Le nouveau Code électoral continue de susciter indignations et débats. Au détour d’un colloque organisé, jeudi 25 avril 2024 par l’Église catholique au Palais des congrès de Cotonou, Monseigneur Antoine Ganyè a dénoncé vertement cette loi électorale, initiée et votée par la Majorité parlementaire puis promulguée par le chef de l’Etat, chef de la Majorité.

 On n’est pas des opposants. Non ! Et nous savons qu’il (Patrice Talon, Ndlr) veut le bien du pays et de chaque béninois. Mais il faut qu’il sache qu’on a plutôt l’impression qu’il aime un pays sans aimer ses habitants. C’est mon impression et c’est ça qui me fait beaucoup de peine », Ces propos sont de Monseigneur Antoine Ganyé. Intervenant en marge du colloque organisé par l’église catholique sur le nouveau Code électoral, le prélat a dénoncé l’exclusion déguisée que prépare la Mouvance au pouvoir, lors des prochaines joutes électorales, laquelle est visible à travers les nouvelles dispositions du Code électoral qui corsent davantage les conditions pour qu’un parti soit éligible pour le partage des sièges lors des élections législatives de 2026.

À écouter Mgr Antoine Ganyé, certes Patrice Talon a consolidé beaucoup de choses dans le pays comme les routes, l’eau, l’énergie… Mais ce n’est que la charpente, d’après lui. Pour des gens, insiste le Prélat, le Chef de l’Etat aime la charpente sans aimer ceux que cette charpente abrite. « Alors, il faut que quelqu’un puisse le lui dire. Parce que notre vivre ensemble dépend aussi de cette histoire qu’on appelle Code électoral. Vivre ensemble et Code électoral se donnent la main. Vous savez comment ? Parce que le Code électoral est là-bas au niveau des grands mais nous devons de nous prendre la main et s’ils nous tendaient la main comme nous le faisons, c’est ce que j’appellerais vivre ensemble », informe Monseigneur. C’est important qu’ils se voient et discutent, pour consolider insiste-t-il, le vivre ensemble. S’il souhaite aux organisateurs de rencontrer le Chef de l’Etat après ce colloque, Monseigneur Antoine Ganyè réaffirme que si cette rencontre est organisée, ce sera bien évidemment à cause du Code électoral. « Nous avons été éclairés. Mais les inquiétudes, Monsieur le Président, demeurent. Et, le souhait de l’assemblée, c’est que vous fassiez quelque chose de magnanime et de formidable pour que ce Code électoral ne suscite pas des bagarres dans notre pays. Parce que nous sommes en train de soupçonner cela. C’est pourquoi respectueusement, nous avons organisé ce colloque. L’assemblée reste sur sa faim, elle n’est pas encore satisfaite », conclut l’homme.

Le Parti Les Démocrates visé

Pour l’Opposition et la société civile qui a déjà demandé une relecture de la loi, ce Code électoral porte les germes de l’exclusion, ceci en ces dispositions qui demandent un seuil de 20% dans 3/5 des circonscription pour être éligible au partage des sièges. Mais quand on regarde bien, ce seuil de 20% ne concerne que le parti d’Opposition Les Démocrates. Puisque la même loi stipule qu’en cas d’accord parlementaire, deux partis peuvent aller ensemble aux élections et dans ce cas, le seuil pour le partage des sièges est de 10%. Cette disposition profite aux deux partis siamois Up-R et Br qui peuvent signer un accord pour aller ensemble aux élections législatives. Seul parti d’Opposition à l’Assemblée nationale, avec qui le parti Les Démocrates conclura-t-il un accord parlementaire ? Il devra aller seul aux élections et, dans ce cas, se verrait appliquer le seuil de 20% dans 3/5 des circonscriptions électorales avant d’être éligible au partage des sièges. Voilà, la porte ouverte à l’exclusion et qui illustre le sentiment de représailles qui a animé les initiateurs de cette proposition de loi, après le rejet de la proposition de révision de la Constitution. Et on a déjà vu ce que l’exclusion a engendré en 2019 et 2021. Les mêmes causes produisent les effets. Mais on n’a l’impression que le régime de la Rupture n’a rien appris de ces erreurs, en initiant, en votant et en promulguant un nouveau Code électoral qui corse encore plus les critères pour une élection inclusive. Pendant ce temps, l’Opposition, qui risque de faire encore une fois les frais de cette loi, ne semble pas prendre le problème comme cela se doit. Elle semble ne pas voir le danger, flattée peut-être par les propos des initiateurs qui affirment avoir taillé la loi à la mesure de tous les partis actuellement représentés au Parlement, y compris le parti d’opposition Les Démocrates. Ce qui n’est pas exact.

Dans ces conditions, il fallait une voix forte. Et c’est là qu’intervient l’église catholique par le biais du Monseigneur émérite Antoine Ganyé. Maintenant on connaît la position de l’église catholique. Elle rejoint celle de l’Opposition, de la société civile et des milliers de Béninois qui pensent que ce Code électoral est crisogène. Mieux vaut prévenir que guérir. Les thuriféraires du régime de la Rupture ont senti venir la réaction de l’église catholique. D’où cette campagne médiatique dès l’annonce du colloque sur le code électoral. On a vu des publications visant à demander à l’église catholique de s’occuper de ses ouailles, de se contenter de laver les statuts de la Vierge Marie, etc… Où étaient-ils quand Mgr Isidore de Souza conduisait avec maestria la Conférence nationale ? L’église catholique n’a pas quitté son champ. Elle est dans son rôle d’alerte et de prévention des conflits post-électoraux. Et s’il y a une voix qui peut porter plus loin que celle de l’Opposition, c’est bien celle de l’église catholique. Les autres confessions religieuses devraient faire de même. Sans la paix, pas de culte, pas de fidèles.

Mathias Hounkpè explique et recommande…

Toujours au cours de ce colloque, Docteur Mathias Hounkpè a, dans sa démonstration, fait plusieurs observations. À écouter le Directeur de l’International Foundation for Electoral Systems (Ifes), cette loi électorale est un facteur incitatif à la multiplication des partis politiques compte tenu de sa magnitude trop élevée. Pour le Politologue, c’est comme si on crée un problème et on va chercher un mortier pour le résoudre. Le seuil de 20% inscrit dans ce Code participe ainsi, dit-il, de la fragmentation des partis politiques. « En augmentant le nombre de députés, c’est la magnitude qui est augmentée de 3,5 en 2019 à 4,5 aujourd’hui. À travers le monde, le seuil le plus élevé est de 7% pour une liste présentée par un parti politique et c’est en Turquie. Je ne voudrais pas que le Bénin démocratiquement fonctionne comme la Turquie. Il doit y avoir quelque chose de particulier au Bénin que moi je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi on va vers ce degré d’incertitude. Si on organise aujourd’hui les élections il y a trois éventualités possibles. J’en ai trouvé trois ou quatre. Mais aucune ne me rassure. Une fois encore, je me demande pourquoi on est en train de faire ça », a-t-il déploré avant d’ouvrir une brèche de recommandations. À ce sujet, la seule chose qu’il souhaite, c’est qu’on reprenne cette loi et qu’on regarde les conséquences que sa mise en œuvre pourrait apporter. « Ça aussi c’est le choix des peuples », confie-t-il.

J.G

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