Dans la nuit du 30 au 31 mars 2021, la veille de l’investiture du président Mohamed Bazoum à la tête du Niger, un officier avait tenté de s’emparer du pouvoir. La tentative, croit-on savoir à l’époque, avait échoué grâce à la réaction rapide de la garde présidentielle, dont le patron n’était autre que le général Abdourahamane Tiani.

 

Mais deux ans plus tard, à l’épreuve des faits, cette version enjolivée, brossant le portrait très flatteur d’un Tiani, présenté à tort comme le chevalier blanc de la démocratie nigérienne, est battue en brèche. En tout cas, la réalité apparaît beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. Surtout aujourd’hui où le général putschiste a dévoilé son véritable visage.  Le moins qu’on puisse dire, c’est que les langues ont commencé à se délier. Avec forces démonstrations, plusieurs sources au sein des Forces armées nigériennes (FAN) rapportent un tout autre scénario.

À les en croire, l’actuel chef de la junte, qui a pris en otage le président Mohamed Bazoum depuis le 26 juillet dernier, avait pris la fâcheuse habitude d’orchestrer de vrai-fausses tentatives de coup d’État qu’il s’empressait de réprimer afin d’alimenter sa légende et de donner ainsi des gages de sa loyauté envers le président en place. D’après eux, Abdourahamane Tiani ne manquait pas de monnayer cette pseudo-loyauté au prix d’or. Nous avons appris que chaque fois que la garde présidentielle disait avoir déjoué une tentative de coup d’État, son chef recevait une récompense de la part de Mahamadou Issoufou, auquel il présentait au passage une liste de doléances, généralement des besoins d’espèces sonnantes et trébuchantes.

La supercherie a si bien fonctionné qu’elle lui a permis de s’enrichir rapidement et d’être à la tête d’un impressionnant parc immobilier aussi bien à Niamey que dans sa région natale de Filingué. Pour ne prendre qu’un exemple, il suffit de citer l’hôtel de plusieurs centaines de millions de franc CFA qu’il a fait construire dans cette ville. N’étant pas issu d’une famille aisée, on est en droit de s’interroger sur l’origine de cette fortune.

Malheureusement pour lui, ce qui était devenue une habitude sous le régime de Mahamadou Issoufou est jugé rédhibitoire par son successeur. Ministre de l’intérieur pendant plusieurs années, le président Mohamed Bazoum ne pouvait ignorer les détournements du général Tiani ainsi que l’existence de ses nombreuses villas dans la ville de Niamey. On ne s’attardera pas sur le fait que Mohamed Bazoum envisageait de se séparer du chef de la garde présidentielle dès le lendemain de son investiture. Celui-ci n’a eu son salut que grâce aux nombreuses et intempestives interventions du prédécesseur de Bazoum en sa faveur. D’autant que ses agissements et sa soif inextinguible de l’argent avaient non seulement le don d’irriter le président nigérien mais renforçaient ses soupçons à l’endroit de Tiani. Pas étonnant qu’il ait voulu introduire une comptabilité dans les finances de la garde présidentielle ; ce qui aurait eu le mérite de limiter les détournements de ce général félon.

Inutile donc de rappeler que c’est pour des raisons purement personnelles que l’ancien chef de la garde présidentielle s’est emparé du pouvoir. Même si, on l’a vu, pour justifier cette forfaiture, il a pointé une supposée dégradation de la situation sécuritaire dans le pays. Pourtant, son putsch a eu lieu après que le premier semestre 2023 a été particulièrement encourageant en matière de lutte contre les djihadistes. En effet, contrairement aux arguties du général putschiste, le président Mohamed Bazoum a fait preuve d’un réel volontarisme dans la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT) depuis son élection en 2021, engrangeant des résultats positifs.

Entre 2021 et 2023, le budget de la défense a doublé pour atteindre quelques 668 millions d’euros soit 13,5 % du budget national – ce qui est considérable au regard du contexte économique marquée par la récession. À preuve, le nombre d’opérations menées par les Forces armées nigériennes a augmenté de 32 % pour le seul premier semestre 2023 ; on a ainsi pu observer une chute de 49% des attaques visant les civils et une baisse de 16 % du nombre des victimes parmi les populations. Tout cela a été possible grâce à l’augmentation des effectifs au sein des Forces de défense et de sécurité ainsi qu’à l’amélioration de leur capacité logistique.

Toute chose qu’Abdourahamane Tiani sera incapable de réaliser, tant il ne dispose d’aucune réelle influence sur l’appareil sécuritaire du pays et qu’il est peu apprécié des autres putschistes. Autrement dit, le chef de la junte nigérienne est perçu par bon nombre de chefs militaires comme un arriviste, inflexible, incompétent, qui a favorisé le recrutement des membres de son ethnie, les Haoussa, dans la garde présidentielle, au détriment des autres composantes ethniques, constituant ainsi une source de frustration propice aux tensions intercommunautaires.

À cela il faut ajouter son mépris et son manque de respect pour les soldats nigériens. C’est la seule explication de son refus de se rendre à la cérémonie d’hommage aux soldats tués à la suite de l’attaque terroriste de la localité de Bourkou Bourkou. Ce manque d’égard pour la mémoire des soldats tombés sur le champ d’honneur est l’illustration du peu d’intérêts qu’il accorde à ceux qui donnent leur vie pour protéger la patrie contre les menaces. Une absence de compassion qui en dit long sur la dangerosité de ce général putschiste pour l’avenir du Niger.

D’ailleurs, ces dernières semaines ont été particulièrement meurtrières aussi bien pour les populations civiles que les Forces de défense et de sécurité, qui ont subi des revers cuisants à Tombole, Bourkou Bourkou, Sanam, Koudougou et Dogou Saro. Alors que deux mois plus tôt, le Niger cochait toutes les bonnes cases : un changement d’exécutif dans le respect de la Constitution, un net recul de la pauvreté et une croissance économique solide, malgré les difficultés liées au contexte sécuritaire régional et une conjoncture mondiale difficile.

Certes, le général Tiani a promis aux Nigériens un paradis avec des rivières de lait, de fontaines de miel, mais il y a plus de chance pour eux de se retrouver avec une mer de larmes, tant ils auront à pleurer sur leur sort peu enviable. Déjà qu’à cause de son putsch inique, la Cédéao a imposé des sanctions sévères au Niger. Ce qui fait dire aux observateurs sérieux que la fameuse transition de Tiani ne tiendra pas une seule saison, à moins de s’accrocher aux chimères et de s’enfermer dans une fuite en avant permanente. C’est en cela qu’il est dangereux, non parce que c’est un officier félon, qui a mis un coup d’arrêt à l’expérience démocratique nigérienne, mais parce qu’il a mis en péril la cohésion nationale, la paix sociale, et qu’il a compromis l’avenir de millions des Nigériens.

Amadou Moussa

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