Les perspectives économiques bonnes pour l’Afrique ne sont-t-elles pas des mirages, étant donné qu’elles sont souvent en déphasage avec les difficultés économiques des populations ? C’est la problématique que traite l’opposante en prison Reckya Madougou dans cette nouvelle tribune.

 

Sous le titre prometteur « Vers une croissance et une résilience plus solides », le récent numéro de Perspectives économiques en Afrique subsaharienne du Fonds Monétaire International (FMI), publié en octobre 2023 en marge des Assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, souligne l’anticipation d’une reprise économique en 2024, après quatre années de stagnation. Cependant, après les démarrages ratés, il est peut-être temps de remettre en question la vision conventionnelle qui place la croisade économique au centre de la transformation de l’Afrique.

Nous avons tous été témoins de ces annonces pompeusement optimistes dans le passé, comme celle de l’avocat essayiste Nicolas Baverez, qui en 2014 proclamait dans le Magazine le Point « L’Afrique à l’aube de ses Trente Glorieuses ». La même année, les experts de la Banque Africaine de Développement (BAD) nous ont indiqué qu’un Africain sur trois, soit 370 millions de personnes, appartiendrait à la « classe moyenne », soit 34 % des habitants du continent. C’était le 27 octobre 2014. Nous avons entendu maintes fois que nous étions sur le point de devenir la prochaine Chine. Mais, mais et mais…

Nous sommes toujours dans cette expectative contemplative, où les chiffres de croissance sont souvent acclamés mais où la réalité quotidienne de millions de personnes peine à refléter ces statistiques encourageantes. En tant qu’afro-optimiste réaliste, je ne peux m’empêcher de me demander si ces projections ne sont pas une sorte de mirage économique produisant des résultats en contradiction avec les déclarations. Les acteurs de la chaîne de valeur étatique devant jouer leur partition se contentant bien souvent de proclamer en chœur ces effets d’annonce.

Rappelons-nous l’histoire de la Sierra Leone. Autrefois surnommée la ‘petite Suisse africaine’ avec un taux de croissance de son PIB envieux de 7,2% en 1987 par exemple, elle était une destination touristique prisée. C’est d’ailleurs à ce moment que, du jour au lendemain, ce havre de paix bascula dans l’horreur, défiant toutes les prédictions basées sur le PIB.

Les chiffres n’avaient pas anticipé le drame humain, les divisions ethniques, et les atrocités qui ont suivi. La solide organisation léguée par le colonisateur britannique et qui était bien gérée par les élites krio descendant d’esclaves a connu un bouleversement majeur.

Pire, le 6 janvier 1999, Freetown, la joyeuse capitale, connut la terreur avec l’Operation no living thing (Opération plus rien de vivant) … Et cela, les logarithmes ne l’avaient pas prévu.

Dans de nombreux pays francophones d’Afrique de l’Ouest, même dans mon pays le Bénin, les taux de croissance soutenus ont été présentés comme des bouées d’espoir, mais ont-ils réellement atteint les rivages de la réduction de la pauvreté et de la stabilité sociale ? Les chiffres, parfois trompeurs, ne devraient pas nous faire perdre de vue les crises profondes qui persistent, notamment celles nées de diverses formes d’exclusion, à savoir ethnique, politique, économique et sociale. Les risques ne sont pas objectivement appréhendés et donc les instruments prévus pour leur mitigation sont complaisants dans une optique de ménager les pouvoirs publics.

N’est-il pas temps de comprendre que nous avons sans doute besoin d’une autonomie prospective et intellectuelle afin de rompre avec les modèles importés sans efforts d’adaptation ? C’est en embrassant un tel tournant décisif, tout en tirant profit des éléments qui raisonnent avec nos spécificités dans les modèles occidentaux, que nous pourrions véritablement exploiter la richesse de nos terres, qui sont parmi les plus fertiles de la planète.

Oui, c’est en Afrique que le climat parfois permet jusqu’à trois récoltes annuelles. De surcroît, l’agriculture africaine n’est pas entravée par un long hiver, un manteau neigeux. À ceux qui soulignent inlassablement que le Sahara, avec ses 9 millions de Kilomètres carrés, représente environ 25 % de la superficie du continent, il convient de rappeler que proportionnellement, il mesure moins que la toundra eurasienne ou nord-américaine. Chez eux la notion de malédiction ne fait pas partie de la conversation.

 

#Afrique #changementdeparadigme

 

Reckya MADOUGOU

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