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Comment les africains doivent tourner la page de La Conférence de Téhéran ?

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Il y a 80 ans exactement, le 28 novembre 1943, pendant que les combats faisaient rage durant la Seconde Guerre Mondiale, la Conférence de Téhéran réunissait trois hommes – Staline, Roosevelt, et Churchill – qui allaient façonner non seulement l’issue de la guerre, mais aussi les contours de notre monde actuel. Cet événement historique est l’un des trois sommets avec Yalta et Postdam qui ont posé les bases du nouvel ordre mondial dans lequel nous vivons actuellement et qui continue de s’imposer à nous africains.

C’est lors de ce sommet qu’il a été décidé de la synchronisation des opérations aussi bien sur le front Ouest (opération Overlord sur la façade Atlantique) que sur le front Est (front russe) pour pouvoir réduire à néant la Wehrmacht. Ce qui fut traduit par le Débarquement de Normandie en 1944 et l’avancée de l’armée russe en Europe.

Ces discussions à Téhéran ont surtout jeté les bases d’une organisation pour réguler le système diplomatique mondial. Et pour tirer les conclusions de l’échec de la Société des Nations et rassurer Staline qui était sceptique, Roosevelt lui fait la promesse que les grands gagnants de la Guerre (Grande Bretagne, Etats Unis, Russie et son allié la Chine) auront un droit de veto sur toutes les décisions prises dans cette organisation. Ces esquisses aboutiront à la Création de l’Organisation des Nations Unies à San Francisco en 1945 dotée de plusieurs organes dont le Conseil de sécurité, le principal responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ce conseil sera composé de 5 membres permanents et de 6 non permanents, qui furent portés à 10 en 1963. Les membres permanents dotés du droit de véto étaient les grands gagnants de la Guerre avec la France qui s’ajouta sur pressions du Général de Gaulle. Bien que l’ONU et son Conseil de Sécurité aient leurs défauts, leur existence même est un testament de l’espoir post-guerre pour un monde plus pacifique et uni.

Néanmoins, le monde a changé : le mur est tombé, la guerre froide avec lui. Le monde de 1945 n’est plus le même qu’aujourd’hui. De l’eau a coulé sous les ponts… Les rivalités économiques ne sont plus les mêmes. Les grands gagnants de la guerre ne sont plus les 5 premières puissances économiques mondiales. Cet ancien monde a laissé la place à un monde multipolaire marqué par la montée en puissance des puissances émergentes avec de nouveaux dirigeants déterminés à mettre en avant leur singularité. L’essor des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a rebattu les grands enjeux géostratégiques. A Johannesburg, en Août 2023, les BRICS ont acté l’entrée de six nouveaux membres (Argentine, Egypte, Ethiopie, Arabie Saoudite, Iran et Emirats arabes unies) au 1er janvier 2024. Ces 11 pays pèseront 30% du PIB mondial dès 2024. Cette puissance économique ne se traduit toujours pas au niveau du conseil de sécurité où les membres permanents sont les mêmes et disposent du droit de veto à leur bon vouloir.

Ce même droit de veto a été utilisé maintes fois pour bloquer des résolutions des Nations Unies. Il fut brandi tour à tour par les Etats Unis pour protéger Israël des sanctions, par la Russie en Ukraine et toujours par la Russie accompagnée cette fois ci par la Chine pour protéger Bachar el Assad en Syrie. Tous ces usages du « veto » démontrent que ce droit est devenu un moyen pour contourner le droit international ou pour protéger des alliés. C’est ainsi que bon nombre de résolutions des Nations Unies furent bloquées par un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité bien que ces résolutions étaient soutenues par la majorité des membres.

Ce constat d’une Organisation de moins en moins démocratique a soulevé de nombreuses interrogations sur la viabilité d’un tel modèle. Même s’il faut reconnaitre que le système mondial actuel nous a préservé d’une 3e Guerre mondiale depuis bientôt 80 ans, elle n’a pas pu empêcher les crises répétées dans le proche et dans le moyen orient, la Guerre en Ukraine et les multiples théâtres de guerre en Afrique et dans le monde depuis 1945.
En Afrique nous ne sommes pas restés en marge. Le Consensus d’Ezulwini, adopté en 2005, par l’Union africaine, prône une meilleure prise en compte de l’Afrique dans le Conseil de Sécurité, demandant deux places de membres permanents et deux places de membres non permanents.

Ce plaidoyer pour un monde plus juste est légitime car « avec ses 54 pays membres et 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique représente plus d’un quart des membres de l’ONU, 18 % de la population mondiale et 50 % des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité » selon le Centre Régional d’information pour l’Europe Occidentale.
L’occident est à la croisée des chemins. Soit elle adopte cette réforme qui nous replacera comme acteurs et non spectateurs des grands enjeux géopolitiques soit l’intérêt des pays émergents, et plus particulièrement des pays africains sera donc de s’investir plus dans les BRICS.

Nous n’oublierons pas l’investissement personnel du Président Boni YAYI lors des Assemblées Générales des Nations Unies où alors Président de l’Union Africaine, il a souhaité « l’aboutissement de la réforme du Conseil de sécurité pour en faire un organe inclusif où aura été réparée l’injustice historique faite à l’Afrique ».
L’Afrique doit jouer son rôle en continuant à prôner la réforme du conseil de sécurité des Nations Unies. Un boycott des Assemblées Générales annuelles par les pays africains pour protester contre notre marginalisation serait un premier pas, qui au-delà du symbole mettra au cœur des débats ce sujet.

Ce nouvel ordre mondial auquel nous aspirons est un monde où nous serons mieux représentés aux Nations Unies et ceci nous permettra aussi de nous poser la question de la place de l’Afrique dans les institutions de Bretton Woods (FMI) via une meilleure allocation des Droits de tirage spéciaux ou encore nos combats au sein de l’OMC contre les subventions des pays développés dans le coton qui entrainent une distorsion du marché.
Téhéran fut le début de la mise en place du nouvel ordre mondial qui régenta notre monde depuis 80 ans. Johannesburg sera-t-il le début d’un mouvement de balancier qui consacrera le multilatéralisme intégral come norme en relations internationales ? L’avenir nous le dira. Et comme António Guterres, l’a indiqué lors des dernières Assemblées Générales : « C’est la réforme ou la rupture ». Nous n’avons plus le luxe de l’immobilisme.

Chabi YAYI
Expert en Développement rural
Secrétaire au Relations Extérieures du parti « Les Démocrates »

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