La 5ème édition du salon de l’industrie de la musique de l’Afrique » Sima » s’est déroulé à Cotonou il y a quelques semaines. À l’occasion l’artiste chanteur et entrepreneur culturel Salif Traoré alias Asalfo du groupe Magie Système a marqué de sa présence. L’équipe de Matin libre en a profité pour obtenir de lui une interview exclusive. L’entretien est axé autour de la l’industrie musicale africaine et l’évolution de ces acteurs.
Matin Libre: En tant qu’artiste de Renom avec Magie système et désormais fondateur d’une fondation, comment voyez-vous l’évolution de la musique francophone africaine et le rôle culturel périphérique avec les acteurs économiques de manière globale ?
Asalfo: Ben, écoutez, déjà, si je veux faire un jugement sur l’évolution de la musique africaine, un constat est là. Il y a eu une nette évolution au niveau de cette musique-là. Aujourd’hui, en termes de pourcentage d’exploitation, nous sommes à des années du mieux qu’il y a 20 ans. Donc, je peux dire que c’est une musique qui se vend bien quand on s’y réfère.
Je veux dire quand on s’y réfère en tout ce qui est fait. On entend un peu du Burna Boy, du Tapito, de tous les artistes francophones comme anglophones qui excèdent bien à l’extérieur du continent. Mais là, après, c’est de dire est-ce qu’il y a des choses à faire ? Oui, certainement, il y a des choses à améliorer. Il y a le cadre dans lequel il y a les artistes. Il y a des choses à améliorer sur le plan juridique, sur le plan structurel, ce qui laisse beaucoup à faire. Je crois qu’il y a beaucoup à faire parce qu’il faut une adaptation aux nouvelles règles et aux nouvelles lois parce qu’il y a la technologie qui joue un rôle important. C’est en cela que nous, en tant qu’artistes, pas seulement en tant qu’artistes, mais aussi en tant qu’acteurs culturels dans la généralité, nous devons nous battre pour que cela soit pris en compte par nos gouvernements, nos partenaires. C’est ce qui vaut aussi notre présence aujourd’hui au Salon des industries musicales parce qu’on vient compléter nos idées et dans cette complémentarité, donner une solution égale pour ces modalités d’engagement qui peuvent empêcher la musique d’évoluer aussi financièrement.
Alors, vous avez étudié à HEC Paris et obtenu un diplôme sur la bipartition des droits d’auteur. Comment cette formation vous intègre plutôt dans votre rôle d’entrepreneur culturel et de contributeur de la structuration du secteur ?
Écoutez, on peut avoir des connaissances, de l’expérience sur le terrain, mais souvent on a besoin d’une dose académique pour mettre en place toutes ces idées. Et j’ai jugé important de repartir à l’école pour pouvoir avoir les outils nécessaires, avoir tous les prérequis pour pouvoir accompagner le secteur dans lequel je suis parce que c’est un secteur qui a beaucoup été laissé pour compte alors que la culture est aujourd’hui un pilier économique dans mon pays. Donc, on ne peut pas parler d’économie dans nos pays sans prendre en compte ce que la culture apporte au PIB des différents pays. Donc, aujourd’hui, je suis allé renforcer mes connaissances académiques. C’est voir avec ces connaissances-là comment je peux accompagner mes propres idées et accompagner aussi ma petite communauté artistique dans ce qui est déjà là. Parce que les bases sont posées, maintenant il faut avoir un peu de connaissances pour pouvoir mettre ces bases-là en place et être utile à sa communauté.
Alors, votre fondation s’engage notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’environnement et de la jeunesse. Comment associez-vous ces actions à une ambition de structure et de construction du capital ?
Écoutez, moi je crois que c’est une cause. C’est les mêmes valeurs. Mettre une fondation en place et avoir un esprit, un élan de solidarité et d’être avec les autres, de pouvoir apporter aux autres ce qu’on a pu acquérir comme expérience. Donc, si nous, on vient aujourd’hui avec notre fondation, certes, c’est pour aider dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la culture, de l’environnement, mais c’est aussi joint, utile et agréable pour dire qu’à travers ce que nous faisons, nous pouvons avoir des passionnels pour faire profiter aussi à d’autres communautés. Il ne faut pas seulement dire qu’on est musicien, donc on reste dans le domaine de la musique. C’est pourquoi aujourd’hui, avec notre fondation, nous arrivons à avoir un impact positif dans l’éducation dans notre pays. Vous voyez, aujourd’hui, nous sommes à près de 15 écoles construites pour nos populations, des centres de santé, et puis aussi, on essaie avec la fondation de mettre aussi un accent sur la formation à travers le FEMUA. Nous formons, que ce soit le monde de la culture, que ce soit le monde scientifique, nous formons, nous créons aussi des emplois directs et indirects, et c’est ça apporter aussi sa contribution à l’écosystème d’un continent ou d’un pays. Dans tous les cas, dans tous les pays. La musique, ce n’est pas seulement les concerts. Le modèle de l’exploitation du streaming et de la monétisation est de plus en plus central pour le FEMUA.
Donc, en tant qu’artiste et entrepreneur, quels sont les principaux défis que vous observez pour les artistes francophones en France?
Ce n’est pas seulement pour les arts, parce que les défis, les enjeux, c’est pour tout le secteur, parce qu’il ne faut pas jeter seulement la responsabilité sur les artistes africains. Mais est-ce qu’on se pose la question, quel est le cadre qui est mis pour pouvoir accompagner cela? Déjà, je suis content de l’évolution des canaux de paiement, de ces outils-là, parce que le streaming, le téléchargement, c’est des choses avant qu’on ne les fasse, il faut avoir une carte bancaire. Et tout le monde sait qu’aujourd’hui, le taux de bancarisation est très faible dans nos pays, et tout le monde sait qu’il n’y a pas une carte bleue. Qui veut? En termes de téléchargement, on peut avoir la facilité d’avoir tous les sites de téléchargement, mais le moyen de paiement n’était pas adapté aux consommateurs africains. Le taux de bancarisation qui était de 12% ne pouvait pas nous permettre de rentabiliser sur le streaming, sur le téléchargement, comme on le fait en Europe. Donc aujourd’hui, on est content que l’Afrique, en termes de positionnement sur le mobile money, arrive en tête et arrive à créer un canal qui va permettre maintenant aux artistes, à travers le streaming et le téléchargement, d’avoir des revenus conséquents. Mais en dehors de ça, il faut légiférer sur les lois qui vont protéger aussi l’utilisation de ces oeuvres-là.
Est-ce que nos lois aujourd’hui ne sont pas abstinentes par rapport à la nouvelle donne sur la consommation et l’utilisation de la musique?
Ça c’est un cadre à avoir. Donc, ce n’est pas seulement artistique, c’est aussi politique. Il faut que nos gouvernants trouvent des solutions du doigt et il faut qu’on essaie de légiférer sur des lois qui pourraient mieux protéger efficacement la propriété intellectuelle en Afrique. Alors, afin d’attirer le définancement des investisseurs et de structurer les chaînes de valeur, quelles bonnes pratiques ou normes d’ingénieurs considérez-vous comme dispensables aux secteurs et que vous payez d’offres à leur fond? C’est ce que j’ai dit, ça revient toujours à mes pères. Mes pères, ce sont les artistes. Mais n’oubliez pas que je crois que c’est la casquette du producteur, la casquette de l’éditeur, la casquette du promoteur culturel et tout, donc c’est un écosystème qu’il faut mettre en place. J’ai dit que le rôle de nos gouvernants aujourd’hui, c’est d’essayer de voir quels sont les états de lieu de ce qui est existentiel, voir quels sont les besoins dans notre secteur d’activité, quelles sont les réformes structurelles qu’il faut mettre en place pour mieux encadrer l’évolution de la chose. Et après dire, je ne sais pas, je reviens sur la question, parce que je me suis perdu sur la question. Alors, quelles sont les pratiques que nous devons mettre en place pour que vous soyez un responsable du secteur et que vos pères doivent en devenir? Voilà. On va parler de la professionnalisation du secteur. Oui, justement, on ne l’avait pas bien entendu, mais on va continuer sur ce que j’ai dit tout à l’heure. Donc, à cela, il faut rajouter la professionnalisation du secteur, la formation des acteurs qui sont là. Il faut créer un cadre qui peut permettre, parce que nos artistes aujourd’hui, franchement, on dit artistes, mais vous savez, j’ai la chance d’être dans un pays qui a signé un décret sur la reconnaissance du statut d’artiste. Donc, ce qui nous permet de savoir nos devoirs et nos droits, ce qui nous permet d’évoluer dans un cadre légal, dans un cadre juridique. Et pour moi, ça fait partie des choses qu’il faut pour permettre à cet écosystème-là d’être bien assis. Donc, pour moi, il y a tellement de réformes à mettre en place, il y a tellement de choses à voir, que l’engagement doit être une partie entre les acteurs, les gouvernants et les investisseurs. C’est la stitulation. À tous ces jeunes, j’ai envie de dire, c’est vrai qu’on peut avoir des carrières irrisantes, mais aucune carrière n’est tenue dans la durée, sans organisation, sans stitulation, sans accompagnement. Donc, ces jeunes-là doivent s’organiser. Ces jeunes-là doivent savoir qu’un artiste, en dehors de chanter, c’est un métier comme tout autre métier. Ce n’est pas seulement du divertissement. C’est un métier. C’est comme le footballeur qui joue au foot. C’est vrai que ça fait ressembler à du divertissement et tout, mais derrière, il y a toute une organisation. Il faut que les artistes sachent qu’il y a un artiste, il y a un management derrière, il y a une juridiction derrière, il y a une comptabilité derrière, il y a des attachés de presse derrière. Il y a toutes ces choses-là qu’il faut mettre en place. Il faut mettre tout un écosystème autour de soi pour pouvoir évoluer. On ne se lève pas au quartier avec un ami pour dire qu’on va mettre en place une carrière. Au départ, c’est vrai qu’on peut ne pas avoir les moyens de le faire, mais quand vous avez l’occasion de pouvoir le faire, il faut se tituler autour de soi, il faut mettre une chaîne autour de soi, il faut mettre un écosystème autour de soi et il faut dire que c’est un métier. On ne vient pas dans la musique pour s’amuser, même sur la rue, c’est déjà avec notre musique. On vient dans la musique pour travailler. Et les œuvres d’esprit, ça c’est un autre, mais le talent seul, malheureusement, ne suffit pas dans notre métier. L’organisation occupe près de 80% dans l’évolution et dans la mise en place d’une carrière pérenne.
Réalisé par Teddy GANDIGBE




