Honorables députés,
Comme l’ensemble du peuple, nous avons appris vendredi votre intention d’apporter, une nouvelle fois, des modifications à notre loi fondamentale. Comme tout le monde, nous avons été surpris, voire choqués, à cause de la période choisie, notamment au regard des évènements en cours au sein du parti d’opposition Les Démocrates. Mais avec le recul, il convient de reconnaitre qu’il est de votre plein droit de proposer des modifications à notre loi fondamentale.
L’expérience de 2017 a sans doute provoqué votre repli ; peut-être à raison. Nous venons aujourd’hui avec une bonne nouvelle : au milieu des émotions et des craintes, les forces vives de la nation béninoises existent toujours et sont plus que jamais motivées à apporter leur pierre à la construction de notre belle nation ; qui parfois passe aussi par des réformes. Par ce biais, nous apportons notre modeste contribution à votre initiative, en espérant que nous ne ferons qu’ouvrir le bal d’une participation plus large. Nous espérons que vous prendrez le temps de considérer tous les apports constructifs afin de prouver une fois de plus au monde, la vivacité intellectuelle de notre nation.
Sur le fond :
Le Sénat
L’idée de capitaliser sur l’expérience de nos anciens présidents d’institution est, en effet des plus nobles. En faire un Sénat, c’est bien particulier. A part la Turquie, qui a fait cette brève expérience entre 1961 et 1981, nous n’avons pas trouvé de traces de Sénats dans le monde avec cette particularité. Mais qu’à cela ne tienne ; nous sommes le quartier latin de l’Afrique, et nous avons aussi le droit d’innover. Notre préoccupation se trouve à différents niveaux :
-Un brin de pouvoir législatif aux mains de non-élus : tant que le rôle du Sénat n’est que consultatif, comme c’est le cas en Angleterre, le problème de l’immixtion dans les prérogatives d’un pouvoir public ne se pose pas. Mais dès lors qu’il est doté de la capacité de bloquer des projets ou propositions de loi, voire rejeter des lois, il détiendrait une parcelle de pouvoir législatif, et la forme républicaine de notre État se trouverait écorchée. C’est vrai, tous les sénateurs de par le monde ne sont pas élus, mais il faut remarquer que, dans les cas où ils sont désignés, il s’agit soit de monarchies constitutionnelles, soit de Sénats à caractère purement consultatifs. Au Bénin, les membres de la Cour constitutionnelle sont certes nommés, mais pour rappel, la Cour constitutionnelle n’est pas un pouvoir public. Le pouvoir judiciaire constitue une exception ; bien que dirigé par des membres nommés, il est encadré par les deux pouvoirs contrôlés par des élus.
-Une intersection de prérogatives avec la Cour Constitutionnelle : une des particularités de notre Cour constitutionnelle est son rôle d’arbitre entre les pouvoirs publics. S’il y a des choses à critiquer dans notre Constitution de 1990, cet aspect, constitue selon nous un atout majeur, parce qu’il prévient les conflits entre institutions tout en maintenant le caractère présidentiel de notre système politique. L’exécutif ne peut pas être empêché dans le déroulement de son programme politique, et le législatif ne peut pas être empêché dans le vote des lois. Non seulement le problème de conflits potentiels entre pouvoirs publics que la nouvelle institution est censée résoudre n’existe pas, mais la solution proposée est qualitativement inférieure à celle qui existe déjà.
-Des militaires au Sénat : non seulement ils seraient les seuls membres encore en fonction de la nouvelle institution, mais ils seraient les seuls non civils. Les arguments avancés jusqu’ici posent, pour nous un problème majeur. Le Mouvement Libéral profite de l’occasion pour tirer la sonnette d’alarme sur la tendance en cours de technocratisation de la politique. Si notre cadre politique nécessite une amélioration, le technocratiser ne saurait être la solution. Le rôle du technocrate ou du technicien est de conseiller le politique, non de le remplacer. Si la sécurité et la défense sont le rôle des forces de défense et de sécurité, la politique sécuritaire, elle appartient au politique. Les praticiens n’étant appelés qu’à apporter leur expertise sous forme de conseils. Il est peut-être envisageable de doter le Sénat de conseillers techniques parmi lesquels des spécialistes des questions de défense et de sécurité dont les chefs d’états-majors.
Un Sénat de sages de la République n’est sûrement pas une mauvaise idée. En faire une cour hors du champ du pouvoir judiciaire est certes audacieux, mais pas nouveau. Le constituant de 1990 l’avait déjà fait. Mais il est pour nous d’une importance capitale, que la nouvelle institution dans ses attributs innove, n’empiète pas sur les prérogatives des pouvoirs publics et des autres institutions, et surtout ne mélange pas le politique et le technique.
Et pour en faire un Sénat sous sa forme la plus connue ; une représentation des différentes régions et composantes du pays, le Mouvement Libéral propose qu’en plus des membres nommés par le président de la République et le président de l’Assemblée Nationale, il soit ajouté des érudits représentant chacun des 16 royaumes officiellement reconnus par la loi, nommés par le président de la République sur proposition des rois ou empereurs respectifs. Ce serait non seulement un moyen d’allier modernité et traditions, mais de garantir que nos lois aillent, pour le moins que possible en contradiction avec notre identité culturelle.
L’article 5-1
Lutter contre le populisme et la démagogie est définitivement un challenge majeur de notre époque. Mais ce ne saurait être une raison pour restreindre le débat public. Au Mouvement Libéral, nous pensons que ce qui nourrit le populisme n’est pas l’abondance des débats, mais l’absence des débats de qualité. L’essence même des démocraties indirectes comme la nôtre, réside dans l’éducation de la masse à travers les débats, afin que ses choix soient le moins émotionnel que possible. Malheureusement, nous avons remplacé l’idéal de la démocratie par une aristocratie de diplômés qui a fini par tuer les échanges intellectuels et célébrer la manipulation de la masse. C’est l’occasion de rappeler que malgré l’article 40 de notre Constitution depuis 1990, la classe politique n’a à ce jour pas fourni l’effort nécessaire afin que notre Constitution dans son contenue et ses contours soient appropriés par la grande masse ; favorisant ainsi sa manipulation par des sophistes malveillants. Aux différents dirigeants des partis politiques, en cette période électorale, il nous importe de souligner qu’il est de votre responsabilité de garantir non seulement la qualité de votre offre politique, mais aussi des candidats que vous présentez aux diverses élections.
Les nouvelles technologies de l’information sont venues bouleverser, même au sein des berceaux de démocraties, des concepts qui étaient autrefois tenus pour acquis. A cause de leurs complexités, il serait judicieux de reconnaitre qu’une réponse ne saurait y être apporté en quelques jours, en quelques semaines, ni même en quelques mois. Cela dit, notre problème avec la manipulation en Afrique n’a pas commencé avec l’introduction des nouvelles technologies de l’information. S’il faut apporter une solution immédiate, ce serait un refus pour la propagation de faits non avérés, mais un oui absolu en faveur de la contradiction et des débats d’idée. Il n’existe pas de définition universelle au développement. En fixer un concept reviendrait à limiter la pensée. Oui au dialogue politique, à la recherche du consensus dans l’intérêt supérieur de la nation, non à l’assimilation des idées.
L’article 22
S’il y a un aspect qui frappe dans cette proposition, c’est le fait d’avoir omis, dans la protection du droit de la propriété les biens meubles. Nous espérons que ceci était une erreur. Si oui, une précision éviterait toute confusion.
Le cas échéant, nous tenons à rappeler qu’il n’existe aucune nation sur terre qui ait réussi le tournant du progrès économique sans la protection, par la Constitution, des biens meubles, tout au moins. En Chine, souvent citée comme exemple de réussite économique par le dirigisme, ce droit a été rétabli depuis 2004 et a largement contribué à l’essor économique du pays.
Dans l’espoir de vous avoir apporté quelques pistes supplémentaires de réflexion, veuillez recevoir chers honorables députés, l’expression de nos salutations les plus distinguées.
Pour le Mouvement Libéral,
Charles Morel Dagba
PS : Le mouvement libéral est un think-thank politique d’orientation libérale ; à ne pas confondre avec le parti libéral.


