Depuis quelques jours, circule sur les réseaux sociaux un décret daté du 23 avril 2025, référencé n°2025-197, relatif aux statuts-types des établissements publics d’enseignement et de formation techniques et professionnels en République du Bénin. Ce texte, manifestement élaboré sous l’égide de l’Agence de Développement de l’Enseignement Technique (ADET), suscite d’ores et déjà de nombreuses interrogations.
À la lecture de ce décret, les premières observations laissent transparaître une réforme davantage spectaculaire que pragmatique, semblant faire abstraction des diagnostics pertinents et des analyses éclairées que l’on serait en droit d’attendre de professionnels ayant consacré leur carrière entière à ce sous-secteur. Or, nul n’ignore que l’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle (ETFP) requièrent des réformes structurelles et structurantes profondes, incluant notamment la révision des curricula, la formation adéquate des enseignants, la réduction des coûts de formation, l’augmentation du nombre de lycées publics, ainsi que la dotation en équipements modernes et adaptés.
Il est donc difficilement compréhensible que le gouvernement, qui a pourtant érigé ce sous-secteur en pilier stratégique de sa politique de lutte contre le chômage des jeunes, échoue systématiquement dans ses initiatives depuis près de neuf années, et ce, en dépit de la création d’une agence spécifiquement dédiée à son développement.
Douze lycées avaient été promis en début de mandat, sans qu’aucune réalisation concrète ne voie le jour. En matière de formation du personnel enseignant, le choix d’envoyer un nombre marginal de stagiaires à l’étranger s’est révélé inopérant. Par ailleurs, alors que l’enseignement général bénéficie de subventions, aucune mesure d’allègement n’a été envisagée pour les familles dont les enfants sont inscrits dans les filières techniques, où les coûts demeurent prohibitifs.
En cette fin de mandat, le gouvernement présente ce décret comme une réforme majeure de l’ETFP. Toutefois, son élaboration, apparemment confinée dans les cercles restreints de l’ADET, laisse présager une mise en œuvre vouée à l’échec, à l’instar de précédentes initiatives telles que l’introduction de l’anglais au primaire, le programme PSIE dont les entreprises partenaires n’ont pas respecté les engagements, ou encore le projet avorté de construction des douze lycées départementaux.
Il n’est cependant pas trop tard pour que le gouvernement et l’ADET reconsidèrent leur approche. Une ambition légitime pour l’ETFP ne saurait se concrétiser sans une réelle ouverture au dialogue et une consultation élargie des acteurs de terrain, dont l’expertise et l’engagement sont indispensables à la réussite de toute réforme durable.
Dans l’attente d’un sursaut salutaire vers une gouvernance plus inclusive, je me permets de livrer cette première analyse critique du décret en question. Puissent les acteurs du système éducatif comprendre que seule une mobilisation collective permettra d’éviter une dérive préjudiciable à l’avenir de nos lycées publics.
Le décret n°2025-197 constitue une tentative louable de modernisation et de structuration du sous-secteur de l’enseignement technique et professionnel au Bénin. Toutefois, il souffre de plusieurs faiblesses majeures qui sont (i) une centralisation excessive qui freine l’autonomie réelle des établissements, (ii) une gouvernance peu démocratique et peu participative, (iii) une logique de rentabilité qui menace l’équité et la mission éducative, (iv) Une mise en œuvre risquée sans garanties suffisantes de moyens, (v) La posture peu crédible de l’inclusion et du respect des droits
- Une centralisation excessive qui peut freiner l’autonomie réelle des établissements
Le décret se veut ambitieux en posant un cadre juridique complet pour les établissements techniques et professionnels. Il couvre tous les aspects : mission, gouvernance, financement, contrôle, et relations avec les parties prenantes. Toutefois, cette ambition se heurte à une centralisation excessive qui installe le Conseil des Ministres comme organe délibérant. C’est problématique car le Conseil des Ministres concentre ainsi des pouvoirs normalement dévolus à des instances plus proches du terrain (ex. : nomination des administrateurs, approbation des budgets, dissolution). Cela risque de ralentir les prises de décision et de politiser la gestion des établissements. On note également que bien que le décret proclame l’autonomie pédagogique, administrative et financière, la tutelle ministérielle reste très intrusive, notamment via la Direction départementale et les multiples validations requises.
La composition du Conseil d’administration est dominée par des représentants institutionnels, avec une faible représentation des enseignants et des apprenants principaux concernés. Cela limite la participation des acteurs directement concernés par la formation et peut affaiblir la pertinence des choix stratégiques, de même que l’adhésion spontanée de tous les acteurs impliqués dans la marche vers les objectifs.
Quand on considère le Conseil de gestion censé être un organe opérationnel, il reste largement un organe consultatif sans réel pouvoir décisionnel. Il y a un grand risque qu’il ne soit finalement qu’un simple relais administratif. Interrogeons la nomination des chefs d’établissement pour noter que le processus d’appel à candidatures est positif, mais le choix final reste discrétionnaire, ce qui ouvre la porte à des nominations politiques comme dans le processus de nomination des responsables de l’audiovisuel public au Bénin.
Ce modèle de gouvernance est trop rigide et peu démocratique.
- Une gouvernance peu démocratique et peu participative
Le décret évoque une autonomie pédagogique, mais celle-ci est encadrée par des normes nationales, des validations multiples et des contrôles constants. L’innovation locale est donc limitée. L’implication des entreprises dans la conception des programmes pourrait apporter une plus-value dans l’adéquation formation-emploi, mais elle pourrait conduire aussi à une formation trop orientée vers les besoins apparents immédiats d’entrepreneurs privés, au détriment d’une formation plus pensée à long termes et plus ajustable aux exigences régionales et internationales. Autrement dit les prises de décisions et les choix stratégiques pourraient manquer d’esprit critique de neutralité. En offrant d’office la présidence du CA à un membre du secteur privé économique dominant, le texte garantit une mainmise des opérateurs économiques dans des domaines spécifiques. C’est une promotion du monopole dans un système économique.
iii. Une logique de rentabilité qui menace l’équité et la mission éducative
Le modèle de financement et de gestion est hybride et théoriquement porteur de diversification des sources mais il reste fragile. Le décret prévoit en effet des ressources publiques, privées, issues de partenariats, de prestations de services, etc. Cette diversification est pertinente, mais elle repose sur une hypothèse trop optimiste de mobilisation de fonds. Une hypothèse qui ne paraît pas réaliste de la situation et de la mentalité des entreprises et entrepreneurs privés dans notre pays. On peut craindre également un risque de marchandisation car l’accent est mis sur les formations payantes, les services aux entreprises et les partenariats public-privé comme dans une logique extrême de rentabilité au détriment de l’égalité d’accès à la formation. Les lycées et les formations qu’ils proposent doivent être accessibles au plus grand nombre. Par ailleurs, le rôle du ministère des Finances paraît prépondérant dans le rôle de contrôle de gestion ce qui peut freiner l’agilité et la fluidité de fonctionnement des établissements.
- Une mise en œuvre sans garanties suffisantes de moyens
Oui, le calendrier de mise en œuvre est ambitieux et cette ambition est porteuse de risque d’échec. En effet, l’approbation des statuts des établissements dans un délai de 6 à 36 mois est ambitieuse. Elle suppose une capacité administrative et financière importante, qui ne peut être garantie que lorsque les établissements seront en vitesse de croisière mais pas en début d’expérience. Il est prévu aussi le détachement progressif du personnel à charge de l’État avec le risque de créer des inégalités entre établissements selon leur capacité à autofinancer leurs ressources humaines.
- La question de l’inclusion et du respect des droits
Le décret n°2025-197 proclame avec emphase l’universalité de l’accès à l’éducation, la garantie des libertés scolaires et la protection des apprenants et du personnel. Il affirme notamment que les établissements sont des espaces préservés, où l’intervention des forces de l’ordre est strictement encadrée, et où les libertés syndicales et associatives doivent être respectées. Cependant, cette déclaration d’intention entre en contradiction flagrante avec les pratiques observées dans l’espace public, notamment la répression systématique des mouvements syndicaux. Le cas emblématique de l’occupation quasi permanente de la Bourse du Travail par les forces de sécurité, souvent accompagnée de violences à l’encontre des travailleurs, jette une ombre sérieuse sur la crédibilité de l’État à garantir les franchises scolaires dans les lycées techniques. Oui, l’interdiction d’accès aux établissements par les forces de l’ordre sans autorisation est une avancée, mais elle reste fragile au regard des pratiques des politiques en cas de tensions. D’ailleurs, les principes d’universalité, de liberté d’expression, de protection des apprenants et des enseignants sont conditionnés par des clauses restrictives (ordre public, bonnes mœurs, etc.) qui peuvent être interprétées par des personnes de mauvaise foi. Comment croire à la protection des libertés dans les établissements scolaires lorsque les lieux symboliques de la lutte syndicale sont quotidiennement investis et muselés ? Cette dissonance entre le discours juridique et la réalité politique affaiblit la portée normative du décret et alimente une défiance légitime des acteurs de l’éducation à l’égard des engagements gouvernementaux.
- Enfin pour terminer
Je veux interroger le rôle des collectivités territoriales et de la société civile et des entreprises. Le partenariat semble déséquilibré. Les ONG, les parents d’élèves, les chambres consulaires et chambre des métiers sont mentionnés comme partenaires. Cependant, leur rôle reste consultatif ou d’appui, sans pouvoir réel de décision.
Au total, sur le plan des idées, le décret paraît bien ambitieux, progressiste, révolutionnaire et profondément novateur au regard des réalités vécues jusqu’ici dans le sous-secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnel. Mais il contient des clauses confuses, incohérentes, peu réalistes et surtout très peu valorisantes pour les travailleurs (enseignants en particulier. L’opérationnalisation des procédures me paraît objectivement peu réaliste à l’étape actuelle de notre développement socio-culturel et de notre actualité politique. Je voudrais rappeler encore une fois à l’administration scolaire que le dialogue social peut être un multiplicateur de pertinence, de performance et de bonne gouvernance. Le syndicat, même au Bénin, peut contribuer à l’amélioration de la vision et des idées des dirigeants.
Anselme Coovi AMOUSSOU