoniste, il y a trois éléments qui nous permettent de dire que l’enfant à des traits autistiques. Il y a le comportement, l’intégration au niveau social et le langage.

  Les traits autistiques diffèrent d’un enfant à un autre. Je peux avoir tel comportement chez cet enfant, alors que chez l’autre, je ne l’ai pas. On ne peut pas comparer les traits d’un enfant à un autre. Ils ont des éléments communs mais il y a des traits qui leur sont particuliers. Par exemple, le fait d’être sensible au bruit, la plupart du temps, c’est général. La plupart des enfants qui ont des traits autistiques sont hyperactifs. Mais ça peut ne pas être le cas. Il peut s’agir de marcher sur la pointe des pieds.

Tous ne font pas ça. Cela dépend de la sensibilité de chaque enfant. Il y en a qui sont toujours en couche, qui sont dépendants, qui ne sont pas propres. D’autres non. Mais ça ne suffit pas pour qu’un seul spécialiste dise que cet enfant est autiste. Il y a beaucoup de paramètres. Il y existe deux principaux types d’autisme. Il y a l’Asperger : le coefficient intellectuel de l’enfant est plus élevé que la normale, et l’enfant dont le coefficient intellectuel est inférieur à la norme. Après, on observe les comportements, la sociabilisation et le langage. En fait, tout dépend des domaines qui sont affectés chez l’enfant. Et, c’est en fonction de cela qu’on élabore un projet thérapeutique pour répondre à ses besoins.

Je suppose donc que si un parent vient vous voir avec son enfant qui a des traits autistiques, après consultation, vous l’enverrez vers d’autres spécialistes. C’est bien cela ?

Je verrai si le parent a les moyens. S’il en a, s’il peut le faire, c’est bien. S’il n’a pas les moyens, les difficultés de l’enfant, c’est là-dessus qu’il faut travailler d’abord pour voir si l’enfant peut retrouver ses potentialités. Il ne faut pas chercher à faire dépenser inutilement les parents. S’il y a une structure qui aide à financer pour que les parents puissent voir le neurologue, le pédiatre, etc, d’accord. Mais si le parent n’a pas les moyens, nous essaierons de voir la difficulté de l’enfant et d’y travailler.

Et ça marche ? les enfants guérissent ?

Oui. Tous ceux que j’ai reçus jusqu’à présent, et dont les parents acceptent de suivre mes consignes, s’en remettent.

Et qu’est-ce qui peut expliquer la survenue de l’autisme ? Est-ce parce que pendant la grossesse, il y a eu des malformations ? Peut-être que la mère n’a pas bien suivi les consignes du médecin, ou peut-être que son alimentation pendant sa grossesse en est pour quelque chose… Bref, qu’est-ce qui peut-être la cause de l’autisme svp Dr ?

Scientifiquement, on ne saurait le dire. C’est vrai que la maman court beaucoup de risques lorsqu’elle est en état de grossesse. La santé de l’enfant étant fragile aussi, beaucoup de choses peuvent se passer mais scientifiquement, aucune étude n’a confirmé qu’au cours de la grossesse, les causes de l’autisme sont là. Jusque-là, il n’y a pas une cause qui soit vraiment détectée.

Même au niveau neurologique, aucune cause. On fait tous les examens et tout semble normal mais toujours est-il que l’enfant a des ennuis. Au niveau de ces enfants qui ont des traits autistiques, on remarque qu’ils sont pour la plupart sélectifs dans le repas. Ils préfèrent les aliments synthétisés, le gluten (lait, riz, pâtes alimentaires, sucreries, friandises) ce qui agit sur leur microbiote. Les recherches ont prouvé que leur microbiote diffère de celui de l’enfant dont l’alimentation est riche en fruits et légumes.

Ces enfants sont plus ouverts. Leurs potentialités sont révélées et quand on travaille avec eux, leur assimilation est plus rapide contrairement à ceux dont le microbiote est bourré d’aliments L’autre aspect non négligeable, ce sont les écrans : tablette, téléphone, télévision, etc. Quand, très tôt, ils sont mis à la disposition de l’enfant, on constate qu’il développe des traits qui s’apparentent aux traits autistiques. Est-ce qu’il faut le mettre dans le cas des enfants autistes, je ne saurais le dire puisque ce qui m’importe, c’est de travailler sur les difficultés de l’enfant de sorte à ce qu’il retrouve vite ses potentialités.

 

Les écrans ? Quel est le rapport ?

L’enfant, c’est un petit. Ses neurones sont en effervescence pour comprendre, pour apprendre. Et tout ce qui est écran, suppose qu’il y a une barrière. Au lieu d’agir avec son cerveau, il ne fait qu’enregistrer. Ainsi, il ne fera que répéter ce qu’il voir faire alors qu’arriver à l’école, ce n’est pas une continuité de ce qu’il regarde à travers les écrans. Et la conséquence est que, par rapport aux compétences, l’enfant habitué aux écrans, même quand il dort, son cerveau est en état de veille, son sommeil n’est pas profond. L’enfant est appelé à apprendre.

Mais avec l’écran, qu’apprend-t-il ? Il faut donc se poser des questions. Il n’est pas normal qu’en bas âge, un très jeune enfant soit exposé à l’écran pendant des heures. A trois ans, il est normal qu’il ait un comportement très similaire à celui d’un enfant autiste. Un enfant exposé à l’écran, vous le constatez avec son attitude de vie. Il parle, il raisonne, mais au fond, ce n’est pas profond. Et quand on considère son âge, par rapport à ce qu’il fait, on remarque qu’il y a un écart. Vous parlez à l’enfant, il revient quelques minutes plus tard, oubliant vos instructions. Ceci, parce que son cerveau n’a pas appris à garder, mais c’est un enregistreur. Malheureusement, de nombreux parents ne le savent pas.

Que proposez-vous ?

L’essentiel pour un enfant, c’est le jeu et la présence d’une personne comme lui, qui va lui apprendre, qui va l’initier. Mais quand il est mis à l’écran, quand il n’a pas été moulé dans le jeu, dans le rituel de la belle-mère (chants, danses…), qu’est-ce que ça va lui donner après ? Cela ne peut rien lui apporter. L’enfant est appelé à jouer avec ses parents, ses pairs. Et puis, en termes d’alimentation qui va résoudre le problème, les fruits et légumes ne se consomment plus comme avant, et même s’ils sont consommés, ils sont de moins en moins naturels. Néanmoins, il est important de les consommer.

Et pour un parent qui remarque les traits autistiques chez son enfant, quels conseils pouvez-vous lui donner ?

 

Le mieux, c’est de voir l’orthophoniste. C’est aussi simple que ça. Mais, il vaut mieux prévenir que guérir. Il vaut mieux ne pas en arriver-là. Car, c’est à force d’une longue période de rééducation, qu’on obtient le résultat. Et il faut une grande attention au niveau des parents. Et c’est bien de proposer aux mamans qui ont de nouveau-nés, de petits enfants, d’être elles-mêmes moins exposées aux écrans. Qu’elles soient à l’écoute de leur enfant et lui accordent du temps.

Combien de temps dure le traitement de l’autisme ?

Cela dépend d’un enfant à un autre puisque ce n’est pas la même difficulté qu’on observe chez eux tous. Ce n’est pas la même intensité. A mon niveau, le traitement dure au moins un an. Pour que je sois sûre d’avoir fait un travail minutieux. Mais quand je dis un an, ce n’est pas tous les jours. Au début, nous travaillons tous les jours. Ensuite, nous commençons à le faire quatre fois par semaine et progressivement nous éliminons les jours. Nous le faisons trois fois, deux fois, une fois. Toutes les deux semaines et puis, on reste en contact avec les parents, pour voir comment ça évolue.

Quand un enfant est déclaré autiste, quelles sont ses chances de guérison ?

Il existe des systèmes que nous pouvons utiliser. Un système de travail que nous mettrons en place, comme un chronogramme par exemple. Et si l’enfant est très jeune, quand je dis jeune, je veux dire 2 ou 3 ans, alors c’est bien. Nous avons plus de chance de le récupérer. Mais si on attend 10 ans, quand l’enfant aura 10 ans que pouvons-nous faire ? Nous ne pouvons que réduire les difficultés. Je ne peux pas garantir que l’enfant trouvera tout son potentiel pour devenir comme un enfant tout venant. Car, plus on prend ses responsabilités tôt, plus on a des résultats. Plus tôt on fait la prise en charge, plus tôt on a de la récupération. Les enfants entre 2 et 4 ou 5 ans, on peut travailler jusqu’à ce que les difficultés disparaissent. Maintenant, il y a aussi que les parents n’ont pas la patience d’aller jusqu’au bout. C’est une question de sacrifice. Lorsque nous leur donnons des conseils, ils pensent que ces conseils sont largement suffisants. Et donc, en bon Béninois, on se dit, elle m’a donné les éléments, donc ça suffit. Et désormais, on laisse l’enfant à la maison. Et après un temps, on revient, comme quoi, ça a échoué. Alors que le temps qu’on a pris pour être à la maison, on aurait gagné ce temps en rééducation et le problème aurait été résolu.

Svp Dr, lorsque l’enfant est déclaré autiste, chaque spécialiste a-t-il son propre travail à faire avec cet enfant ? Si un enfant est déclaré autiste, l’orthophoniste seul ne peut-il pas le prendre en charge ?

 

En soi, si un enfant est déclaré autiste, l’orthophoniste seul ne peut pas s’occuper de lui. Je ne pense pas. S’il a besoin d’autres spécialistes, pourquoi l’en priver ? L’orthophoniste sait les points sur lesquels il peut dire que l’enfant est autiste et c’est ce sur quoi, il travaille. Au-delà de ça, il ne sait pas ce que le neurologue fait de l’enfant.

Avec l’orthophoniste, il y a le langage, le raisonnement, l’attention, la concentration. C’est tout un tas de choses. Tout ce qui est lié au cerveau, à la communication ou à la capacité d’avaler ou de trouver une bonne voix. C’est ce qu’est l’orthophoniste. C’est un domaine assez vaste. Assez large. Et nous ne travaillons pas de manière fermée. Nous travaillons avec de nombreux spécialistes.

Plus haut, vous avez dit qu’avant que l’enfant ne soit déclaré autiste, il faut un travail pluridisciplinaire qui en appelle à plusieurs spécialistes. Je suppose que tant de spécialistes, c’est assez d’argent…

Non seulement l’argent, mais les parents sont déçus. Parce que quand on vous dit que votre enfant est autiste, ce n’est pas facile pour un parent d’entendre ça. Alors je préfère dire au parent, l’enfant a des difficultés. L’enfant présente des traits autistiques. Ici, c’est amorti, donc on peut y travailler. La plupart des cas qui nous sont parvenus, lorsque nous parlons d’enfants autistes, ce sont des enfants qui ont des traits autistiques.

Une séance coûte combien dans votre Centre et comment se passe-t-elle ?

Dans notre Centre, une séance coûte 4 000 F Cfa. Au cours des séances, nous permettons aux parents d’être là et d’assister. Ceci, pour qu’ils comprennent les difficultés de l’enfant. Donc, à chaque séance, le parent voit l’évolution. S’il n’est pas présent, il peut se faire remplacer. Mais, toujours est-il qu’il suit. Et comme, il y a un chronogramme à la maison et un plan de travail proposé à suivre, si le travail que je demande se fait à la maison, je le sais. Parce qu’en retour, c’est que le comportement de l’enfant change.

Nous allons conclure

Déjà, j’invite les parents quand ils constatent des dysfonctionnements, de ne pas prendre du temps, d’aller vite en consultation. La deuxième chose, c’est de chercher à communiquer avec leur enfant et au niveau de l’alimentation, privilégier les fruits et légumes. Ils sont beaucoup conseillés le matin. Ils permettent de mieux oxygéner le cerveau de l’enfant. Par ailleurs, il faut éviter les écrans et privilégier les jeux. Merci.

Propos recueillis et transcrits par Fifonsi Cyrience KOUGNANDE

Appui à la prise en charge intégrée des enfants autistes : le gouvernement a vu juste

Etre le parent d’un enfant autiste n’est pas chose aisée sous nos cieux. C’est beaucoup de contraintes, de dépenses, de sacrifices dans l’espoir de voir son enfant se remettre de cet handicap. Dans une interview réalisée sur l’autisme avec Sœur Paulette Guedou, Dr orthophoniste au Centre de santé à vocation humanitaire (Csvh) Sainte Elisabeth de la trinité des sœurs, elle a confié qu’une séance coûte 4000 F Cfa dans ledit Centre. Une somme qui, ailleurs, est doublée voire plus. Et là, ce n’est que l’orthophoniste et le traitement peut durer plus d’un an.

« Cela dépend d’un enfant à un autre puisque ce n’est pas les mêmes choses qu’on observe chez eux tous. Ce n’est pas la même intensité. A mon niveau, le traitement dure au moins un an… Mais quand je dis un an, ce n’est pas tous les jours. Au début, nous travaillons tous les jours. Ensuite, nous commençons à le faire quatre fois par semaine et progressivement, nous éliminons les jours. Nous le faisons trois fois, deux fois, une fois. Toutes les deux semaines et puis, on reste en contact avec les parents… », explique Dr Paulette Guedou. Tout ceci, sans oublier les autres spécialistes dont il faut aussi payer les séances de rééducation, l’autisme nécessitant un travail pluridisciplinaire. « Déclaré qu’un enfant est autiste signifie que le Neuropédiatre, le pédopsychiatre, le kinésithérapeute, le Pédiatre, l’Orthophoniste, l’ORL, etc, après avoir consulté cet enfant, s’accordent à dire qu’il est effectivement autiste », fait observer Dr Paulette Guedou.

En décidant donc du Projet d’appui à la prise en charge intégrée des enfants autistes au Bénin qui d’ailleurs est entré dans sa phase pilote en Juin dernier, le gouvernement du président Patrice Talon aura donné un véritable coup de maître. Une décision sociale et salvatrice qui ne peut que soulager les parents dont les enfants sont autistes. « En général, c’est une bonne initiative de chercher à aider les parents pour l’épanouissement des enfants », a confié Julia Bada, mère d’enfant autiste. Ce projet qui sera mené dans les communes de Cotonou et d’Abomey-Calavi, sur financement du budget national, faut-il le rappeler, consiste à soutenir la prise en charge socio-sanitaire et scolaire des enfants présentant des symptômes du spectre autistique et le renforcement des capacités des professionnels dans le domaine de l’assistance aux personnes handicapées à grands besoins de soutien. Il ne reste qu’à souhaiter qu’il connaisse un franc succès dans sa mise en œuvre et qu’il s’étende à toutes les communes du Bénin.

Soulignons que l’autisme se manifeste entre autres, par des troubles de la communication, des comportements à caractère répétitif, une forte résistance au changement. L’enfant autiste est aussi souvent sensible aux sons, à la lumière, et au toucher.

 

Cyrience Fifonsi KOUGNANDE

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