Afin de garantir la séparation des pouvoirs et assurer la solidité de la démocratie, la Constitution du Bénin a prévu un certain nombre d’institutions avec des prérogatives bien définies. Si l’Assemblée nationale a le pouvoir de légiférer et de contrôler l’action du Gouvernement, le chef de l’Etat est, pour sa part, dépositaire du pouvoir de promulgation en tant qu’exécutif. La Cour constitutionnelle, quant à elle, est le garant de la conformité des lois et des actes réglementaires avec la Constitution. Elle protège en outre les droits des citoyens. Le récent recours introduit par le sieur Codjo Gbeho et les débats qui en ont émergé ne sont pas de nature à garantir la sérénité des sujets de droits que sont les citoyens béninois.

Aucune œuvre humaine n’est parfaite dit-on. Mais cette assertion ne devrait pas devenir une échappatoire pour masquer les tares de nos institutions. Une démocratie forte, c’est d’abord des institutions fortes avec en leur sein, des hommes et femmes éclairés. Ce principe est d’ailleurs réaffirmé par la Cour constitutionnelle in fine dans sa décision DCC 24-001 du 24 janvier 2024 en ces termes : « or, il incombe au législateur d’exercer pleinement sa compétence en adoptant des lois claires, intelligentes et accessibles afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou le risque d’injustice ou d’arbitraire ».

Mieux, l’article 97 de la Constitution du Bénin dispose que les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution. Une loi organique s’entendant une loi qui fixe les règles de fonctionnement et d’organisation des institutions publiques, notamment celles prévues par la Constitution, elle est généralement utilisée pour réglementer des domaines comme l’élection des représentants, l’organisation des pouvoirs publics ou d’autres questions constitutionnelles.

En clair, la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant Code électoral et sa loi interprétative et complétive du 04 juin 2020 sont des lois organiques. Par conséquent, elles sont censées avoir suivi le processus décrit à l’article 97 de la Constitution à savoir : le vote par l’Assemblée nationale ; la déclaration par la Cour constitutionnelle de la conformité de la loi avec la Constitution et enfin la promulgation. C’est dire donc qu’une loi promulguée par le Président de la République est sensée avoir été passée aux cribles des sept Sages dont des juristes de haut rang, des magistrats expérimentés, des professeurs de droit ou des personnalités reconnues pour leur expertise en droit constitutionnel.

Dans ce contexte, aucune place n’est laissée à l’amateurisme et aux approximations. Mais que s’est-il passé en 2019 et 2020 ? Le Code électoral n’a-t-il pas été étudié en commission des Lois au Parlement ? la Loi n’a-t-elle pas été parcourue par les députés de la 8ème législature ? Si oui, qu’est-ce qui justifie ce chevauchement de calendrier évoqué avec beaucoup de gène par Patrice Talon lors de sa dernière conférence de presse ? La loi n’a-t-elle pas transité par la Cour constitutionnelle pour le contrôle de conformité avant d’être transmise au chef de l’Etat pour promulgation ? En quoi a alors consisté le contrôle de conformité à priori exercé par la Cour constitutionnelle ? Comment des élites de ce rang, des illuminés si compétents dans un désert de compétences, n’ont-ils pas pu percevoir ce que le petit citoyen Gbeho du lot 3672 de Akogbato a su déceler et si brillamment exposé dans son recours.

Trois motifs pourraient justifier cette méprise. Soit cela a été fait sciemment pour s’en servir au dernier moment dans un scénario à la Macky Sall, sans prévoir qu’un certain Gbeho au flair de furet passerait par là et sentirait le coup à trois ans de l’échéance prévue, soit les institutions ont péché par légèreté, soit enfin l’empressement avec lequel le camps présidentiel voulait organiser les élections d’alors en raflant tous les sièges au Parlement et aussi les 77 fauteuils de maires des communes ne lui a pas permis d’aborder le texte avec le recul et la sérénité qui s’imposaient. La loi rectificative et modificative intervenue quelques mois après celle de 2019 est la parfaite illustration de cette précipitation.

Au finish le résultat est là, gros comme le nez sur le visage, même si le Chef de l’Etat évite d’identifier les responsables avec la subtilité qu’on lui connait. Pendant ce temps, les auteurs de cette expédition suicidaire de 2019 et 2020 se pavanent encore au sein de nos institutions et dans certaines instances de leurs formations politiques avec des manteaux de juristes de haut rang ou de politiques avérés.

A quand la fin des rétropédalages ?

Outre le cas du Code électoral promulgué dans les conditions décrites ci-dessus, d’autres actes réglementaires de la République ont été édictés avant que les autorités chargées de leur application ne se rendent compte qu’ils comportent de graves insuffisances. C’est le cas des décrets pris en 2022 par le chef de l’Etat au sujet de la revalorisation du point indiciaire et du paiement des sursalaires aux fonctionnaires publics.

Alors que les agents de l’administration d’Etat et ceux des communes sont régis depuis 2017 par le même et unique statut général de la fonction publique, il s’est trouvé un ministre pour distinguer là où la loi n’a pas distingué. C’est ainsi que par un message radio datant de mars 2023, le ministre de la Décentralisation a interdit aux communes d’appliquer les décrets 700 et 701 du 07 décembre 2022 malgré leur portée générale. Au soutien de son message radio inique, le Ministre Akotègnon, argue des disparités observées au sein des communes en ce qui concerne la mobilisation des ressources financières. Cet argument, faut-il encore le rappeler, est boiteux en ce sens que l’ordonnancement juridique du secteur de la décentralisation a prévu une catégorisation des communes en fonction de critères bien déterminés dont notamment le niveau de mobilisation de ressources financières.

C’est pour cela que depuis la réforme de la décentralisation, les Maires, les Secrétaires exécutifs et les cadres techniques tirés au sort, n’ont pas la même rémunération dans les communes à statut particulier que dans les communes à statut intermédiaire et ordinaire. Si cette disparité est consacrée par des actes réglementaires, pourquoi ne vaudrait-elle pas quand il s’agit des sursalaires pour les autres agents qui officient dans les communes ? Face à cette injustice flagrante, les agents des communes qui se sont déjà constitués en une fédération nationale seraient en train de se mobiliser pour déclencher une paralysie des communes dans les jours à venir.

M.M

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