L’exception qui confirme la règle, c’est Nicéphore Soglo, seul président de l’histoire de la démocratie béninoise à ne pas avoir gouverné en dix ans et deux quinquennats. La faute au caméléon Mathieu Kérékou qui, une décennie après être “remonté en haut”, ne désigna personne entre son ministre d’Etat Bruno Amoussou en récompense du match amical salvateur du second tour de la présidentielle de 2001 ; son ministre des finances Abdoulaye Bio Tchané entretemps passé au Fmi ; et Boni Yayi, alors président de la Boad.

 

Ce dernier devenu chef de l’Etat en 2006, désignera comme dauphin en 2016 parmi plusieurs prétendants de son gouvernement, son premier ministre Lionel Zinsou. Choix perdant face à la broyeuse Patrice Talon qui, en 2026, ne suivra l’exemple d’aucun de ses deux prédécesseurs : elle rasera toute prétention qui ne serait pas à son goût.

La dénonciation de Fraternité Fm du “fake” publié par le site l’œildubenin.com qui a attribué à la radio privée de Parakou d’avoir cité Wilfried Léandre Houngbédji, en ce que « Le président Patrice Talon est candidat…en 2026 », aura permis d’avoir la vraie version des propos du Secrétaire général adjoint et Porte-parole du gouvernement : « Le président Talon est candidat à la préservation des acquis de sa gouvernance. C’est à cela et à cela seul qu’il est candidat en 2026. » En osant une telle métaphore dans un contexte d’extrême sensibilité de l’opinion publique face à toute déclaration d’une personnalité publique qui comporte les trois mots-clés Talon, candidat et 2026, le Sga-Ppg, n’aura pas été inutilement provocateur. Il a, sans forcer, réussi à caricaturer dans l’opinion, la rage avec laquelle le chef de l’Etat s’engagera dans le processus qui conduira à sa succession. Pour ne pas exagérer, on dira qu’il y jettera toutes ses forces et ressources, comme s’il s’en allait se succéder à lui-même. Un combat en perspective pour ainsi dire, à la fois contre les velléités non-désirées dans son propre camp et contre celle des plus légitimes au sein de l’opposition.

Préservation des acquis de la gouvernance Talon

Qui d’entre les Béninois et le président Talon, devrait avoir le souci majeur de la préservation des acquis de sa gouvernance ? Assurément pas lui. Car il n’est pas supposé avoir géré le pays pour lui-même mais pour son peuple. D’ailleurs, aucun des vrais acquis des gouvernances qui lui ont précédé n’a été détruit. Et l’investissement a été trop lourd pour la Nation entière pour qu’elle les passe en pertes et profits, à moins qu’il ne s’agisse de véritables acquis pour le peuple. Seul et unique souverain, c’est ce dernier qui a élu le président Talon en 2016 et même en 2021, quelles que soient les réserves que l’opposition n’a de cesse de fredonner en refrain. C’est donc au peuple qu’il fera reddition de compte et c’est lui, au terme de son second et dernier quinquennat, qui décidera des mains dans lesquelles lesdits acquis trouveraient les meilleures chances d’être sauvegardés. En clair, il s’agira d’un défi personnel que le chef de l’Etat devra faire porter aux partis de sa majorité, à travers les femmes et les hommes les plus crédibles aux yeux des populations béninoises. Si son casting de candidats pour les élections générales de 2026 se révélait malheureusement peu rassurant, il est clair que dans les conditions optimales de sincérité des scrutins à venir, il aurait beaucoup trop de mal à les imposer pour assurer sa succession.  Le seul et vrai combat du président Talon devra rester celui qu’il s’était promis : être porté en triomphe par son peuple au terme de son magistère.

De toute évidence, en choisissant Lionel Zinsou en 2016 comme dauphin, Boni Yayi n’avait pas d’autre dessein que celui de préserver les acquis de sa gouvernance. Mais en le renvoyant à ses portefeuilles chez SouthBridge, le peuple faisait juste le meilleur choix pour s’offrir de meilleures perspectives. Pourquoi donc ce même peuple serait-il incapable de se déterminer en 2026 ? Une certaine opinion chauviniste favorable au tout premier président du renouveau démocratique laisse entendre que le renvoi de Nicéphore Soglo à ses lectures en retard en 1996, aurait consacré l’arrêt de la marche du Bénin vers le développement. Ce courant de pensée a bien du mal à prospérer quand on sait le modèle de gouvernance dont l’ex-chef de l’Etat s’est fait champion à la Mairie de Cotonou et qui a survécu aux décennies Kérékou et Yayi avant d’imploser sous les hallebardes de la gouvernance Talon.

Turbulences et violence d’Etat en perspective

De retour d’un tranquille week-end, les Béninois ont été surpris le lundi dernier par un compte-rendu de séance du conseil des ministres qui ne pouvait attendre quarante-huit heures après, pour se tenir comme de coutume, le mercredi. Cette entorse à la tradition annonçait un programme important à l’agenda du président Talon. L’échec de la proposition de révision de la Constitution, suivi du vote d’une nouvelle loi électorale qui a ajouté à l’ancienne une multitude de boutons, de boucles, de fermetures-éclair et un col plus serré, s’est conclu par la validation de la Cour constitutionnelle, en réponse à près d’une dizaine de recours, puis par la promulgation du chef de l’Etat. Les débats parlementaires ont révélé l’éclosion de divergences de vues et convaincu le président Talon que la perspective des élections générales de 2026 avait déjà ouvert de béantes lézardes dans les murs de sa famille politique. Les journaux qui ont rapporté le voyage dans la nuit du mardi, du chef de l’Etat avec les gros pontes de son establishment pour une mise au vert à Paris, n’avaient que peu d’informations sur le contenu très privé de ce voyage de groupe. Mais c’était suffisant pour savoir qu’il s’agissait bien d’un voyage de recadrage de sa troupe.

Suivant les nouveaux délais de dépôts des dossiers prévus par le nouveau Code électoral, le compte à rebours pour les élections générales de 2026 commencera en 2025. Dans un an donc. Dans cette perspective, plus tard serait trop tard pour que Patrice Talon parle sans témoin à ses amis et lieutenants. Pas tel le laboureur à ses enfants sentant sa mort prochaine, mais en véritable chef de guerre. L’échéance de 2026 est bien trop sérieuse pour que sa mouvance se permette quelque querelle intestine. Hélas, les jeux politiques fonctionnent de sorte que quand on croit s’être réveillé tôt, on rencontre toujours quelqu’un qui était déjà en éveil. La rencontre de Paris se sera tenue. Les points auront été mis sur les i. les menaces auront été proférées. Mais rien ne pourra arrêter l’horloge d’avancer. Seconde après seconde. Cela n’a pas commencé par le président Talon. Il en était de même avec ses illustres prédécesseurs. Lui-même a dû son arrivée à la Marina à sa décision audacieuse de faire face à Yayi, son ex-ami.

Et le peuple le lui a bien rendu, parce qu’il lui tardait de passer à autre chose. Qui d’entre ses interlocuteurs de Paris aura le courage d’une telle auto-détermination ? Quels en seraient les risques le prix à payer ? Jusqu’où Patrice Talon serait-il prêt à aller si le destin d’un des siens l’appelait au devoir politique de se poser en préservateur des acquis de sa gouvernance ? L’homme aura réussi en véritable cascadeur, à escalader bien des barrières politiques qui sont restées infranchissables pour ses prédécesseurs. Mais arrivera-t-il à vaincre le chant du cygne ? Wait and see.

Angéla IDOSSOU

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