L’opinion nationale du Bénin par toile interposée, a réagi à la nomination de l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats Jacques Migan, comme jamais suite à la promotion d’un acteur politique de la majorité présidentielle aux côtés du chef de l’Etat Patrice Talon.
A raison, puisque l’homme de droit et membre du Bureau politique du Bloc Républicain, au-delà de s’être illustré dans un combat presque solitaire depuis 2016 par sa présence sur tous les fronts pour défendre l’action du gouvernement de la Rupture, il a, du haut de son profil de juriste de renom, pris le risque de se faire chantre du troisième mandat au Bénin, à visage découvert. Cela lui a valu une impopularité traduite par un recours devant la Cour Constitutionnelle qui a déclaré qu’il n’a pas violé la Constitution.
C’est sur une émission de la chaîne Esae Tv du 12 mars 2023 que l’avocat Jacques Migan avait ébranlé un pilier sacro-saint du système constitutionnel béninois, la limitation à deux au maximum d’une vie, du nombre de mandats d’un président de la République : « Quand vous rencontrez les citoyens dans les quartiers, les villages, leur préoccupation aujourd’hui, c’est comment faire pour maintenir Patrice Talon aux responsabilités, comment faire pour qu’il continue l’œuvre qu’il a commencée. » Suite aux nombreux recours introduits devant la Cour constitutionnelle aux fins de déclarer ses propos contraires à la Loi fondamentale, les Sages avaient tranché par une décision du 22 juin 2023, indiquant qu’il n’a pas violé la Constitution. L’ex président de la même Cour le professeur Théodore Holo était d’ailleurs sorti de sa réserve pour dire que Me Migan est « un citoyen libre de ses opinions mais en tant qu’élite et membre d’un parti politique, il ne contribue pas à l’éducation des citoyens en montrant l’utilité de l’alternance pour pacifier la vie politique. » Même s’il avait à la suite de ce verdict reprécisé que ses propos avaient été sortis de leur contexte par le journaliste Aboubakar Takou et le chroniqueur Distel Amoussou son camarade de parti, Me Migan est resté le champion du 3è mandat dans l’imaginaire collectif des Béninois.
Presqu’un an après avoir eu grâce auprès de la Cour du Président Dorothée Sossa, cette nomination est certes venue récompenser sa pugnacité politique mais dans un contexte de fin de tournée de reddition de comptes du gouvernement au cours de laquelle la vice-présidente Talata accompagnée de ses copains de l’Upr, a joué à l’accordéon du 3è mandat. C’était de réunions de conseillers communaux avec les préfets de chaque département pour remercier le chef de l’Etat d’avoir réalisé des merveilles inédites depuis l’indépendance de notre pays. Sous la direction d’Abdoulaye Bio Tchané qui avait déjà annoncé les couleurs en organisant un rassemblement Nonvitcha de pentecôte au pied de la statue de l’Amazone avec une foule de jeunes et d’acteurs politiques du même Bloc républicain qu’il dirige, cette tournée nationale de reddition de comptes a plutôt été une caravane de messes de louanges à la gloire de Patrice Talon. Une telle résurrection du culte de la personnalité a rivalisé avec les pitreries et les plus piteux moments d’un règne qu’on croyait révolu, où des pères et mères de famille se mettaient grossièrement en scène, tous sens de la mesure et de la honte avalés, pour mériter leur pitance.
Que la promotion de Me Jacques Migan intervienne dans un tel contexte a donc de quoi résonner comme le balisage en cours d’un front favorable à la corruption de la Constitution. Puisque le nouveau promu a en charge la prévention de la corruption, on est en droit d’espérer qu’il sera lui-même le premier citoyen concerné par son Haut-commissariat surtout que les réformes du président Talon ont déjà fait le trop plein de structures et organes en charge de la corruption. Car la corruption à prévenir par Me Migan ne devrait pas se réduire à celle des policiers, caissiers et autres gagne-petit, mais surtout à ceux qui, par tripatouillages intellectuels et manipulations des lois de la République, poussent le pays à frôler les extrémismes politiques les plus inimaginables. Le nouveau Haut-Commissaire devrait donc par ses comportements et sorties, convaincre les populations que le contenu opérationnel de cette sucette taillée sur mesure pour remercier un fidèle et infatigable soutien qu’il est, ne lui servira pas à corrompre le système politique béninois qui survit bon an mal an aux multiples réformes. Le chef de l’Etat, en le nommant a ses plus proches côtés, n’aura plus d’ailleurs l’excuse de ne pas être l’inspirateur des actes de son désormais collaborateur.
Angéla IDOSSOU