Dans notre dernière parution, nous annoncions « la tempête politique » après le vote du code électoral et le retour à la crispation de l’atmosphère nationale. Trois semaines plus tôt ( Matin Libre n°2416), nous prévenions que « la main de Talon sera lourde et impitoyable ». Nous ne pouvions être plus prémonitoire, même si c’était sans savoir que son Conseiller Spécial, Ministre d’Etat qui ne dit pas son nom, éminence grise et tout-puissant patron du Bureau d’Analyse et d’Investigation (Bai), passerait si tôt à la trappe. Frapper si fort au cœur du système sur lequel il a bâti son pouvoir et ses réformes n’a rien de banal même si la victime paraît politiquement banale. Une seule question vaut la peine d’être posée : à qui le prochain tour ?

Il ne s’agit pas d’un ministre de souveraineté comme Aurélien Agbénonci ou Sévérin Quenum. Encore moins d’un ministre sectoriel comme Jean-Claude Dona Houssou, Hervé Hêhomey ou Oswald Homéky. Il s’agit de l’homme qui n’est jamais absent des photos de famille du Gouvernement depuis 2016 mais dont le nom ne compte jamais dans les listes envoyées au Bureau de l’Assemblée nationale pour avis. Il est la doublure opérationnelle du président de la République. Il est le penseur de ses réformes tous azimuts, des plus productives aux plus impopulaires, affermages, agences et secrétariats exécutifs de communes y compris. Si Talon a fini par se consoler du désert de compétences qu’est le Bénin, c’est sans doute grâce à ce couvent d’experts importés d’occident ou d’Afrique et notamment du Rwanda, cette silencieuse antre à cerveaux discrets et insensibles à tous les cris d’orfraie que dirigeait jusqu’au lundi dernier, Johannes Dagnon, le cousin, l’expert-comptable, le patron de la Fiduciaire d’Afrique à qui le chef de l’Etat, ou plutôt l’ex-entrepreneur privé Patrice Talon doit la solidité de son empire.

On ne change pas une équipe qui gagne

On reconnaîtra au président Talon, l’audace de ses choix et la froideur de ses décisions. Un bien-pensant aurait annoncé le limogeage de Johannes Dagnon qu’on aurait rétorqué que le chef de l’Etat ne se ferait jamais hara-kiri. S’il l’a fait, c’est que les enjeux de son action politique pendant les deux années qui nous séparent de 2026 sont bien plus grands qu’un cousinage gérable par une simple navette entre le palais de la Marina de Cotonou et le temple des pythons de Ouidah. Il conviendra de marquer d’un trait rouge, le jour où le chef de l’Etat au cours de son point de presse conjoint avec son ex-homologue Mohamed Bazoum du Niger, annonçait urbi-et-orbi qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Etait-ce la phrase de trop qui a rassuré ses poulains et leur a fait croître les ergots au point qu’ils se soient cru subitement devenus des coactionnaires du pouvoir du président de la République ? En tout cas, si son illustre hôte nigérien s’est fait chasser du pouvoir à Niamey par sa garde rapprochée, Patrice Talon aura réussi à prouver au Bénin que les conditions de parfaite inimitié de sa séparation d’avec ses anciens collaborateurs en disent long sur le fait qu’ils ont touché le fond. En frappant jusqu’au plafond qui s’appelle Johannes Dagnon à quelques mois du démarrage de la pré-campagne pour la Présidentielle de 2026, Talon devrait se préparer à recevoir un paquet de lettres de démissions, tant des Béninois revenus pour « oser le Bénin », que des autres africains non-Béninois qui se savaient déjà mal-aimés autour de la place de l’Amazone. Pour les commis de l’Etat et gestionnaires des structures opérationnelles des Pag, ils ne pourront aussi facilement se décapsuler de l’administration de la Rupture surtout que beaucoup, sont inamovibles aux commandes depuis 2016 pour les uns ou skiant pour les autres entre les institutions et directions générales, dans un jeu de chaises musicales.

Assumer son casting de 2016 jusqu’au bout

Le président Talon a fait le vœu d’être porté en triomphe. Il continue d’y tenir avec, semble-t-il, une crainte plus grande pour le sort de l’héritage qu’il laissera à son successeur. Qu’il soit son proche ou opposant. Mais à en juger son excès de confiance en son pouvoir et l’énergie qu’il déploie au dernier virage de son magistère contre ses propres associés de gouvernance, fussent-ils effectivement coupables d’avoir mangé leur totem, le chef de l’Etat compte-t-il obtenir en retour une quelconque reconnaissance des Béninois qui y verraient un acte de bonne gouvernance ou une preuve d’impartialité ? Ce serait une grave erreur, car avant lui, Nicéphore Soglo s’est brouillé avec son beau-frère Désiré Vieyra à la veille de l’alternance ; Kérékou avec son ami Pierre Osho ; Boni Yayi avec son beau-frère Marcel de Souza. Talon ne sera donc pas le premier et les Béninois sont habitués par l’histoire. Après huit ans de diète généralisée, les gestes que ces derniers apprécieront le plus du président de la République seront ceux de nature à décrisper l’atmosphère politique avant 2026 et à oxygéner leurs espérances pour l’après. Il a fait tout seul le choix de ses meilleurs hommes, méthodes et priorités. Le limogeage de Johannes Dagnon, à quelques mois de la fin de son second quinquennat tout comme celui à venir d’autres collaborateurs, n’aura jamais l’effet espéré d’un coup de marteau. Autant assumer jusqu’au bout son casting et ses choix présidentiels et laisser à l’orée de 2026, chacun d’eux devant la marmite qu’il leur a confiée respectivement, depuis 2016.

Angéla IDOSSOU

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