Après la répression de la marche pacifique de protestation contre la cherté de la vie le 27 avril dernier, le préfet du département du Littoral, Alain Orounla a notifié aux confédérations syndicales, son autorisation pour la nouvelle marche projetée pour ce samedi, 11 mai 2024 à Cotonou. Si cette démarche de l’autorité préfectorale vient apaiser les esprits, elle semble à la limite dénuée de tout sens…

Par correspondance n°8/0513/DEP-LIT/SG/SCAD/SA en date du 08 mai 2024, le préfet du département du Littoral, Alain Orounla a notifié son autorisation à la marche de protestation contre la cherté de la vie, initiée par la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin), la Confédération générale des travailleurs du Bénin (Cgtb), l’Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin (Unstb) et la Confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi-Bénin).

 

Une marche prévue pour se tenir ce samedi, 11 mai 2024 dans la ville de Cotonou. Seulement, cette note préfectorale laisse pantois plus d’un et suscite moult interrogations. Et cette stupéfaction résulte du fait que le même préfet Alain Orounla ait empêché la marche du 27 avril alors que les formalités accomplies par les leaders syndicaux restent les mêmes. De ce fait, il importe de se demander ce qui justifierait alors la répression de la précédente marche alors que l’autorité préfectorale donne son quitus pour cette nouvelle marche bien que les formalités administratives accomplies n’aient pas changé.

Le préfet a-t-il finalement cédé face à la pression et la détermination des travailleurs ? En effet, dans un communiqué rendu public jeudi, 25 avril 2024, le préfet du département du Littoral, Alain Orounla avait invité les confédérations syndicales, initiatrices de la marche à se conformer aux textes en vigueur en “formulant à l’endroit des autorités compétentes, une demande d’autorisation en bonne et due forme et ce, dans le délai règlementaire“. Si l’autorité préfectorale avait confirmé avoir reçu une correspondance portant en objet “déclaration de marche publique pacifique“, elle a exigé cependant, une autorisation au préalable.

“Les Organisations initiatrices informent l’ensemble de l’opinion publique et les travailleurs que les formalités administratives ont été bel et bien accomplies auprès de la mairie de Cotonou, de la Préfecture du Littoral, de la police républicaine à travers la Direction départementale de la police républicaine du Littoral et le Commissariat central de la ville de Cotonou“ avaient répliqué les secrétaires généraux des centrales et confédérations syndicales. Et finalement, l’opinion publique n’a fait que constater la répression de la marche avec l’arrestation des leaders syndicaux qui seront finalement relâchés après de longues heures.

 

 Décision du préfet : polémique et incompréhension

Alors que beaucoup peinent à s’expliquer la notification d’autorisation à une marche, pourtant réprimée malgré les mêmes formalités accomplies, un autre aspect mérite qu’on s’y attarde. En effet, dans sa correspondance de notification d’autorisation adressée aux secrétaires généraux de la Csa-Bénin, Cgtb, Unstb et Cosi-Bénin, le préfet Alain Orounla a dit déplorer “l’omission des règles en vigueur en République du Bénin qui subordonnent toutes occupations du domaine public ou de la voie publique à une requête“. Qu’en est-il finalement desdites règles en vigueur ? Faut-il le rappeler, dans son communiqué exigeant une autorisation avant la marche du 27 avril, le préfet avait également invité les confédérations syndicales à se conformer aux textes en vigueur en “formulant à l’endroit des autorités compétentes, une demande d’autorisation en bonne et due forme. Le hic est que dans les deux notes, l’autorité préfectorale n’a pas daigné apporter des précisions quant à ces règles en vigueur. Toute la confusion se trouve bien à ce niveau. Et plus important, après leur audition à la police judiciaire, les leaders syndicaux n’avaient pas manqué de souligner qu’ils ont démontré que les formalités étaient accomplies. Pourquoi avait-on alors empêché la précédente marche ? Qu’est-ce qui justifierait alors l’autorisation de la marche du 11 mai prochain ? Les questions restent toutes posées.

Du régime de déclaration au régime d’autorisation ?

Doit-on attendre une autorisation de l’autorité compétente avant toute manifestation désormais au Bénin ? A quelle logique répond cette autorisation du préfet Alain Orounla ? Autant de questions qui méritent bien d’être posées afin d’éclairer l’opinion publique quant au régime encadrant les manifestations pacifiques. Il importe de se demander si le Bénin est en train de basculer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. Des analyses des juristes contactés par votre journal, ils sont unanimes sur le fait que les manifestations restent encadrées par un régime de déclaration.

“…quand on parle des questions de liberté et de manifestation, liberté de réunion, le droit, le standard international qui l’encadre parle d’un régime d’information, d’un régime de déclaration. C’est-à dire que les organisateurs sont appelés à informer l’autorité compétente de ce qu’ils veulent organiser une manifestation à telle date sur tel itinéraire.

C’est d’ailleurs ce que disent les lignes directrices de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur la question….C’est ce qui a été également toujours fait dans notre pays parce que le régime, il est déclaratif, il est un régime d’information, il n’est pas un régime d’autorisation…Vous avez juste à informer l’autorité…Les standards internationaux, les jurisprudences de la Cour Constitutionnelle nous enseigne que nous sommes, quand on parle de ces manifestations, dans un régime d’information.

Il n’y a pas à chercher une autorisation quelconque de la part de l’autorité administrative… A l’heure où je parle, je n’ai pas connaissance d’un dispositif qui permet de dire qu’il faut une autorisation“ a clarifié Landry Adelakoun, juriste et spécialiste des questions de droits humains. Et au juriste Glory Hossou de souligner également que le droit de réunion pacifique est soumis à un régime d’information, un régime de déclaration.   “L’autorité normalement ne doit pas interdire la manifestation. Elle peut interdire, mais en voulant interdire, doit pouvoir motiver son interdiction en disant cette manifestation n’est pas possible aujourd’hui, et en même temps proposer des alternatives“ a-t-il ajouté.

Même son de cloche de la part de Fréjus Attindoglo, juriste, qui estime que l’on n’a pas besoin d’une autorisation pour manifester au Bénin. “Le régime juridique de la liberté de manifestation au Bénin est un régime déclaratoire, c’est le principe…Jusqu’à preuve du contraire nous n’avons pas besoin d’une autorisation pour manifester au Bénin ; nous avons plutôt besoin d’informer l’autorité communale ou préfectorale de notre intention de manifester avec une déclaration préalable.

Cette déclaration n’est pas à confondre avec une demande d’autorisation. L’autorité qui reçoit la déclaration doit immédiatement délivrer un récépissé et mettre tout en œuvre afin d’assurer la sécurité des manifestants, et éviter tout débordement“ a-t-il fait savoir. Toutefois, une confusion mérite bien d’être élucidée concernant certaines dispositions du code pénal, selon le juriste. “…dans la pratique, nous nous retrouvons dans un régime d’autorisation ce qui ne devrait pas être le cas. Mieux, avec le Code pénal de 2018, on voit clairement l’intention de pénaliser les manifestations publiques avec des dispositions portant sur l’attroupement non armé. Le législateur a choisi de ne pas donner une définition à la notion de l’attroupement non armé alors qu’elle avait compris l’importance de définir la notion de l’attroupement armé.

Pourtant les deux notions se logent à la même disposition“ a précisé Fréjus Attindoglo. Ce que confirme Glory Hossou lorsqu’il déplore le fait que dans le contexte béninois, le code pénal tend à faire croire que le droit de manifester est soumis à un régime d’autorisation. Et la seule évidence est que la décision ne manquera pas de susciter davantage de débats voire la polémique. En attendant, les travailleurs peuvent bien manifester leur mécontentement face à la cherté de la vie.

A.B

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