Deuxième cause de décès due à une maladie infectieuse dans le monde, l’hépatite, selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), notamment l’hépatite B ou C tue, chaque jour, 3 500 personnes dans le monde. Selon les données de l’Oms, la région africaine de l’Organisation mondiale de la santé, enregistre à elle seule 63 % de l’ensemble des nouvelles infections par le virus de l’hépatite B dans le monde. Dr Nonvignon Karel Abdias Aboué, nous en parle dans cette interview. Il est hépatogastroentérologue.
Matin Libre : Comment peut-on définir l’hépatite ?
Dr Carrel Aboué : Hépatite vient de «hépato» qui veut dire foie et «ite» qui est inflammation. On parle d’inflammation quand quelque chose agresse le foie et celui-ci réagit. Pareil quand on dit sinusite pour les inflammations du sinus ; appendicite pour les inflammations de l’appendice, etc. Et n’importe quoi peut agresser le foie. On peut avoir une hépatite de cause infectieuse, que ce soit lié à l’alcool, à l’obésité, etc. Quand on dit de façon générale hépatite, le commun a tendance à confondre. Le Vih par exemple, peut donner des hépatites. Mais, dans les principales causes de l’hépatite, il y a des virus qui s’attaquent presque ou exclusivement au foie. C’est ce qu’on appelle les virus des hépatites. Et on les a classés en cinq catégories par ordre alphabétique A, B, C, D, E. Donc l’expression hépatite virale est réservée à ces virus-là. Ainsi, quelqu’un qui a une infection au virus de l’hépatite A et qui fait une hépatite, fait une hépatite A, tout simplement. Et ainsi de suite.
Quel est le tableau de l’hépatite au Bénin?
Au Bénin, comme partout dans le monde, l’hépatite constitue un problème de santé publique majeur. D’abord parce que, comme vous l’avez rappelé, les chiffres sont évocateurs. L’hépatite B, à elle seule, tue 1,7 million de personnes. C’est l’hépatite qui tue le plus. Au Bénin, on est dans la zone d’Afrique subsaharienne qui fait partie des zones les plus touchées. Il y a eu une catastrophe quelques semaines plus tôt où un bus de transport est tombé dans le fleuve Ouémé et 27 personnes sont mortes. La mortalité de l’hépatite rapportée à la population du Bénin, c’est comme s’il y avait quelque chose du genre tous les 4 jours.
Mais là, c’est une crise !
Exactement. Et je trouve qu’on n’en parle pas assez.
Par semaine, combien de patients recevez-vous ?
En moyenne, actuellement, je reçois une vingtaine de personnes par jour. Et le gros tiers de mes patients vient pour l’hépatite virale chronique. Et c’est pareil pour tous les hépatogastro-entérologues d’Afrique noire.
Est-ce qu’on peut guérir de l’hépatite ?
Ça dépend de l’hépatite. On va y aller par ordre alphabétique. Pour l’hépatite A, en Afrique, à 95%, on a tous fait une hépatite A pendant notre enfance. Et on est presque tous guéris, même sans signe. L’hépatite B, dans les conditions actuelles, il y a deux traitements. L’un des traitements est inaccessible au Bénin et de toutes les façons, il est réservé à certains cas très particuliers. Et une fois que le traitement est terminé, les gens ont quand même tendance à faire des réactivations virales. C’est-à-dire que le virus va se cacher dans des poches qui sont inaccessibles au traitement et après il peut revenir. Le traitement que nous utilisons au Bénin sert à ce qu’on appelle une virosuppression. C’est ce qui est utilisé largement dans le monde. C’est un traitement dont le but est d’empêcher le virus de se multiplier. Car, c’est en se multipliant qu’il va agresser le foie. C’est en se défendant contre cette agression que le foie va développer des cicatrices qui vont mener à la cirrhose ou au cancer.
Dans le cas de l’hépatite C, c’est la même chose. Sauf qu’il y a un pourcentage un peu plus important de personnes qui guérissent que dans l’hépatite B. L’hépatite D, Delta, est un virus dit défectif. C’est-à-dire qu’il a besoin du virus de l’hépatite B pour se multiplier. Donc, on ne peut pas faire une hépatite Delta si on n’a pas d’hépatite B. En gros, c’est un parasite, le virus B. L’hépatite E enfin, donne beaucoup d’hépatite aiguë mais guérit spontanément dans la presque totalité des cas au bout de 6 mois. Sauf chez les gens qui ont une diminution de l’immunité.
En disant tout à l’heure que toute personne dans son enfance a développé une hépatite A, comment expliquez-vous cela ?
Ce sont nos conditions d’hygiène. Parce que l’hépatite A et l’hépatite E se transmettent principalement par voie féco-orale. Donc dans l’eau contaminée, les aliments souillés, les viandes mal cuites, les mains mal lavées. Pour l’hépatite E, la viande de porc par exemple, la viande de sanglier, les viandes de brousse. Pour l’hépatite A, c’est presque exclusivement l’eau. En Afrique, on développe beaucoup de maladies du péril hydro fécal. L’hépatite A rentre un peu dans ce cadre-là.
Quand vous disiez tout à l’heure que vous recevez en moyenne 20 patients par jour, est-ce que vous arrivez à les guérir tous ?
Encore une fois, ça dépend de l’hépatite. Mais je reçois majoritairement des patients qui sont porteurs du virus de l’hépatite B. Quelqu’un qui est contaminé par le virus de l’hépatite B, fera d’abord ce qu’on appelle une hépatite aiguë. Aiguë pour dire que ça ne dure pas longtemps. C’est 6 mois. Au bout de 6 mois, soit il est guéri, et c’est ce qui arrive dans la plupart des cas quand on attrape le virus à l’âge adulte ; soit il n’est pas guéri et c’est ce qui arrive dans la plupart des cas quand on attrape le virus à l’enfance. D’où l’intérêt de vacciner les enfants à la naissance.
Quand le patient n’est pas guéri, il y a trois possibilités d’évolution. Soit, il est guéri après et ça devient rare, mais c’est toujours possible. Soit, il fait ce qu’on appelle un portage inactif. Le virus est là, mais ne se multiplie presque pas. Il y a une sorte de tolérance entre l’organisme et lui. Et le dernier cas, c’est ceux qui ont une hépatite chronique. Ceux-ci vont avoir une relation d’agression-réaction entre le virus et leur foie pendant plus de six mois. Eux, ils sont susceptibles de développer des complications comme la cirrhose, le cancer du foie surtout, et donc ce sont eux qu’il faut, à l’heure actuelle des connaissances et des recommandations, mettre sous traitement pour l’hépatite B, je précise. Pour peu qu’ils soient observants, qu’ils fassent bien le traitement et le suivi, la réplication virale est annulée dans la presque totalité des cas.
Est-ce que de visu on peut reconnaître une personne qui souffre de l’hépatite?
Non, malheureusement. L’hépatite aiguë, dans 80% des cas, n’a pas de signes du tout. Dans 20% des cas, les signes qui sont là font penser à autres choses. C’est un peu de fièvre, les courbatures, le nez qui coule ou la tête qui fait mal. On pense même dans le rang des médecins au paludisme, à la grippe ou à un Covid.
Pour l’hépatite chronique, il n’y a presque pas de manifestations cliniques. Sans bilan, on ne peut pas dire que telle personne fait une hépatite chronique. Il faut que le dépistage soit volontaire et systématique. On ne le fait pas encore assez. Toutefois, les complications, elles sont bruyantes. Quelqu’un qui fait une cirrhose, un cancer du foie, en général, ne passe pas inaperçu. Mais il ne faut pas en arriver-là. Il faut donc, au-delà du fait de vacciner les enfants à la naissance, se faire dépister. De la même manière que de façon volontaire et spontanée, le dépistage pour le Vih se fait, il faut qu’on apprenne à le faire pour l’hépatite virale B et C. Et heureusement, pour l’hépatite virale B, il existe un vaccin qui est efficace, qui est éligible aussi aux adultes.
Le dépistage coûte combien?
Ça dépend des endroits. C’est entre 20.000 F Cfa et 30.000 F Cfa pour l’hépatite B et l’hépatite C.
En vous suivant, je réalise que le fait de se faire vacciner ne nous met toujours pas à l’abri de l’hépatite…
Il faut toujours faire le dépistage. Le vaccin vous met à l’abri pour l’hépatite B, pour laquelle vous vous êtes vacciné. Mais pour l’hépatite C, il n’y a pas de vaccin. L’hépatite B se transmet surtout par voie sexuelle, par voie sanguine et de la mère à l’enfant. L’hépatite C ne se transmet presque exclusivement que par voie sanguine. Quand par exemple, un tatouage, une excision, une circoncision ne sont pas faits dans des conditions où le matériel est stérilisé, il peut y avoir une transmission d’hépatite C. Également lors des rapports sexuels qui sont faits pendant la période des menstrues, parce qu’il y a du sang. Pour l’hépatite B, comme je le disais, une fois qu’on est vacciné, on est protégé à vie. Il n’y a même plus besoin, c’est important de le dire, de venir faire un rappel 5 ans après. Mais concernant les autres types d’hépatite, il faut toujours faire le dépistage.
Il est dit généralement qu’en serrant la main d’une personne qui souffre de l’hépatite, qu’on s’expose à la maladie. Vrai ou faux ?
C’est faux pour l’hépatite B, c’est faux pour l’hépatite C, c’est faux pour l’hépatite D. Il y a une part de contamination directe d’individus malades à individus sains pour les hépatites A et E. Par exemple, une fois qu’on a serré la main à quelqu’un, le virus étant sur sa main, si après, vous ne vous lavez pas les mains, si vous achetez du pain au bord de la voie, là, effectivement, il peut y avoir ce problème. Mais en serrant directement la main, le virus ne traversera pas la peau pour rentrer dans le sang. Donc, aucun cas.
Et en embrassant, en échangeant la salive avec quelqu’un qui a l’hépatite ?
Pas pour l’hépatite B, pas pour l’hépatite C, pas pour l’hépatite D, pas pour l’hépatite A, pas pour l’hépatite E. Donc, aucun. Sauf que, comme je l’ai souligné, pour l’hépatite B, l’hépatite C, l’hépatite D, il y a une transmission sanguine. Donc, si vous avez tous les deux, à ce moment-là, des plaies dans la bouche, la transmission n’est pas liée à la salive, mais plutôt au contact entre les sangs.
Et que répondez-vous à ceux qui disent que l’hépatite est incurable ?
C’est faux. L’hépatite n’est pas incurable. Déjà, l’organisme tout seul peut guérir des cinq formes d’hépatite. Comme je l’ai dit plus haut, pour le moment, l’hépatite B, qui est l’hépatite qui nous pose le plus de problème, son virus a la capacité d’aller se cacher à des endroits qui sont inaccessibles au traitement. Le virus de l’hépatite B a la capacité d’aller même se mettre dans l’ADN de certaines cellules. Mais ce problème ne se pose que pour l’hépatite B. Les autres n’ont pas la capacité de s’intégrer à l’ADN. Et donc, une fois qu’on est guéri, on est guéri.
À partir de quel âge doit-on commencer par s’inquiéter ? En d’autres termes, qui peut souffrir de l’hépatite ?
Absolument tout le monde. Même le nouveau-né parce que la transmission mère-enfant se fait dans la plupart des cas à l’accouchement. Il faut se faire vacciner à l’accouchement ou dans la période de l’accouchement. Il faut faire vacciner l’enfant à la naissance. Avant, le vaccin de l’hépatite B, était intégré dans ce qu’on appelle le vaccin pentavalent. Il y en avait cinq qu’on faisait, à un mois et demi, deux mois et demi, trois mois et demi. Mais depuis 2020, le vaccin de l’hépatite B commence à la naissance, comme le vaccin pour la tuberculose, le vaccin contre la poliomyélite. Donc ces vaccins-là aujourd’hui sont faits à la naissance et les doses suivantes sont faites dans le Programme élargi de vaccination.
En 2024, la Namibie a reçu la certification de niveau argent de l’Oms pour avoir éliminé la transmission mère-enfant de l’hépatite B, rejoignant ainsi le cercle encore restreint, mais en expansion des pays engagés dans cette lutte. Le Bénin en est où ?
On fait des efforts. Quand on parle de la transmission mère-enfant, la seule chose à faire, globalement, c’est de dire qui sont les mères porteuses pour voir parmi elles, est-ce qu’il y en a qui sont en période de forte réplication virale. Si oui, on les met sous traitement, on diminue la réplication virale avant l’accouchement. Et la deuxième chose, c’est qu’on soit porteuse ou pas, l’enfant est vacciné à la naissance. Ainsi, il est protégé à vie. Donc, c’est ce qu’il y a à faire. Dans le bilan prénatal obligatoire au Bénin, il y a le bilan de l’hépatite B. Dans les vaccinations obligatoires au Bénin à la naissance, il y a la vaccination contre l’hépatite B. Mais encore faut-il que toutes nos soeurs accouchent à l’hôpital. Qu’elles se fassent suivre quand elles sont enceintes.
Le Centre international de recherche sur le cancer a classé l’hépatite D comme cancérogène pour l’être humain, au même titre que les hépatites B et C. Que faut-il comprendre par là ?
Les cancers du foie sont surtout liés aux hépatites chroniques. Les virus qui peuvent donner des hépatites chroniques, ce sont B, C, D, majoritairement. E aussi, mais vraiment en très très faible proportion. L’hépatite D, comme je l’ai dit, dépend du virus de l’hépatite B pour se multiplier. Mais les deux ensemble font une association de malfaiteurs sur le foie. Quand vous avez un foie qui est soumis à une hépatite chronique liée au virus de l’hépatite B seul, c’est une chose. Si vous avez le virus de l’hépatite D en plus, la maladie évolue plus vite. Ces virus-là sont susceptibles de provoquer des hépatites chroniques, donc d’aboutir à une cirrhose, à un cancer du foie parce que la cirrhose fait le lit au cancer.
Malgré les progrès réalisés au niveau mondial dans la prévention de l’hépatite, le nombre de décès augmente parce que trop peu de personnes reçoivent un diagnostic et bénéficient d’un traitement. Au Bénin, qu’est-ce qui est fait pour corriger le tir ?
Tout à l’heure, je disais que pour régler le problème des hépatites virales globalement, il y avait deux choses à faire. Pour la transmission mère-enfant, c’est relativement simple. Une fois qu’on a laissé la transmission mère-enfant, ceux qui sont porteurs, il faut s’en occuper. Et c’est là tout le problème.
Il faut qu’il y ait déjà beaucoup de médecins spécialistes. Actuellement, nous sommes 17 au Bénin. Peut-être un peu plus pour 13 millions d’habitants. Ce n’est pas beaucoup. Mais la formation est ouverte à la Faculte des sciences de la santé (Fss). La première promotion devrait sortir, en fin 2027. On espère que beaucoup vont rester au Bénin et travailler à servir la population. Bref, il faut beaucoup de spécialistes. Par ailleurs, il faut aussi que ces spécialistes-là puissent être accessibles à la population. Si je vis à Pèrèrè et que je dois venir à Cotonou pour faire la charge virale (le nombre de virus qu’il y a dans le sang), c’est compliqué. Et, si je vis à Cotonou et que le Smig est à 60 000 F Cfa et que la charge virale est à 60 000 F Cfa également, il y a problème. Donc, c’est beaucoup de choses qu’il faut mettre en place.
Déjà de quoi est fait le traitement ?
Le traitement de l’hépatite A, comme je l’ai dit, la plupart du temps, est spontané. L’hépatite B, c’est trois traitements : un traitement préventif : la vaccination. Le deuxième traitement, ce sont des injections. Elles sont inaccessibles, coûtent chères et ont beaucoup d’effets secondaires. Le troisième traitement, qui est celui qu’on utilise largement, c’est un comprimé qui n’est pas coûteux. C’est à 5 000 F Cfa la boîte pour un mois de traitement. Il est accessible la plupart du temps dans les pharmacies hospitalières ; le traitement est très bien toléré et il y a très peu d’effets secondaires. Mais il faut le prendre jusqu’à ce que votre organisme puisse éliminer tout seul le virus. La guérison, une fois qu’on a fait une hépatite chronique devient rare. Donc, si vous ne guérissez pas, le traitement est à la vie.
Pour l’hépatite C, le traitement, c’est une combinaison d’antivirus, toujours en un comprimé. La haute différence entre l’hépatite C et l’hépatite B, c’est qu’on peut faire l’hépatite C plusieurs fois dans sa vie. Ce n’est pas parce qu’on a fait l’hépatite C en 2025 et qu’on en est guéri, qu’on est protégé en 2030. Il faut toujours faire attention. Pour l’hépatite D, le traitement consiste à se protéger contre l’hépatite B. Mais tout le monde devrait faire le dépistage pour l’hépatite B et C qui représentent les principaux problèmes. Une fois qu’on est dépisté, si on est négatif pour l’hépatite B, on se vaccine. Si on est porteur, on se fait suivre qu’on ait besoin d’un traitement ou pas. Parce que ce n’est pas parce que vous ne faites pas d’hépatite chronique aujourd’hui que vous n’en avez pas fait une il y a 5 ans ou que vous n’en ferez pas une dans 5 ans. Pour l’hépatite C, s’il n’y a pas de contact sanguin, si vous faites le dépistage une fois, vous n’êtes pas obligé de le refaire forcément tout le temps. Globalement, on devrait faire son bilan sanguin au moins une fois par an. Pour l’hépatite B, une fois qu’on est vacciné, ce n’est pas la peine de re-vérifier.
Votre mot de la fin
Ce sera de dire que je peux faire toutes les formations les plus sophistiquées du monde, s’il n’y a pas de route pour venir me voir, ça devient compliqué pour le malade. S’il y a des fausses informations ou des traitements qui ne sont pas homologués qui circulent sur le marché, ce n’est pas bien pour le patient. Si, éventuellement, une fois que j’ai prescrit l’ordonnance, le patient n’a pas les moyens de réaliser le traitement, soit parce qu’il n’a pas d’assurance santé, soit parce qu’il n’est pas nanti financièrement, ça ne servira pas à grand-chose. Donc, il faut que nous travaillions tous ensemble, en tant que société, à améliorer notre santé de façon générale et à éradiquer le problème des hépatites virales de façon particulière.
Propos receuillis et transcrits par Fifonsi Cyrience KOUGNANDE