Considérées comme une main d’œuvre étrangère sous-cotée, les serveuses de bars au Bénin notamment à Cotonou et environs, exercent dans une situation de vulnérabilité, de précarité. Recrutées en provenance majoritairement de pays voisins par l’intermédiaire de personnes interposées appelées “démarcheurs“ et sur fond de tromperie, elles sont victimes de la traite des personnes au Bénin.
Elles se retrouvent victimes de toutes sortes d’abus et de violences en exerçant dans les débits de boissons. Viols, harcèlement sexuel, violences physiques et verbales à caractère sexuel, prostitution forcée…Tel est le quotidien de ces filles venues majoritairement du Togo et du Nigéria. Enquête.
Jocelyne (1) la vingtaine environ, est serveuse dans l’un des bars (débit de boissons) les plus fréquentés du quartier Sikècodji en plein cœur de la ville de Cotonou (capitale économique du Bénin). Rencontrée un soir du mois d’avril 2023, elle confie être dans un dilemme : partir du bar-restaurant sans percevoir un franc de ses quatre mois de salaire ou rester et se plier aux conditions du promoteur.
Arrivée dans ce bar au mois de décembre 2022, par le biais d’un démarcheur, il lui a été imposé une période d’essai d’un mois. Période à l’issue de laquelle, le gérant du bar lui a notifié son salaire mensuel. Mais elle a dû servir un, deux, trois et finalement quatre mois sans percevoir de salaire. Quand elle plaida pour le paiement de son dû auprès du promoteur, la réponse de celui-ci la laissa ébahie, sans voix : “Il m’a crié dessus en m’accusant de ne rien faire pour accroitre le rendement du bar. En fait, il veut que je me prostitue comme les autres serveuses pour rentabiliser les chambres de passage du bar-restaurant. C’est ce que je ne voulais pas faire quand j’ai décidé il y a un mois de rejoindre le service restauration du bar“ nous confie Jocelyne, en larmes.
En effet, le bar-restaurant est conçu comme un complexe comportant des chambres de passage. Et chaque serveuse doit séduire les clients et s’offrir à ceux-ci moyennant la somme de mille francs CFA (1,52 euros) pour les caisses du bar. Si la serveuse excède plus d’une heure avec le client dans la chambre de passe, la facture augmente et c’est le gérant qui décide du coût.
Jocelyne se lève pour servir un client et nous décidons d’entrer dans le bar. Une jeune fille qui se nomme Awa s’approche et prend notre commande. Un court instant après, nous voilà servis. Elle se propose de nous tenir compagnie. Malgré notre indifférence, elle insiste tout en nous faisant savoir que c’est la règle. Elle prend place et commence la présentation du bar : “Ici, vous avez tout à votre disposition. Si vous désirez de la nourriture, cela est disponible et je suis aussi disponible pour vous mettre bien. C’est seulement 1000Fcfa la chambre et moi-même, vous me donnez 3000Fcfa seulement“.
La chambre de passage offre une discrétion, rassure-t-elle. Il suffit de faire semblant d’aller aux toilettes du bar pour s’y retrouver et la serveuse vous rejoint après avoir informé le gérant. Rassurée et mise en confiance durant notre conversation, elle décide de se confier. De nationalité togolaise, Awa n’était pas une travailleuse de sexe ou encore une “fille de joie“ avant de rejoindre ce bar, il y a plus de six mois. Selon elle, elle reste toujours une serveuse de bar, rien de plus. Orpheline de père, elle était à la quête d’une source de revenus pour subvenir à ses besoins et aider sa famille quand une tante lui parla de la possibilité de se faire de l’argent au Bénin. “On m’a dit qu’un monsieur (un démarcheur) pourrait venir nous chercher pour nous amener au Bénin et nous trouver du travail à Cotonou“. C’est ainsi qu’Awa s’est retrouvée dans ce bar.
Alors qu’on lui avait promis une rémunération mensuelle, elle ne perçoit rien durant les trois premiers mois et parvient à peine à se nourrir. “C’est une chance pour toi d’être ici. Être serveuse, c’est savoir profiter des clients. Regarde les autres serveuses, tu ne vois pas qu’elles ne manquent jamais d’argent ?’’, lui aurait lancé le gérant alors qu’elle réclamait une partie de ses salaires. Et Awa de poursuivre : “Quand je regarde d’où je viens, vous voulez que je fasse quoi, alors même que je n’ai plus jamais revu le monsieur (le démarcheur) qui m’a amenée à Cotonou et dans ce bar’’. Elle espère un jour se faire assez d’argent pour retourner auprès de sa famille. Un de ses “anciens clients’’ a besoin d’elle et elle prend congé de nous.
“Il n’y pas d’école pour vous former à devenir travailleuse de sexe, ce sont les circonstances de la vie qui vous conduisent sur des sentiers inattendus’’, nous lance Annick, une autre serveuse qui a écouté notre conversation avec Awa.
Autour de nous, Jocelyne, visiblement exténuée, somnole déjà, elle qui sait comment mériter sa paie mensuelle. Quant à Dorcas, elle venait d’accoucher quand elle a rejoint le bar par le biais d’un démarcheur. Le responsable de sa grossesse n’est pas connu et le nouveau-né ignore tout de son géniteur. “Je travaillais dans un bar à Calavi (département de l’Atlantique, à 18 kms de Cotonou) et je devais me laisser faire avec le gérant pour avoir mon salaire. Durant cette période, le gérant a fait aussi pression sur moi pour passer la nuit avec un client, un de ses amis… Finalement, les deux ont refusé de reconnaitre la grossesse’’ regrette Jocelyne. La jeune femme a renoncé alors à sa vie de serveuse de bar et a entamé une formation en pâtisserie grâce à un parent.
Au Bénin, les serveuses de bar exercent non seulement dans des conditions précaires mais se retrouvent victimes d’une exploitation sexuelle et économique. Majoritairement immigrées, elles viennent généralement du Togo, du Nigéria et quelques-unes du Ghana. Elles sont souvent hébergées par les promoteurs de bars car n’ont ni abri ni famille à proximité. Toutes choses qui les mettent dans une situation de vulnérabilité dans l’exercice de leur métier. Elles sont perçues comme des objets sexuels à la merci des clients mais aussi du gérant du bar et du promoteur. Le cas de Jocelyne est loin d’être isolé.
Hortense, de nationalité togolaise, n’a que 17 ans ; elle est serveuse dans un bar non loin de la place de l’Etoile rouge à Cotonou. Mère d’un enfant dont elle nous dit, dans un premier temps, ignorer le père, Hortense est arrivée au Bénin en compagnie de sa maman, travailleuse domestique dans un restaurant. Coup du sort, elle perd sa maman et se retrouve livrée à elle-même à l’âge de 16 ans seulement. Elle finit par nous dire que l’auteur de sa grossesse n’était autre que le fils de la patronne de sa défunte mère (ce qui provoqua son renvoi de la maison).
“C’est un bon produit, on prendra soin d’elle’’
Aujourd’hui, dans ce bar de la place de l’Etoile rouge, sa situation est loin de s’améliorer. A 20 heures, le bar s’anime et d’une table à une autre, chaque client peut se permettre quasiment tout avec Jocelyne, des attouchements sexuels à des demandes déplacées. La jeune mère s’y plie avec un sourire, malgré elle. Un client vient d’arriver et exige qu’elle s’asseye à côté de lui. Elle s’exécute et l’homme, d’une quarantaine d’années, se permet de l’enlacer sans qu’elle ne s’y oppose. La cloche sonne et elle doit rejoindre une autre table avec d’autres clients. Alors que l’un la prend par la hanche, un autre lui tapote les fesses et lance : “c’est un bon produit, on prendra soin d’elle’’. Un court instant après, elle se fait gronder par le gérant qui lui demande de prendre soin d’un autre client voulant se fait servir uniquement par la jeune Hortense. Avec ce dernier, elle devra s’asseoir sur ses cuisses et se laisser caresser le corps, y compris les parties intimes. Ainsi se décrit le quotidien de Hortense et de plusieurs serveuses de bar de Cotonou et des environs.
Dans la commune de Sèmè-Podji (département de l’Ouémé), et plus précisément à Agblangandan, à une dizaine de kilomètres de Cotonou, un bar se révèle très connu pour ses soirées “WOLOSSO“ où les femmes exposent leur nudité. Ici, en raison des conditions de travail et des exigences du promoteur du bar, très peu de serveuses y restent plus de trois mois. Solange y travaille depuis environ trois semaines mais elle s’impatiente déjà de percevoir ce qui reste de son salaire (on lui a trouvé déjà des manquants et autres à retirer de son salaire); elle souhaite s’en aller au plus vite. Rien de ce qui lui a été dit lors de son recrutement concernant les conditions de travail n’a été respecté, nous confie-t-elle. Un client l’appelle pour lui demander des cigarettes. Elle s’excuse, s’éclipse et revient, l’air contrarié : « Je n’aime pas ces clients car je déteste les cigarettes mais tu ne peux pas refuser, ils vont se plaindre au patron’’. Elle est contrainte de rester en leur compagnie pendant qu’ils fument mais surtout “si un client me demande de m’asseoir sur ses cuisses, je ne peux pas refuser…Ici, on fait des serveuses ce qu’on veut et le patron en premier’’. Solange finira par nous avouer être victime d’abus sexuels aussi bien de la part du promoteur que de ses amis.
Ici, le promoteur semble habitué à congédier ses employées dès qu’on lui propose d’autres serveuses plus “présentables’’. Un ami nous rejoint dans l’espoir de nous faire rencontrer Madeleine, une autre serveuse qu’il connait. Il la contacte par téléphone ; elle lui annonce qu’elle a été renvoyée abusivement au réveil parce que “son patron aurait trouvé de nouvelles serveuses’’. Elle refuse d’en dire plus.
Ailleurs, à Avotrou, une localité du premier arrondissement de Cotonou, une scène retient notre attention. A l’entrée du bar, six jeunes dames, habillées en tenue sexy, déambulent dans le but d’attirer la clientèle. “Je n’aime pas ce qu’on nous impose ici : nous positionner à l’entrée comme si on était des prostituées pour attirer la clientèle. Un oncle m’a aperçu la dernière fois et est allée dire à mes parents à Abomey que je me prostituais’’ nous dit Juliette, l’une de ces jeunes femmes qui dit espérer se faire un peu d’argent pour mener plus tard une autre activité génératrice de revenus. Juliette est la mère de deux enfants qui n’ont jamais connu leur géniteur. De ses confidences, il ressort que cela résulte de l’exercice de son métier. Elle venait de faire trois mois sans salaire dans un bar à Abomey-Calavi quand un client lui a proposé 2000Fcfa pour passer la nuit avec elle. Son premier enfant a été conçu ainsi. Juliette a été ensuite renvoyée car les bars n’admettent pas de serveuses enceintes. Quelques mois après l’accouchement, elle retrouve un bar à Porto-Novo, capitale administrative du Bénin mais le promoteur de ce nouveau lieu la met à la disposition de ses amis. Elle tombe à nouveau enceinte et l’auteur ne reconnait pas l’enfant. Une fois encore, Juliette rentre accoucher auprès de sa mère avant de revenir dans ce bar où nous faisons sa rencontre.
Viols, prostitution forcée, harcèlement sexuel, attouchements et toutes sortes de violences : voilà ce à quoi se retrouvent exposées les serveuses de bars au Bénin. Pour Me Josette Attade Tokpanou, chef du Pôle des affaires juridiques à l’Institut national de la femme (INF), les serveuses font face à de grandes difficultés dans l’exercice de leur profession, elles sont sujettes en permanence à des violences. Les serveuses sont contraintes d’avoir des comportements risqués et dangereux pour elles-mêmes, admet-elle. Intervenant lors d’une séance d’échanges avec les promoteurs de bar, organisée par Amnesty international Bénin, l’avocate a fait comprendre que les profils recherchés démontrent qu’elles sont souvent utilisées par les tenanciers des bars pour attirer des clients. Leurs conditions de travail ainsi que les demandes que formulent leurs employeurs allant jusqu’à l’imposition du style vestimentaire sont, aux yeux de l’avocate, inadmissibles.
« S’il faut aller jusqu’à demander aux serveuses de s’habiller de façon indécente, de façon à attirer des clients, les promoteurs et gérants de bar le font », témoigne Eric Orion Biao, coordonnateur de l’Education aux droits humains à Amnesty international Bénin, une organisation de défense des droits humains. Pour celui qui a conduit une enquête de terrain sur les conditions de travail et de vie des serveuses de bars, l’imposition du port de tenues légères est une pratique courante dans le secteur des débits de boissons. Des tenues décolletées et montrant des parties intimes leur sont généralement imposées. Le goût du profit amène des promoteurs à user de tous les moyens pour avoir plus de revenus.
D’après l’enquête menée par Amnesty international Bénin, les serveuses de bars sont régulièrement victimes d’abus sexuels de la part des clients, gérants et promoteurs. Souvent, dès le recrutement, a remarqué Eric Orion Biao, cela fait partie des conditions pour avoir accès au travail, le promoteur exigeant avant l’embauche de “passer du temps’’ avec la serveuse. La plupart des jeunes femmes que nous avons rencontrées en ont témoigné. “Et une fois les serveuses recrutées, le promoteur utilise ces femmes selon son bon vouloir, comme des objets sexuels. Si elles refusent, elles ne sont pas payées. Ces patrons-là se permettent d’assouvir leur plaisir sexuel quand ils le veulent et comme ils le veulent’’ assure Eric Biao.
Mais les bourreaux des serveuses ne sont pas uniquement les promoteurs de bar. « Vous avez les demandes insistantes des usagers de bars, de gros clients qui passent par des gérants pour avoir une serveuse : “Je suis venu boire mais j’ai envie de repartir avec telle serveuse’’ témoigne Eric Orion Biao. Le client met la pression sur la jeune fille, via le gérant, pour qu’elle accepte. Le gérant ayant des moyens de pression plus consistants que le client, elle est obligée de se laisser faire au risque de perdre son emploi ».
Les serveuses de bar sont victimes également des violences verbales à caractère sexuel. Des expressions comme “ je veux du jus de tes seins’’, “je veux téter’’ sont lancées aux serveuses. Et quand une jeune femme veut imposer une limite aux clients, des remarques injurieuses peuvent tomber comme : “tu es très sale, regardes toi un peu, tu pues’’. Les serveuses ne sont pas à l’abri non plus d’agressions physiques surtout quand elles refusent de céder aux avances ou quand le client est sous l’effet de l’alcool.
Cataloguées comme « filles de mœurs légères », ces jeunes femmes sont mal perçues par la société et sont donc en plus victimes de stigmatisation.
Psychologue-clinicienne, Gloria Kponou est membre de la Plateforme multi-acteurs de la migration au Bénin. Une plateforme qui s’intéresse, entre autres choses, à la situation des serveuses de bar. La psychologue confie avoir reçu des “témoignages vivants, très poignants“ d’abus sexuels, des abus de tous genres y compris des violences physiques et morales : “On a eu des témoignages d’abus ; les filles n’ont même pas droit à la parole. Ce qui se transforme en stress post-traumatique. A travers des groupes de paroles, nous leur permettons de s’extérioriser’’ confie-t-elle avant d’exposer la situation d’une jeune fille togolaise, recrutée très jeune dans un bar à Azovè (département du Mono). “Elle travaillait dans un bar, elle n’avait pas de salaire, elle était forcée de se prostituer. Elle était obligée de se soumettre, il n’y avait pas de voies de recours possibles, c’était carrément un sacrifice de vie’’. Grâce à la Plateforme, la jeune femme a été orientée vers un métier de son choix, confie la psychologue-clinicienne.
Evoquant la situation des serveuses de bars, Mathieu Sagbo Kakpo, coordonnateur national du Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection de l’enfant (RAO), constate lui aussi que ces femmes sont condamnées à un travail avilissant. Etant en majorité des migrantes venant des pays voisins, elles ignorent généralement, au départ, le sort qui les attend. Quand elles quittent leur pays, leur transport est assuré ou géré par des intermédiaires qu’elles ne connaissent généralement pas : “Quand elles arrivent à destination, beaucoup subissent des maltraitances de la part de ceux qui les embauchent et de ceux qui fréquentent ces bars », confirme Mathieu Sagbo Kakpo. « Promesses non tenues, non paiement de salaires, abus sexuels, viols. Pour survivre, nombre d’entre elles versent dans la prostitution. »
18 heures de travail journalier pour moins de 20.000F cfa par mois
Marina, de nationalité togolaise, est serveuse depuis deux ans dans l’un bars les plus animés du 1er arrondissement de Cotonou, à Akpakpa. Elle prend son service à 13 heures pour ne finir que le lendemain matin à 07 heures, pour une rémunération mensuelle généralement inférieure à 20.000Fcfa (30,4 euros). Marina nous explique que sur son salaire fixé à 30.000Fcfa (45,7 euros) il lui est retiré chaque semaine une somme pour couvrir les charges d’électricité et d’eau qu’elle utilise pour se laver. A cela s’ajoute encore des pénalités si vous êtes accusée de retard, si vous tardez à servir un client ou si un client se plaint de vous. Ce qui fait qu’en deux ans, Marina n’a presque jamais perçu un salaire mensuel au-dessus de 20 000Fcfa.
Comme Marina, nombreuses sont les serveuses de bar victimes d’exploitation économique, travaillant de 15heures à 18 heures par jour, et finissant au petit matin après le départ du dernier client.
Selon une enquête réalisée par Amnesty international Bénin dans cinq départements (l’Ouémé, l’Atlantique, le Littoral, le Borgou et le Zou) les serveuses travaillent bien au-delà des quarante heures légales par semaine (art 142 du Code du travail). Il n’est pas rare, selon Eric Orion Biao d’Amnesty international Bénin de voir des serveuses contraintes de travailler une vingtaine d’heures sur les 24 heures que compte une journée. L’avocate Josette Attade, confirme cet état de fait sachant que la majorité des bars ouvrent 24h sur 24h et sont souvent en sous-effectif.
Alors que nous remarquons sur Facebook un message de recrutement de serveuses venant d’un cabinet dénommé
Institut d’études stratégiques et de management (IESM), nous contactons le responsable : celui-ci nous confirme que les serveuses n’ont droit qu’à un seul jour de repos dans la semaine. Un autre message de recrutement, toujours sur Facebook, précise comme horaire de travail : de 11 heures à 02 heures du matin.
Solange travaille comme serveuse de bar à Agblandandan (département de l’Ouémé). Elle prend son service à 16 heures, voire 15 heures, pour finir vers 5 heures du matin. Logée par le promoteur, à quelques mètres du bar, il n’est pas exclu que le gérant fasse appel à elle, pendant qu’elle se repose, pour d’autres tâches comme l’entretien des lieux. La veille, c’était la soirée “WOLOSSO’’ dans le bar : elle a dû travailler de 9 heures jusqu’au lendemain 7 heures du matin pour reprendre son service à nouveau à 15 heures. Elle confie être exténuée et souffrante mais il n’est pas question de solliciter une permission au risque de subir des retenues sur son salaire.
Côté santé, aucun dispositif n’est généralement mis en place par les promoteurs de bars pour favoriser une prise en charge sanitaire des serveuses. Ce que confirme Mathieu Sagbo Kakpo, évoquant les actions menées à cet effet entre octobre 2015 et juin 2017 dans le cadre du projet “Droit des migrants en action’’.
Marina, serveuse de bar à Akpakpa a dû compter sur l’aide de clients pour se faire soigner récemment de maux au bas-ventre à Lomé.
Exploitation économique : très bas salaires et retenues fantaisistes
Les serveuses de bar exploitées, outre le fait qu’elles travaillent dans des conditions précaires avec une charge de travail énorme, perçoivent donc une rémunération dérisoire. Une rémunération qui n’est pas régulièrement versée et souvent amputée de retenues diverses et variées.
D’un bar à un autre, la rémunération mensuelle des serveuses de bar est comprise entre 20 000FCFA (30,5 euros), 25 000 FCFA (38euros) et 30 000FCFA (45,8 euros). Une somme bien en dessous du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) au Bénin qui est de 52 000FCFA (79,4 euros). Pour Gloria Kponou, psychologue-clinicienne, il s’agit d’un “sous salaire’’ en déphasage total avec les dispositions du Code du travail en vigueur en République du Bénin. Eric Orion Biao ajoute que ces serveuses n’ont aucun contrat de travail et “peuvent être renvoyées selon l’humeur du patron ou du gérant’’.
Dans un bar situé à Dégakon, premier arrondissement de Cotonou, le promoteur semble avoir fait l’option d’une politique de non-paiement des salaires. Ici, tous les mois ou les deux mois, on y rencontre de nouveaux visages. Selon nos investigations, la stratégie est de faire croire aux serveuses qu’il n’y a pas eu assez de ventes dans le mois et que le bar n’est donc pas en mesure de payer les salaires. Déçues, la plupart s’en vont pendant que le promoteur se lance à la recherche de nouvelles serveuses qui connaitront, à leur tour, le même sort. La main d’œuvre y est donc exploitée et pas du tout rémunérée.
Quant aux retenues de salaires fantaisistes, les cas pullulent. Déborah est surprise un jour par le gérant en train de somnoler. Ce dernier la prend en photo et transfère l’image au promoteur. Celui-ci décide alors de retrancher deux mille FCFA sur le salaire de Déborah. Juliette, serveuse dans un bar à Avotrou, quartier périphérique de Cotonou confirme ce genre de pratiques : “Si tu es en retard même de quelques minutes, on te défalque 1000Fcfa…Tu refuses de céder aux caprices d’un client, on te retire 1000FCFA pour manque de respect au client. Ce sont des choses qu’on ne te dit pas au moment du recrutement“
Eric Orion Biao, coordonnateur de l’Education aux droits humains à Amnesty international Bénin précise qu’il est généralement attribué des zones de service à chaque serveuse et que celle-ci est rendue responsable de tout ce qui se passe comme incident dans son secteur. Un verre cassé, une bouteille brisée ou encore une chaise endommagée, c’est le salaire de la serveuse qui en pâtit.
La plupart des promoteurs de bar que nous avons rencontrés laissent entendre que les serveuses sont en partie responsables de ce qui leur arrive ! Ils ne nient généralement pas les faits d’exploitation sexuelle et économique mais ils tentent, par contre, de se défendre. Promoteur du bar “Le Parisien“ à Parakou, Moubarak Ali Yérima laisse entendre que des efforts sont consentis pour protéger les serveuses des clients mais déplore que ces dernières… ne leur facilitent pas la tâche : « elles sont prêtes à tout pour se faire de l’argent. En voulant protéger ta serveuse, tu peux être mal vu car tu te rends compte qu’elle avait déjà une liaison avec le client’’ affirme-t-il, estimant qu’il revient d’abord à la serveuse de se faire respecter.
Interrogé sur les défalcations arbitraires faites sur les salaires des jeunes femmes, il accuse les serveuses de faire preuve de mauvaise foi. D’après lui, la serveuse, dès qu’elle a faim, ne se contente pas de demander un prêt mais se permet de retirer de l’argent dans la caisse. “Elle peut enlever 2000FCFA ou 5000FCFA pour se tresser et quand vous lui demandez des comptes, elle feint de ne pas comprendre où esst passé l’argent manquant…Elles se dévoilent parfois lorsqu’il y a une mésentente entre elles’’ prétend le promoteur du bar “Le Parisien’’. A la question relative aux défalcations pour retard, il affirme “Oui je le fais régulièrement car si la serveuse est en retard, cela handicape le business car nous avons un système rotatif pour leur permettre de récupérer. Des serveuses, après le boulot, au lieu d’aller dormir, vont chez le client et passent toute la journée avec lui ».
Moubarak Ali Yérima reconnaît tout de même que des promoteurs de bar abusent de serveuses même s’il laisse entendre qu’elles sont elles-mêmes responsables de l’image de prostituée qu’on leur attribue. Selon ses propos, elles décident de se livrer aux clients pour avoir plus de revenus en dehors du salaire.
Quant à la rémunération, il justifie les très maigres salaires par le fait que les promoteurs prennent en charge l’hébergement. Si on l’écoute, impossible pour un promoteur de bar de payer un salaire à hauteur du Smig en raison de l’hébergement offert à ces dernières.
Une position que ne partage pas tous les promoteurs. Agbohessou Noël à la tête du bar “New City“ pense qu’il y a nécessité de corriger le tir et qu’il faut payer au Smig les serveuses qui travaillent trois fois plus que les salariés ordinaires : “Il faut ralentir cette exploitation abusive de serveuses’’. Sur les abus sexuels dont sont victimes les serveuses, sa position est tout différente et beaucoup plus cynique : « Les hommes en général veulent aller se distraire dans les débits de boissons, et cela implique ces attouchements inacceptables, non consentis aux serveuses. Le patron mène une activité qui doit lui rapporter de l’argent, s’il réprimande tout de suite, il peut perdre ses clients…Donc ce n’est pas de gaité de cœur que le promoteur essaie de fermer les yeux sur certains dérapages de ces clients’’.
Membre du bureau directeur de l’Association nationale des promoteurs de bars-restaurants du Bénin (Anaprobar), Nina Rafath Konou est promotrice du bar “Le Refuge des intimes“ à Akpakpa à Cotonou. Pour elle, l’avènement des soirées “WOLOSSO“ a impacté négativement le vécu actuel des serveuses de bar. “Dans mon bar, je dis aux gens, serveuses, caissiers et gérant que si un client les emmerde, qu’elles demandent à une autre serveuse de s’en charger ; il est demandé aussi au gérant de ne pas s‘en prendre à une serveuse qui refuse de servir un client. J’ai déjà vu des clients irresponsables qui débarquent, prennent une bière de 600FCfa et demandent à toucher les seins de la serveuse…J’apprends surtout aux filles à ne pas s’engueuler avec les clients en leur demandant de trouver des astuces pour calmer le client tout en lui promettant d’être à lui dès qu’elle trouve un temps de répit. Mais je confirme qu’il y a des bars, poursuit Nina Rafath Konou, où des promoteurs obligent des serveuses à se prostituer surtout dans les lieux qui font des soirées “Wolosso’’. On leur demande d’aller danser, souvent nues, ou d’aller s’asseoir sur les cuisses des clients ou même d’assouvir leur appétit sexuel’’.
La représentante de l’Association nationale des promoteurs de bars-restaurants du Bénin (Anaprobar) prétend qu’il n’est pas envisageable de payer des salaires de 52000FCFA, soit le Smig, au regard des charges d’un bar. Nina Rafath Konou affirme verser 25 000FCFA de salaire à ses serveuses, avec la possibilité de leur faire des cadeaux à la fin du mois en guise de motivation. L’Association recommande des salaires de 25 à 30 000FCFA ou 35 000FCFA si le bar enregistre suffisamment de revenus mensuellement.
Quant à la question des abus sexuels, Nina Rafath Konou se souvient avoir fait arrêter un militaire, promoteur de bar à Missérété (Département de l’Ouémé), qui avait infligé des sévices corporels à l’une de ses serveuses, une togolaise ayant refusé de passer la nuit avec lui : “Quand j’ai appris que c’était l’habitude du patron d’agresser les serveuses qui refusaient d’avoir des relations intimes avec lui, j’ai contacté le chef brigade de la localité qui l’a fait arrêter et placé en garde-à-vue pendant trois jours. Mais il a fait jouer ses relations et il a été relâché après avoir assuré la prise en charge de la jeune femme qui, à la suite des mauvais traitements, s’est vue contrainte de porter des verres de vue’’.
La responsabilité des démarcheurs
Alors que leur rôle est souvent minoré, les démarcheurs sont pourtant co-responsables de la situation des serveuses de bar au Bénin. Selon les témoignages de plusieurs serveuses de bar que nous avons rencontrées, et bien qu’ils soient informés des conditions de travail, les démarcheurs ne disent, au départ, presque jamais la vérité aux serveuses. Il ressort de nos investigations, que ceux-ci font miroiter de bonnes conditions de travail aux serveuses. Et ce, pour se garantir une commission de 10 000Fcfa auprès du promoteur du bar.
Déborah en veut toujours à son démarcheur qu’elle accuse d’être responsable de ce qu’elle vit : “Ils savent qu’une fois que tu quittes Lomé (Togo) ou ton village, tu es obligée de travailler pour rentrer chez toi si cela est ta seule issue de sortie. Quand j’ai rencontré mon démarcheur par le biais d’une amie, il m’a dit que j’allais être logée dans une maison équipée et que j’allais percevoir entre 60 et 70 mille avec des primes qui pourraient s’ajouter. Il m’a même dit que le bar ferme ses portes à minuit. En réalité, je suis logée dans une entrée où je dors avec quatre autres serveuses. Je n’ai jamais perçu 30 000FCFA. Ce sont des personnes malhonnêtes, ces démarcheurs“.
Si les démarcheurs disparaissent, en général, après avoir placé la serveuse dans un bar, d’autres continuent de tirer les ficelles dans l’ombre. Et dans ce cas, ce sont les promoteurs de bar qui se disent abusés. “Je n’aime plus avoir à faire aux démarcheurs, ce sont des bandits’’, témoigne Nina Rafath, promotrice du bar “Le Refuge des intimes“. Pour une serveuse, ils te demandent une commission de 10 000FCFA ainsi que les frais de transport de la fille. Quelques jours après, tu te rends compte que le démarcheur commence par contacter la serveuse à nouveau et quand tu vois le démarcheur débarquer sur les lieux, sache que d’ici le soir, tu ne verras plus la serveuse. Il va la placer auprès d’un autre promoteur de bar et prendre de nouvelles commissions“. Nina Rafath préfére désormais démarcher elle-même, les jeunes femmes.
“Si une serveuse arrive à faire trois mois dans votre bar, c’est un cas exceptionnel… Ce sont les démarcheurs qui vous les proposent et ils passent encore derrière pour les transférer ailleurs et négocier une nouvelle commission“ assure également Agohessou Noël, promoteur de bar. Le recrutement des serveuses ne répond à aucune règle rigoureuse étant donné qu’elles viennent généralement du Togo et du Nigéria. Le recrutement n’est pas organisé puisqu’elles ne sont pas stables’’.
Selon Moubarak Yérima, autre promoteur de bar, il n’est pas rare de payer une commission à un démarcheur ainsi que le transport de la serveuse et puis celui-ci disparaît sans amener la serveuse comme promis.
La plupart des démarcheurs que nous avons contactés ont nié au départ être dans ce business. Après plusieurs échanges téléphoniques, deux d’entre eux finissent par accepter de nous rencontrer mais ils ne se rendront jamais disponibles et ne répondront pas à nos questions.
Selon Mathieur Kakpo du RAO, les démarcheurs se rassemblent dans des groupements informels mais ils font tout pour ne pas donner de preuve de leur existence. Certains démarcheurs prélèvent même des pourcentages sur les revenus mensuels des filles.
Quelles voies de recours ?
Difficile de trouver les traces d’une décision de justice rendue à la suite d’une plainte de serveuses de bar. Et si ces décisions existent, elles sont soit en nombre insignifiant et pas perçues du tout par l’opinion publique. En cause, le poids du silence qui règne dans le milieu des bars : la peur ou l’ignorance des serveuses en matière de recours, constituent un handicap à l’application des dispositions légales en leur faveur.
Au Centre de promotion sociale d’Akpakap 2 comme à celui de Xwlacodji (département du Littoral) ou de Suru-Léré, pas de traces de dépôt de plaintes de la part de serveuses de bar. Si quelques-unes se rendent dans les commissariats de police dont la Brigade des mœurs, on constate que très peu de serveuses osent se plaindre ou intenter une action en justice, car elles sont le plus souvent intimidées ou menacées.
Me Josette Attade Tokpanou, Chef Pôle des affaires juridiques à l’Institut national de la femme (INF) confie néanmoins que de plus en plus de serveuses de bars se rapprochent de l’Institut pour se plaindre de leur situation. Elle affirme également que des actions en justice ont été entreprises par l’INF sur la base des plaintes des serveuses de bars.
De son côté, Eric Orion Biao, coordonnateur à l’éducation aux droits humains à Amnesty international Bénin, estime que 90% des serveuses rencontrées lors d’une enquête ont déclaré ignorer l’existence de mécanismes de protection. Quant à celles, très rares, qui ont témoigné avoir fait des démarches vers des structures de protection, souvent, elles n’ont pas été prises au sérieux : “ De l’avis des travailleurs de ces structures de protection, elles sont globalement responsables de ce qui leur arrive. Les serveuses, se retrouvent livrées à elles-mêmes“ déplore Eric Orion Biao.
Directeur des normes et de la statistique du travail au Ministère du travail et de la Fonction publique, Raymond Zounmatoun estime que les serveuses de bars constituent une catégorie particulière de travailleurs vulnérables parce qu’évoluant dans le secteur informel, un secteur de grande précarité. Il reconnaît également les conditions rudes de travail imposées par les promoteurs de bars, les obligeant à travailler comme des “forçats’’ avec à la clé, une rémunération dérisoire nettement en dessous du Smig béninois, sans compter les retenues : “le salaire ne représente plus rien et parfois, certaines serveuses se retrouvent même avec une dette à l’égard de l’employeur’’ assure Raymond Zounmatoun.
Si “du point de vue du droit, les serveuses ne devraient pas être différentes des autres travailleurs, la législation n’est pas très bien appliquée à leur égard’’ admet le directeur du Ministère du travail qui déplore un manque de protection sociale pour celles-ci. « Elles sont exposées à des risques sociaux, violences physiques et psychologiques, elles sont à la merci des clients ou de l’employeur, nous sommes bien conscients de çà’’ dit le cadre du Ministère qui évoque quelques initiatives prises pour inverser la tendance. Outre la mise en place de la Brigade des mœurs, il fait état d’actions de sensibilisation des acteurs, promoteurs de bars et serveuses. Une campagne qui aurait permis de découvrir plusieurs filles mineures employées comme serveuses dans les débits de boissons. Notons, par ailleurs, qu’à ce jour, aucune étude spécifique n’a été menée sur cette cible par les autorités béninoises. “Nous n’avons pas de données concrètes’’ a-t-il reconnu.
Les rares serveuses qui ont pu saisir l’Inspection du travail ont été encouragées à formuler des plaintes transmises aux juridictions. “Nous avons aujourd’hui une législation très rigoureuse pour ces situations de harcèlement sexuel et autres violences en milieu du travail. Les juges ont des outils pour décourager. La loi et les mécanismes organisent bien la protection des serveuses. Il faut que les victimes dénoncent. Parfois, il y en a qui abandonnent car elles subissent des pressions y compris de la part de leur propre famille, ce qui rend difficile la mise en œuvre des mesures règlementaires au profit des cibles“ constate le Directeur des normes et de la statistique du travail qui déplore, par ailleurs, un défaut de communication autour des décisions de justice rendues à cet effet. Décisions qui pourraient avoir un effet dissuasif et contribuer à améliorer la situation des serveuses de bar.
Avec le processus de ratification, actuellement en cours au Bénin, de la convention 189 de l’OIT sur le travail domestique, Raymond Zounmatoun voit une lueur d’espoir quant au renforcement du cadre juridique protégeant cette catégorie de travailleuses. Par ailleurs, il admet que la ratification depuis 2018 de la convention des Nations Unies sur les travailleurs migrants reste une avancée majeure.
Saisie par correspondance, la Direction générale de la police républicaine nous a orienté vers son unité spécialisée, la Brigade des mœurs. Le commissaire de la Brigade des mœurs, Séraphin Lossikinde nous a fait savoir que des plaintes des serveuses de bar y sont enregistrées même si la brigade n’est pas assez connue du public. Selon ce commissaire de police, la plupart des actions de sensibilisation et missions de contrôle des débits de boissons ont permis de retirer plusieurs mineures des bars. Faisant le point d’une récente tournée d’inspection dans cinq départements, il a confié que 18 mineures ont été retirées des bars dans le Zou, une douzaine dans l’Atacora, une quinzaine dans la Donga, 38 dans le Borgou et une vingtaine dans l’Alibori. Ceci, démontre à l’évidence que des filles mineures continuent d’être employées dans les bars.
Le commissaire de police Séraphin Lossikinde pointe du doigt la situation de grande vulnérabilité de ces très jeunes filles, les obligeant à se plier aux conditions imposées par les promoteurs de bars. Il n’a pas manqué d’encourager les victimes à se rapprocher de la brigade des mœurs pour se plaindre afin que justice leur soit rendue conformément à la législation en vigueur en République du Bénin. Il plaide, par ailleurs, pour que des moyens, notamment roulants, soient mis à la disposition de cette unité spécialisée de la police dans l’optique de renforcer son aspect opérationnel.
Lutte contre la traite des personnes au Bénin : ça tangue encore…
Le Bénin est classé parmi les pays dont les gouvernements ne se conforment pas entièrement à toutes les normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, mais font des efforts importants pour se mettre en conformité avec ces normes (niveau 2 selon le rapport du Bureau du département d’État américain chargé de surveiller et de combattre la traite des personnes sur la traite des personnes, ou encore en anglais TIP Report). Le pays stagne dans cette catégorie de pays de niveau 2 depuis plus de cinq ans. Ce qui veut dire, selon les critères américains de classement des pays, que le nombre absolu de victimes de formes graves de traite est très important ou augmente considérablement ; ou encore qu’il n’y a pas eu de preuve de l’intensification des efforts de lutte contre les formes graves de traite des personnes.
Selon ce même rapport 2023 du Bureau du département d’État américain, le gouvernement n’a pas respecté les normes minimales dans plusieurs domaines clés bien que des efforts aient été consentis notamment en ce qui concerne la poursuite et la condamnation d’un plus grand nombre de trafiquants, et aussi l’identification d’un nombre beaucoup plus important de victimes de la traite et l’orientation de ces victimes vers les services de protection. « Le gouvernement ne dispose pas de services de protection adéquats pour les adultes », renseigne par ailleurs le rapport 2023. “Le gouvernement a déclaré avoir poursuivi 176 personnes pour traite, dont 101 pour trafic sexuel, 3 pour travail forcé et 72 pour formes de traite non précisées, contre quatre cas de traite d’enfants… Il a signalé des poursuites contre 312 personnes et déclaré avoir condamné 94 trafiquants, dont 92 pour trafic sexuel et deux pour trafic de travail, contre 11 condamnations’’ informe ce rapport. Il est également mentionné l’absence d’un système efficace de collecte de données.
Conscient de la nécessité de renforcer l’efficacité de la lutte contre la traite des personnes au Bénin, le gouvernement béninois a mis en place depuis 2017, un Comité national de lutte contre la traite des personnes (Cnltp). Sont membres dudit Comité, des représentants du Ministère de la justice, du Ministère des affaires sociales et de la microfinance, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l’économie et des finances (Instad), du Ministère du travail et de la fonction publique, du Ministère de l’intérieur et de la sécurité publique et du Ministère du développement et de la coordination de l’action gouvernementale ainsi que du Plan International Bénin et du Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection des enfants (RAO).
Si le Comité est depuis, opérationnel, il n’a mené encore aucune intervention spécifique concernant la situation des serveuses de bars au Bénin, selon Mathieu Sagbo Kakpo, coordinateur national du RAO. Ces derniers mois, le Comité a plutôt mis l’accent, selon cet expert, sur le renforcement des capacités des acteurs impliqués dans la lutte contre la traite des personnes.
Roland Djagali de Plan international Bénin confie que l’organisation ne mène pas d’interventions spécifiques orientées vers ce secteur des serveuses de bars. Et d’ajouter que la Direction générale de l’évaluation et de l’observatoire du Changement social (Dgeocs) du ministère du Développement est la plus indiquée pour toucher cette cible. Contactée, la Dgeocs estime de son côté qu’il faut plutôt se référer au Comité national de lutte contre la traite des personnes.
L’Office de protection des mineurs et de lutte contre la traite des personnes (Ocpm) joue également un rôle prépondérant. Contacté, l’Office estime que l’exploitation des mineurs dans les débits de boissons reste une problématique préoccupante. “Le phénomène est réel car il s’agit souvent de jeunes filles adolescentes exploitées économiquement et/ou sexuellement, manipulées par les promoteurs, les gérants, tenanciers de bars ou clients’’ atteste l’Ocpm qui précise que généralement, ces dernières sont de nationalité togolaise et nigériane et parfois quelques béninoises venues des contrées du pays. Quant aux données statistiques liées aux enfants victimes de traite au Bénin, l’Office parle de 96 enfants en 2021, 50 en 2022 et 14 en 2023.
La Présidente de l’Institut national de la femme (INF), Me Huguette Bokpè Gnacadja, contactée à plusieurs reprises, n’a pu également se rendre disponible pour apporter des éléments de réponses à nos préoccupations.
Le Bénin bénéficie de l’appui d’Expertise France ; cette agence française d’expertise technique internationale intervient dans le cadre du Projet d’Appui à la Lutte contre la Traite des Personnes dans les pays du Golfe de Guinée (ALTP). Un projet financé par l’Union européenne, cofinancé par la France et mis en œuvre dans six pays : le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Ghana et le Nigeria. Ce plan s’est fixé pour but le renforcement des actions et des capacités de ces pays pour une lutte coordonnée et efficace contre la traite des êtres humains : consolidation des capacités institutionnelles et opérationnelles, développement d’actions préventives, application effective des lois, protection adéquate des victimes et renforcement de la coopération régionale.
En attendant que toutes ces actions portent enfin leurs fruits et dans l’espérance d’une vie meilleure, les serveuses de bar subissent leur sort en silence et dans l’indifférence.
AZIZ BADAROU
Le Bénin face à la traite des personnes
Décrite comme une forme de criminalité lucrative en pleine croissance, la traite des personnes s’appuie sur le recrutement de victimes par divers moyens, tels que la violence, la tromperie, la contrainte ou la force, aux seules fins d’exploitation. Selon Interpol, les trafiquants utilisent des méthodes de plus en plus élaborées et personnalisées pour cibler et exploiter des personnes vulnérables, avec un profond mépris de la vie et de la dignité humaines.
Selon l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (dit « Protocole de Palerme, » adopté en 2000 et entré en vigeur en 2003), la traite des personnes signifie le recrutement, transport, transfert, l’hébergement ou l’accueil des personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte dont l’enlèvement, la fraude, la tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages. Ceci, pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend au minimum l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, ou le prélèvement d’organes.
Il est donc établi trois aspects fondamentaux du phénomène de la traite à savoir l’acte de recrutement et de transport, les moyens avec lesquels cela est fait, et le but qui doit être l’exploitation. En Afrique de l’Ouest, l’une des formes les plus courantes de traite d’êtres humains est l’exploitation de la main-d’œuvre, qui se traduit différemment d’un pays à l’autre. Le point commun reste la vulnérabilité socio-économique des victimes, associé à l’incapacité des pouvoirs publics de réglementer, d’identifier et de réprimer efficacement les pratiques illicites en raison d’un manque d’outils et de ressources.
Selon l’Unesco, le Bénin connaît une traite transfrontalière et interne. Le pays s’est doté d’un arsenal juridique pour renforcer la lutte contre la traite des personnes. Déjà en Août 2004, le Bénin a ratifié le Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ainsi que la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Ceci, après avoir ratifié depuis 2001, la Convention de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants. En 2006, le parlement béninois a adopté la loi sur les conditions de déplacement des mineurs et la répression de la traite d’enfants au Bénin. La loi rend la traite des enfants illégale et condamne les trafiquants à des peines de 10 à 20 ans de prison. Par ailleurs, la traite des adultes est interdite dans le code pénal béninois (article 372 et suivants). Le cas échéant, les tribunaux font référence aux articles du code pénal portant sur le proxénétisme. De même, les articles 499 à 504 du Code pénal criminalisent toutes les formes de trafic de main-d’œuvre et certaines formes de trafic sexuel et prévoient des peines de 10 à 20 ans d’emprisonnement.
Les serveuses de bar sont le plus souvent recrutées sur fond de violations des dispositions légales en vigueur en République du Bénin. En effet, si aux termes des dispositions de l’article 05 de la loi n°2017-05 du 29 août 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin « Tout employeur peut utiliser les services d’un travailleur étranger », l’article 26 de la loi n° 98-004 du 27 janvier 1998 portant code du travail en République du Bénin encadre mieux cette possibilité. «Pendant les deux premières années de sa résidence régulière sur le territoire et sous réserve des dispositions contraires d’un accord ou d’une convention passée par la République du Bénin, tout étranger ou immigrant ne peut exercer une activité salariée qu’en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée. »
Il ressort de cet article qu’aucun étranger ne peut valablement travailler au Bénin s’il ne détient un permis de travail dûment délivré par les autorités administratives compétentes. Ledit permis, quoique provisoire, a une durée de validité d’un an, renouvelable autant de fois. Aussi, la perte de l’emploi n’affecte pas sa validité (Article 28 Code du Travail). Selon ladite loi, toute personne physique ou morale, désireuse d’employer de la main-d’œuvre étrangère, doit s’assurer que le demandeur à l’emploi détient un permis de travail valide. Le non-respect de cette prescription par l’employeur est constitutif d’infraction prévue et réprimée par les dispositions de l’article 303 du Code du Travail. Par ailleurs, le contrat de travail doit être écrit et signé par les parties (employeur et employé). Ce contrat est soumis au visa de l’inspecteur du Travail sur présentation du permis de travail. (Article 27 Code du Travail). Aussi, l’employeur doit-il déclarer l’employé étranger à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
(1) dans un souci d’anonymat et de protection des personnes, nous avons modifié tous les prénoms
Aziz BADAROU