Des données collectées auprès de 101 femmes majeures réparties dans dix prisons (aucune femme de la prison d’Akpro Missérété n’a souhaité témoigner) à savoir les prisons de Parakou, Abomey, Natitingou, Kandi, Savalou, Lokossa, Ouidah, Cotonou, Abomey-Calavi, et Porto-Novo, il ressort que les quartiers femmes des établissements pénitentiaires accueillent des femmes enceintes et nourrices, ainsi que des femmes accompagnées de leur(s) jeune(s) enfant(s). Seulement une femme, sur les 27 femmes ayant affirmé vivre avec des enfants, a déclaré que ces enfants sont scolarisés, selon le rapport spécifique.

 

“…sur les 82 femmes ayant affirmé vivre avec des mères de nourrissons, 77 ont déclaré que l’enfant né en prison n’a bénéficié d’aucune assistance nutritionnelle, médicale et psychosociale, 69 ont déclaré que le nouveau-né reste en détention auprès de sa mère pendant une durée inférieure à 3 ans, pour deux femmes affirmant que le nouveau-né reste avec sa mère pendant une durée de 3 ans exactement, et 11 femmes déclarant que le nouveau-né reste pour une durée de plus de 3 ans. Enfin, seulement 8% des femmes codétenues avec des femmes enceintes affirment que ces dernières sortent de la détention à l’approche de la date d’accouchement pour revenir 12 semaines après l’accouchement. 17% affirmant le contraire, tandis que la majorité d’entre elles, à savoir 75% ne sait pas“ lit-on dans ledit rapport.

Selon l’Ong Changement social, les conditions de détention auxquelles sont soumis les enfants demeurant auprès de leurs mères incarcéré es sont contraires au droit international car ces derniers ne bénéficient ni d’une protection médicale spécifique, ni d’une sécurité alimentaire, ni d’un dispositif spécial relatif à leur garde dans l’établissement pénitentiaire. “…leur situation est totalement invisibilisée, puisque d’après le personnel de l’administration pénitentiaire interrogé, les enfants ne sont pas comptabilisés dans les statistiques démographiques de la population carcérale. Pourtant, ces enfants n’ont pas le statut de détenu, ils sont en prison aux fins de rester aux côtés de leurs mères incarcérées, et non en raison d’une condamnation“, déplore Changement social.

Situation des femmes enceintes en prison…

Si 96% des femmes interrogées ont déclaré que le régime cellulaire ou d’isolement n’est pas appliqué aux femmes enceintes, qui allaitent ou qui sont accompagnées d’un enfant en bas âge, 97% des femmes n’ont pas connaissance de l’existence d’un professionnel de santé qualifié pour conseiller les détenues sur leur santé et leur régime alimentaire en lien avec leur grossesse ou leur maternité. Plus inquiétant, les détenues enceintes, les nourrissons, les enfants et les mères nourrices ne disposent pas gratuitement de nourriture adéquate et apportée en temps voulu, selon 99% des femmes interrogées.

Santé et hygiène menstruelle des femmes privées de liberté…

Le rapport spécifique mentionne un manque important de médicaments essentiels et de première nécessité dans les infirmeries des établissements pénitentiaires. Selon l’Ong Changement social, il n’y a pas souvent de médecin affecté dans les établissements pénitentiaires. Seuls, les infirmiers y sont généralement affectés. “Il y a également un manque de médecin spécialiste en santé mentale, en pédiatrie, gynécologie etc. Le besoin de médecins spécialistes en santé mentale au sein des établissements pénitentiaires se justifie par la présence en milieu carcéral de personne souffrant de trouble mental. C’est ainsi qu’au cours de notre étude, le quartier des femmes de la maison d’arrêt d’Abomey-Calavi détenait trois femmes souffrant de trouble mental, et faisaient très souvent de bagarre entre elles. Cette situation met en péril la tranquillité des autres codétenues“ déplore l’Ong.

Quant à l’hygiène menstruelle, 15% des femmes ont déclaré avoir des difficultés essentiellement liées au coût des serviettes hygiéniques abordables pour peu d’entre elles, contraignant la plupart à se tourner vers des alternatives peu hygiéniques voire dangereuses pour la santé. 75% évoquent des difficultés financières à se procurer des couches jetables et se trouvent contraintes d’utiliser leurs pagnes tandis que 17% déplorent un manque d’intimité pour gérer les menstrues. “…les femmes détenues dans les établissements pénitentiaires du Bénin, n’ont pas facilement accès à des installations sanitaires et à des robinets d’eau suffisants.

En témoigne les propos rapportés d’une détenue : « Je déplore le fait qu’on nous enferme à 18h. En tant que femme c’est compliqué surtout quand tu es dans ta période de menstruation. Nous n’avons pas de toilette à l’intérieur des bâtiments pour se changer et se nettoyer. Cela provoque des démangeaisons. Quand tu es nouvelle c’est pire, à l’ouverture des bâtiments à 7h tu dois attendre que les anciennes utilisent les toilettes d’abord. Si tu insistes pour passer en première, cela amène des bagarres parfois. Lorsque tu utilises les couches jetables on exige que tu les laves et que tu l’attaches dans un sachet noir. Comment trouver un sachet noir ici est un autre problème ».

Selon l’Ong, les détenues femmes ont également dénoncé l’insalubrité et la vétusté des infrastructures, l’insuffisance de produits d’entretien et les retards de vidange des fosses septiques de leur quartier.

Violences et décès…

Le rapport spécifique de l’Ong Changement social fait cas également des manifestations de violences au sein des établissements pénitentiaires. 82% des femmes interrogées témoignent des incidents de violences entre détenues. “Ces violences proviennent substantiellement des sanctions disciplinaires infligées aux détenues. Pour ce qui est de violences entre détenues, l’existence d’un mécanisme de plainte constitue une avancée, quand bien même son efficacité reste à étudier“ fait constater l’Organisation.

“En ce qui concerne les cas de décès enregistrés au sein de la prison, 48% des femmes privées de liberté interrogées affirment avoir connaissance des cas de décès au sein de leur établissement pénitentiaire. Les causes de ces décès selon elles sont multiples. Il s’agit des maladies principalement, le manque de diligence dans l’évacuation des malades pour l’hôpital, l’AVC dû à la dépression et au stress, la chaleur due à la surpopulation, les mauvaises conditions de vie, le manque d’hygiène et bien d’autres encore. Seulement 5% ont connaissance des enquêtes menées sur les circonstances de survenance de ces cas de décès. Il revient en fin de compte qu’aucune femme n’a été informée sur les enquêtes éventuelles menées pour élucider les circonstances de survenance de ces cas de décès“, renseigne le rapport.

Situation judiciaire des femmes détenues…

La plupart des femmes détenues interrogées sont poursuivies pour des infractions de nature délictuelle, selon le rapport. Il s’agit entre autres d’abus de confiance (14%), escroquerie (11%), coups et blessures volontaires (9,3%), coups mortels (7%), vol de numéraires, vente de produits illicites, empoisonnement, destruction de biens, vol d’enfant (2,3%), recel et abus de fonction, avortement suivi de mort, assassinat de fillette, vol, dettes, trafic de drogues (4,7).

Quant à la durée d’incarcération, 53,5% sont incarcérées depuis plus d’un an, 16,8% depuis plus de deux ans et 5,9% depuis plus de cinq ans. “57% d’entre elles n’ont pas encore été condamnées, soit plus de la moitié de la population carcérale féminine…25,6% des détenues ont été condamnées à une peine égale ou inférieure à un an, 23,3% ont été condamnées à deux ans au plus, 7% à trois ans au plus, 4,7% à quatre ans au plus, 14% à cinq ans au plus, 23,3% à plus de cinq ans et 2,3% ont été condamnées à la perpétuité. La peine d’emprisonnement s’accompagne d’une peine d’amende pour 37% des détenues, et aucune parmi elles n’a connaissance des conséquences en cas de non-paiement de l’amende une fois la détention achevée“ renseigne le rapport spécifique sur la situation des femmes privées de liberté au Bénin.

“Concernant les 58 femmes privées de liberté n’ayant pas encore été condamnées…86% d’entre elles ont été déjà présentées à un juge parmi lesquelles 38% ont été présentées au juge pour la dernière fois il y a plus de 6 mois déjà. 90% des détenues non condamnées ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat pour 10% bénéficiant d’un avocat non commis d’office. Enfin, seulement 5% d’entre elles connaissent la date de leur jugement“, lit-on dans ledit rapport.

Insertion professionnelle et perspectives après la prison

Selon le rapport de l’Ong Changement social, la quasi-totalité des détenues n’ont pas accès à l’éducation, alors que la grande majorité d’entre elles souhaitent suivre des cours. “Quant à l’accès aux formations professionnelles dispensées en prison, 78% des détenues interrogées affirment qu’aucune formation n’est dispensée au sein de leur établissement pénitentiaire, et 22% affirment qu’il existe au moins une offre de formation professionnelle. Parmi les 22% qui ont connaissance de l’existence de formations professionnelles, 59% se sont inscrites volontairement pour en suivre une. 90% des femmes n’ayant pas connaissance de l’existence de formations professionnelles souhaitent pourtant en bénéficier…Quant à l’accès à une activité professionnelle, seulement 11% des détenues interrogées, soit 11 femmes, exercent un métier, parmi lesquelles 18% ne sont pas rémunérées. Parmi les travailleuses détenues rémunérées, 89% sont rémunérées en espèces et 11% en nature. 62,5% des travailleurs détenues rémunérées en espèces partagent cette rémunération avec l’établissement pénitentiaire“ renseigne le rapport.

Quant aux perspectives d’avenir post-détention, 16 des 101 femmes interrogées n’en ont aucune alors que des 85 femmes restantes, 61,2% souhaiteraient faire du commerce, 5,9% comptent s’investir comme travailleuse qualifiée ou artisane ou encore comme travailleuse non qualifiée et 9,4% envisagent de travailler dans le secteur agricole, selon le rapport. Des 16 femmes n’ayant pas de perspectives, une est condamnée à perpétuité, six préfèrent sortir de l’établissement pénitentiaire avant de décider et les neuf autres ne savent pas quoi faire.

Quid des recommandations…

Face à une si déplorable situation des femmes privées de liberté au Bénin, l’Ong Changement social a formulé des recommandations pour améliorer les conditions de détention des détenues. Ainsi, elle recommande entre autres de prendre des mesures législatives imposant pour certaines infractions délictuelles, des mesures alternatives à l’emprisonnement systématique ; prévoir le règlement des délits mineurs selon les pratiques coutumières béninoises, sous réserve du consentement des parties et du respect des droits de l’homme ; promouvoir le recours à la médiation pénale pour le règlement des délits mineurs afin de faciliter la recherche d’une alternative à l’incarcération ; inscrire dans le droit béninois le principe de la réparation du dommage par le travail ou la compensation financière, fournir hebdomadairement aux détenues des produits ménagers pour le nettoyage régulier de leur lieu de vie ; fournir mensuellement aux détenues des produits hygiéniques relatifs à leurs menstruations ; recruter au sein des prisons plus de médecins et d’infirmiers qualifiés dont obligatoirement une femme par établissement pénitentiaire ; proposer aux détenus des soins médicaux tant préventifs que curatifs, en particulier dentaires, ophtalmologiques et psychiatriques ; offrir aux femmes enceintes et nourrices, ainsi qu’aux enfants et aux nourrissons, une nourriture suffisante, adaptée et apportée en temps voulu ; assurer aux enfants vivants en prison un service de soins de santé primaire en collaboration avec les services sanitaires extérieurs à l’établissement pénitentiaire ; prévoir une offre de formation au bénéfice des détenues qui étaient sans activité professionnelle antérieurement à leur détention.

 A.B

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