Le deuxième panel de la journée du jeudi 31 juillet, dans le cadre de l’EEEJ Sénior 2025, a porté sur un thème complexe et actuel : « Identité : de l’influence des héritages transgénérationnels à l’interrogation des choix conscients ». Les quinze participants, et les membres de l’équipe d’encadrement, ont pris part à cette réflexion conduite sous la modération de Fredhy-Armel Boccovo, en présence de trois panélistes : Fabrice Salembier, penseur belge installé au Bénin, le Père Saturnin Lawson, prêtre catholique, et Arthur Vido, historien.
Au départ, une clarification conceptuelle essentielle : qu’est-ce que l’identité ? Comment est-elle construite ? Tous les intervenants se sont accordé à dire qu’elle est dynamique, évolutive, et constitue une composante essentielle de l’existence individuelle autant que collective.
« L’héritage que nous avons n’est pas neutre. Il nous a été transmis. Nos ancêtres nous ont transmis des silences, des héritages dont on préfère ne pas parler », affirme en ouverture Fabrice Salembier. Le Père Saturnin Lawson, qui a adopté une vision plus introspective de l’identité, l’a défini comme « la conscience que j’ai de qui je suis ». De ce point de vue, « l’identité permet de comprendre comment tel ou tel agit, d’aller à sa rencontre, de comprendre les traumatismes de son histoire ». Cette conception, déduit-il, ramène au triptyque eschatologique : qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? et où allons-nous ?
Jamais figée
La conscience de soi, ajoute-t-il, ne vient pas ex nihilo. Elle « plonge d’abord ses racines dans l’histoire, personnelle et surtout collective ; ce que tu construis tout en étant en harmonie avec tes racines. L’identité sans l’histoire produit des coquilles vides, ne permet pas de saisir l’individu. » Père Saturnin Lawson insiste, ensuite, que l’identité nécessite une mise à jour constante. « L’identité n’est pas une réalité figée, mais une matière vivante », renchérit Fabrice Salembier, ajoute que « L’histoire est à réécrire ». Par conséquent, il appelle chacun à prendre garde de ne pas « reprendre inconsciemment les réflexes coloniaux »
La colonisation, justement, est pointée du doigt comme l’un des principaux facteurs de distorsion identitaire en Afrique. A titre illustratif, le Père Lawson évoque l’effacement des prénoms endogènes au profit de ceux du calendrier grégorien. « Les responsables de l’institution Église était complices : on a imposé des noms de saints ». Dans la même veine, il souligne que contrairement aux idées reçues, la femme n’était pas brimée dans l’Afrique précoloniale. Chez les Fon du Bénin par exemple, la journée du jeudi leur est dédiée : littéralement ‘’jour de la femme’’.
Arthur Vido abonde dans le même sens. « La femme dans nos sociétés, on pense aujourd’hui qu’elle est un être secondaire. Mais elles avaient une place beaucoup plus importante. Le consentement de la fille était requis par son père avant le mariage. La colonisation nous a convaincus que la femme était brimée », rectifie-t-il.
Décoloniser l’histoire africaine
La manipulation des récits historiques appelle une reconquête urgente de notre propre narratif. « les historiens africains sont malheureusement plus connus en Europe qu’en Afrique. Si vous ne connaissez pas votre histoire vous serez constamment frustrés », déplore Arthur Vido. « L’identité a un rapport étroit avec la mémoire d’un peuple, d’une communauté. L’histoire est une étude critique du passé. Avec l’histoire, on saura qui on a été pour se projeter », conclut-il.
Mais l’histoire d’un peuple est-elle immaculée ? Peut-on s’affranchir de certains héritages transgénérationnels ? Le Père Lawson répond sans ambages: oui. « L’histoire est importante pour notre culture, elle nous permet d’avoir une orientation. Mais l’identité, c’est la thèse et la synthèse. Il y a un rapport dialectique entre identité et le choix. Le choix n’est pas une rupture radicale ». Il recommande alors de « projeter la lumière de la raison sur l’histoire pour sortir de la caverne des préjugés ». Le rapport dialectique ou la tension entre mémoire collective et liberté individuelle « expose à la résistance de votre communauté », à l’incompréhension. D’où son appel à la « pédagogie sensible et patiente».
TG