Choqué par les images de fesses presque nues qui ont marqué la célébration des Vodun Days, l’ancien président Nicéphore Soglo a fait une déclaration. A ses dires, la religion n’est pas de la pornographie, un carnaval, une provocation, une profanation avec des images choquantes et insoutenables.
Déclaration du président Nicéphore Dieudonné Soglo à propos des manifestations du ‘’vodun days’’
Cotonou le 12 janvier 2024
Béninoises, Béninois,
Chers compatriotes,
Je remercie encore nos compatriotes qui ont célébré dans la dignité, la joie et le recueillement notre fête religieuse.
Je partage la colère de ceux qui ont été choqués, écœurés, scandalisés par les scènes de pornographie qui ont émaillées ce jour sacré. Un journal humoristique a même titré je cite : ‘’Cri de ralliement autour des vodou day ‘’Tous à Culdah !’’.
C’est une insulte à ‘’Ouidah 92’’ et au discours que j’ai prononcé ce jour-là, et qu’il faut qu’on publie à nouveau et que j’assume fièrement. Car, c’est un travail scientifique et historique. La religion n’est pas de la pornographie, un carnaval, une provocation, une profanation avec des images choquantes et insoutenables.
La religion est la voix par laquelle tous les peuples de la terre vont vers leur dieu, le créateur du ciel et de la terre. Jugeons plutôt :
Chez les envahisseurs et colonisateurs venus d’Europe Occidentale, et dont mon maître à penser Aimé Césaire a dit justement dans son fameux Discours sur le colonialisme (qu’on doit désormais enseigner dans toutes les écoles primaires) que l’Europe est comptable devant la communauté humaine, du plus haut tas de cadavres de l’histoire. La religion de ces envahisseurs, de ces colonisateurs barbares, est le christianisme et le protestantisme.
Le dominicain Las Casas nous a décrit le visage hideux du christianisme que Christophe Colomb a présenté aux Amérindiens. Quand on lit son récit et celui du grand intellectuel et écrivain français Alexis de Tocqueville dans son livre De la démocratie en Amérique, on a envie de vomir.
Chez les colonisateurs musulmans, le Prophète Mahomet a imposé pendant l’hégire la guerre sainte, l’Islam au Moyen-Orient et sur la rive africaine de la Méditerranée par le fer et le feu : c’est le djihad.
Rien de tel :
Chez les Indous qui adorent Bouddha ;
Chez les Chinois qui adoraient Confucius ;
Chez les Japonais qui adorent le Shinto ;
Chez les Pharaons Noirs d’Egypte, ancêtres des Ethiopiens, qui ont descendu la vallée du Nil, les dieux sont innombrables comme chez les Peaux rouges d’Amérique avec leur Totem ou en Afrique noire avec notamment le Fa, l’Ifa etc…
Je ne saurais terminer sans rendre un hommage mérité à l’un des grands artisans de notre célèbre Conférence Nationale Souveraine de février 1990, au digne successeur du pape noir que nous n’avons jamais eu, le Cardinal Bernardin Gantin : je veux parler de l’Archevêque Isidore De Souza.
Je ne pouvais surtout, surtout après la rencontre de tous les déportés noirs, à Ouidah 92, parler de l’histoire des peuples noirs sans tomber hélas, sur l’histoire de sa famille. Ce serait travestir l’histoire, mentir et il m’en a voulu hélas jusqu’à sa mort.
Le Bénin se trouve sur cette partie de la Côte Atlantique que les Géographes appelaient naguère encore la Côte des Esclaves. Dans ce pays chargé d’histoire, nous ne pourrions pas, même si nous le voulions, oublier la traite négrière. Tout nous y fait penser, depuis l’ancien Fort Portugais et les vestiges des Forts Français et Britannique de Ouidah jusqu’aux emplacements qui, à Porto-Novo, à Calavi et ailleurs, s’appellent encore de nos jours, dans les langues locales, ‘’Marché d’Esclaves’’, en passant par les ruines du Palais Royal d’Allada, où vivait le grand-père de Toussaint Louverture – oui, le fameux Général qui joua le rôle que l’on sait dans la libération d’Haïti sous la Révolution Française. Toussaint Louverture était Dahoméen sans compter l’architecture des vieux immeubles de style brésilien construits à Porto-Novo et Ouidah par les affranchis revenus du Brésil, les nombreuses familles qui portent encore aujourd’hui des prénoms portugais ; de Souza, da Silva, d’Oliveira, Freitas, Vieyra… pour ne citer que quelques-uns.
Tout au Bénin, nous fait penser à ce honteux trafic de main-d’œuvre servile, et au lourd tribut que nos peuples ont dû payer, à leur corps défendant, au développement et à l’enrichissement des pays aujourd’hui industrialisés, comme j’ai eu l’occasion de le dire à Nantes le premier port négrier français, en novembre 1993, au cours d’une visite de l’Exposition qui porte si bien son nom ; ‘’Les Anneaux de la Mémoire’’.
Le vodou Haïtien est un avatar du culte vodou toujours célébré à ce jour en pays Ajafon, au Sud-Bénin et au Sud-Togo, que le Candomblé Brésilien est héritier du culte des Orishas, toujours pratiqué à ce jour dans toute l’aire culturelle yoruba, au Sud Bénin et au Sud-Nigéria ; que le fon, le mahi et le yoruba, langues vernaculaires de chez nous, servent encore aujourd’hui comme langues sacrées outre Atlantique ; que la ville de Kétou, dans le département de l’Ouémé, au Bénin, Kétou, au cœur du pays yoruba, avec sa porte magique construite au 17ème ou au 18ème siècle, est aujourd’hui, dans l’imaginaire des adeptes du Candomblé, une ville Sainte.
Ouidah est aujourd’hui le rendez-vous de la mémoire assumée et l’acte fondateur d’un dialogue solidaire autour d’un patrimoine commun le projet de la Route de l’esclave. Une volonté d’assumer un fait historique majeur longtemps occulté : le commerce triangulaire de la traite négrière. Symbole de toutes les violences, le commerce triangulaire a été, d’une manière générale, soit passé sous silence, soit traité furtivement dans les programmes d’histoire comme un épisode des relations entre l’Europe et l’Afrique.
C’est ce qui m’a amené à la Conférence générale de l’UNESCO à citer le Prix Nobel de la Paix Elie Wiesel : ‘’Le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence’’, l’oubli.
Je vous remercie.
Nicéphore Dieudonné SOGLO
Ancien Président de la République
Ancien Maire de la ville de Cotonou
Vice-Président du Forum des Anciens Chefs d’Etats et de Gouvernements d’Afrique, créé en 2006 à Maputo sous le haut patronage du vénéré Nelson MANDELA