Le Congo-Brazzaville, troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, développe plusieurs projets de production de gaz naturel liquéfié. En marge du sommet Invest in Africa Energy qui se termine ce mercredi 15 mai à Paris, le ministre des hydrocarbures congolais insiste sur la nécessité de poursuivre l’exploitation des énergies fossiles pour fournir de l’énergie aux populations et pour accroître les ressources des pays africains. Entretien avec Bruno Jean-Richard Itoua.

RFI : 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité et pourtant, le continent dispose des ressources nécessaires pour être autosuffisant en énergie. Pourquoi l’Afrique ne se sort pas, année après année, de ce paradoxe?

Bruno Jean-Richard Itoua : Pendant des années, dans toute l’Afrique subsaharienne, l’électricité n’a curieusement jamais été traitée comme une priorité alors que ça devrait être la première des priorités. Tous les banquiers y compris les banquiers multilatéraux m’expliquent qu’ils ne comprennent pas pourquoi personne n’a jamais mis l’électricité à la place qui doit être la sienne alors que le potentiel est là. Aujourd’hui, il faut qu’il y ait un sursaut de conscience. Il faut comprendre que nous ne pouvons pas aller vers une transition énergétique qui mettrait encore plus en péril l’accès à l’électricité pour les populations, pour l’économie et l’accès au gaz de ville.

Est-ce qu’il y a assez d’investissements ? On voit que certaines banques considèrent toujours les investissements sur le continent comme un risque.

Je crois qu’une bonne partie de l’Europe n’a pas une relation adulte avec l’Afrique. Quelques pays européens ont été nos colonisateurs et d’autres ne l’ont pas été mais s’inspirent beaucoup de l’attitude de ceux qui connaissent l’Afrique pour essayer de commercer avec elle. Et cette attitude est bien souvent paternaliste, malheureusement. Il faut absolument s’en exonérer et voir l’Afrique comme une terre d’opportunités. Bientôt, ce sera le continent le plus peuplé. La population est de plus en plus jeune et le niveau de vie va forcément augmenter. Ce n’est pas possible qu’il en soit autrement. C’est un vrai marché d’opportunités dans lequel il faut envisager de faire des affaires. Effectivement, l’Afrique a des besoins qui nécessitent des financements, de la technologie et des compétences. Si on se parle comme cela, on va forcément trouver des accords. C’est ce qui se passe dans le pétrole.

C’est ce dialogue que vous avez noué avec la compagnie italienne Eni pour un important projet gazier ?

Eni est venu nous voir et nous a expliqué très franchement que l’Europe fait face à un problème d’approvisionnement en gaz. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine est venu confirmer quelque chose qui était connu et structurel. Cela fait dix ans qu’Eni a compris cela et qu’ils investissent. Aujourd’hui, on a un magnifique projet gagnant-gagnant avec eux. Ils produisent du gaz naturel liquéfié et l’exportent principalement pour l’Europe. C’est le choix stratégique qu’on a fait ensemble. C’est une opportunité d’avoir des ressources en plus et de créer des emplois. On a également un autre projet avec une société chinoise qui va démarrer dans quelques mois. Cette fois, c’est ce qu’on appelle du « gaz associé ». Ils estiment qu’il n’y en a pas suffisamment pour l’export, que la Chine n’est pas demandeuse de ce gaz-là. C’est donc un projet qui est tourné vers le marché local.

Justement, vous misez beaucoup sur l’exportation. Prévoyez-vous d’utiliser ces ressources gazières pour développer une industrie congolaise avec cette énergie à bas coût ?

Nous avons premièrement décidé de mettre en place, à très court terme, un schéma directeur gazier. Il est presque prêt. Nous voulons confirmer cela par un code gazier qui devrait être examiné par le gouvernement puis par l’assemblée assez rapidement. Nous avons besoin de dialoguer un peu avec la Banque mondiale qui soutient le projet et quelques compagnies. Ce code gazier dit clairement que la priorité est au marché local et que l’on n’exportera que l’excédent. On a donc fixé des quotas de ce qui peut être réservé à l’export, avec des quantités limitées. Nous allons aussi créer une compagnie gazière congolaise. Ce ne sera pas une compagnie industrielle mais une société qui aura pour rôle de coordonner l’action nationale et gouvernementale en matière de développement gazier.

Y a-t-il bien des explorations d’hydrocarbures dans le parc naturel protégé de Conkouati ?

Je ne suis même pas sûr que tous les pays européens aient les lois que mon pays a prises en matière de protection de l’environnement, surtout pas ceux qui ont repris le charbon. Je crois que l’on n’a aucune leçon à recevoir de la part de ceux à qui nous devons les changements climatiques. Ces derniers ont industrialisé à tout-va en consommant plus qu’il ne fallait d’énergie et en consommant la mauvaise énergie. Nos lois imposent d’effectuer une étude d’impact social et environnemental avant de faire tout projet industriel et pas seulement les projets pétroliers.

Ces études sont faites par des cabinets privés, pas par l’État. Elles permettent justement de se prémunir de tout risque d’endommagement de l’environnement. Aujourd’hui, on a ce que l’on appelle des problèmes de superpositions d’usages. On a décidé de protéger une partie de notre espace en ne voulant pas de telles ou telles activités dans cet espace-là. Il se trouve qu’il y a un potentiel pétrolier. Nous discutons pour voir comment on peut rendre compatible la préservation de ce qu’on a voulu protéger et l’industrie pétrolière. Si ce n’est pas possible, on ne fera pas le projet.

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