(Malgré sa détention en prison, l’ancienne ministre continue d’éveiller les consciences pour le développement de l’Afrique)

Pavée d’embûches certes, mais irréductible dans son combat. Réckya Madougou, condamnée, en effet, à 20 ans de réclusion criminelle, l’opposante au régime de Patrice Talon, continue de faire parler d’elle. Depuis sa cellule à la prison civile de Missérété, elle met à profit son temps, et enchaîne des tribunes qui, à coup sûr, éveillent les consciences. De véritables mines d’or pour le développement de l’Afrique.

 

  Après donc son coup de cœur littéraire avec « Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent » de Jean Ziegler, Reckya Madougou trempe de nouveau sa plume après une virée dans « Le monde en 2040 vu par la CIA : un monde plus contesté ». Un rapport tant attendu sur le monde d’après.

Et là-dessus, son intérêt est clair : «J’ai hâte de vous livrer la substance d’un précieux rapport, afin que la vérité vous affranchisse et vous fasse évoluer dans un monde de plus en plus trouble et incertain», laisse-t-elle lire.

Par ce pavé, la consultante internationale sur les questions de Finance inclusive et de développement aborde de troublantes révélations de la CIA d’ici 2040 qui, pour elle, se confirment déjà. Une traversée littéraire dont elle livre la substance, histoire d’amener les Etats africains à une approche prospective afin d’anticiper les augures.

Reckya en avant-gardiste

«Globalement dans ce rapport, le NIC envisage un avenir mondial où l’absence de leader prédomine, avec une concurrence exacerbée entre grandes puissances et une ambiance potentiellement belliqueuse. La Chine est fortement mise en avant, tandis que le rapport adopte une tonalité pessimiste avec des progrès de développement moins marqués, une explosion des dettes souveraines, une augmentation du protectionnisme, et le renforcement des grandes entreprises technologiques. Le changement climatique est perçu comme un paramètre majeur, tout comme les divisions sociales exacerbées. L’intelligence artificielle est un domaine clé, mais son impact sur le marché de l’emploi demeure incertain. Enfin, le rapport souligne le risque potentiel de pénurie de lien social et de confiance dans le futur. On en subodore les conséquences qui ont d’ailleurs déjà éclaté par endroits», fait-elle savoir.

Mais ce qui aura particulièrement retenu l’attention de l’ancienne Garde des Sceaux, ministre de la Justice, de la législation et des droits de l’homme, est que « Le monde en 2040 vu par la CIA » révèle un monde plus contesté où la confiance entre gouvernants et gouvernés sera sérieusement mise à mal. Ce qui, n’en déplaisent aux pêcheurs en eau trouble, est déjà une évidence en 2023.

De même, le rapport présente, souligne-t-elle, entre autres, les interrogations suivantes, dignes d’intérêt: Comment les sociétés résisteront-elles à la pression migratoire? Au manque d’eau? Pourquoi la jeunesse risque-t-elle de connaître des troubles mentaux aigus? La technologie pourrait-elle atténuer les effets du changement climatique? Quels seront les pays qui détermineront la marche des prochaines décennies?

De la renaissance démocratique

«Je ne fus également que très surprise d’y découvrir cette problématique: « Une renaissance démocratique est-elle possible ? »», partage Reckya Madougou.

Selon le rapport, fait-elle observer, «Au cours des deux prochaines décennies, l’instabilité accrue risque d’entraîner l’effondrement de l’ordre politique et de déclencher de la violence politique dans de nombreux pays, en particulier dans les pays en développement (notamment en Afrique). Depuis 2020, selon une estimation de l’OCDE, 1,8 milliards de personnes, soit 23% de la population mondiale, vivent dans des contextes fragiles caractérisés par une gouvernance, une sécurité, des conditions sociales, environnementales et économiques faibles. Ce nombre devrait atteindre 2,2 milliards, soit 26% de la population mondiale d’ici 2030. Ces États sont principalement concentrés en Afrique subsaharienne, suivi par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie et l’Amérique latine. Ces régions devront composer avec l’augmentation de différents paramètres, notamment le changement climatique, l’insécurité alimentaire, des populations jeunes et croissantes (en Afrique) et une urbanisation rapide, qui exacerberont la fragilité des États. Les flambées de violence politique ou les conflits internes ne sont toutefois pas limités à ces états fragiles et sont susceptibles de se produire même dans des pays historiquement plus stables lorsque l’instabilité politique s’accentue».

Anticiper les mutations géostratégiques

Patriote bon teint, pure Africaine, Reckya Madougou donne l’alerte et pense que l’Afrique devrait à la fois s’intéresser au contenu d’un tel rapport pour anticiper les mutations géostratégiques, amortir les chocs annoncés afin de se positionner pour tirer ses marrons du feu auprès des puissances étrangères. «Mais aussi devrions-nous nous inspirer d’une telle démarche pour questionner méthodiquement les défis à venir. Une telle étude se révèle être une mine d’informations précieuses entre les mains des dirigeants politiques américains. Pour autant, bien loin de l’oncle Sam, il interpelle, à plus d’un titre, la passionnée de politique publique que je suis, aussi terrée -mal en point – que je sois actuellement dans mon cachot. Justement ce rapport qui inspire Joe Biden et son administration, celle de la puissante Amérique, ne devrait ni nous échapper et encore moins être ignoré en Afrique. Il y est mentionné à l’évidence ce passage qui résonnera très fortement ces temps-ci en tout Africain: « Hausse de l’instabilité politique : Dans les années à venir, l’inadéquation entre les capacités des gouvernements et les attentes des citoyens risque de s’étendre et d’entraîner une plus grande instabilité politique. On s’attend à voir une division de la société, une hausse du populisme, des vagues d’activisme et de protestation et, dans les cas les plus extrêmes, de la violence, des conflits internes, voire l’effondrement de certains États »».

En finir avec la carence en prospective

C’est tout de même curieux s’étonne Reckya Madougou, qu’en Afrique, malgré une inclination pour les consultations visant à percer les mystères du futur, de constater que le domaine des politiques publiques demeure carrent en vision véritable prospective.

Séquence: «Fondamentalement, ce qui nous a souvent fait défaut, c’est une visée orientée vers l’avenir et la capacité à anticiper les défis à venir, absorbés que nous sommes par les conjonctures et faillites du présent. Bien trop souvent, les pays africains ont été pris au dépourvu par des crises et défaillances prévisibles, lesquelles auraient pu être évitées grâce à une étude prospective conduite en approche participative et objective pour une meilleure planification stratégique».

Si, selon l’experte, des plans à court et moyen termes sont conçus et formidablement présentés à des aréopages avertis çà et là, en fin de compte ce sont les programmes prétendument prioritaires et autres projets d’urgence voraces et budgétivores, à la limite de l’orthodoxie financière -souvent à très court terme- qui constituent un virage périlleux pour la prospective à moyen et long terme.

« En vérité, un arbitrage pertinent des priorités, du fait de la faillite des institutions de contre-pouvoir étatiques empêtrées dans les compromissions, n’est souvent pas de mise aussi bien à l’étape d’élaboration que d’exécution des plans. Une gageure compromettant dangereusement nos vieux jours et l’avenir de nos enfants. Bien entendu, réussir de telles prévisions quand bien même elles sont envisagées, suppose la prise en compte de l’épineuse problématique d’une gouvernance volontariste, inclusive et non « cleptocrate ». Un néologisme qui pourrait se définir comme une « pathologie » causant l’appétence de leaders politiques et cadres exécutants pour les prébendes. Ceux-ci, une fois les plans établis et vulgarisés – en grandes pompes exécutent leurs propres agendas. Les priorités sont finalement inversées au bénéfice de la capacité des dispositifs conjoncturels à garantir une captation maximale de ressources à leurs profits personnels ainsi que pour servir leurs rendez-vous électoraux. IIs utilisent à cet effet des mécanismes de plus en plus sophistiqués qui échappent à la vigilance des bailleurs de fonds. Ainsi en est-il de la mauvaise qualité de la dette publique de plusieurs pays africains. Car le vrai défi n’est pas tant l’endettement en soi, ni même son niveau, mais la qualité de la dette».

A ce niveau c’est un cours d’économie que va dérouler l’ancienne ministre de la Microfinance, de l’Emploi des jeunes et des femmes. «Plus précisément, deux types de titres sont émis par l’État : les Bons du Trésor (BTF) et les Obligations Assimilables du Trésor (OAT). Vous avez dû souvent entendre parler ces dernières années d’Euro Bonds et d’emprunts obligataires pour le financement des budgets nationaux. Il nous faut, en tant qu’administrés, de plus en plus dans le cadre de notre citoyenneté économique, exiger l’efficience de la dépense publique engagée avec ces divers instruments financiers. En terme plus courant, demander l’efficacité – même relative – des investissements publics et ceux privés favorisés par l’État et les bailleurs de fonds, au titre des indicateurs mesurant le Bien-être national».

Bref, on remplira des pages à scruter ce travail littéraire de haute portée de l’amazone Reckya Madougou. Cette tribune reste à l’arrivée, une contribution de taille de l’experte en inclusion financière et sur les questions de développement. Faut-il le préciser, depuis son lieu de détention.

 

Cyrience Fifonsi KOUGNANDE

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